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Le Canada en récession?

Photo: Archives | Métro
Jeff Yates, Mathias Marchal et Laurence Houde-Roy - Métro

Alors que Statistique Canada publiait mardi des données qui portent à croire que l’économie canadienne a reculé pour un deuxième trimestre consécutif, le mot «récession» était sur toutes les lèvres. Les médias et les politiciens ont-ils raison de brandir ce mot pour décrire la situation économique du pays? Métro a consulté des économistes pour faire le point.

Une définition contestée
«Je n’utiliserais pas le mot récession», lance Mathieu Bédard, économiste à l’Institut économique de Montréal (IEDM), pour décrire les données dévoilées par Statistique Canada mardi, qui font état, entre autres, d’un recul de 0,5% du Produit intérieur brut (PIB) annualisé au cours du dernier trimestre.

Selon lui, pour qu’il y ait une récession, trois facteurs doivent être présents: le recul économique doit être important, il doit s’étendre à l’économie entière et il doit affecter plusieurs indicateurs, et pas seulement le PIB.

«Les instituts statistiques et économiques, quand ils établissent s’il y a vraiment eu une récession, regardent tout un ensemble d’indicateurs, dont les indicateurs industriels, la vente de détail, la vente de gros, le chômage, etc.» explique-t-il.

Selon lui, à part les secteurs pétrolier et immobilier, l’ensemble des secteurs économiques se porte «plutôt bien», et la baisse du PIB a surtout été influencée par la diminution des prix des ressources et des matières premières. Il ajoute que l’idée que le Canada est automatiquement en récession s’il connaît deux trimestres consécutifs de recul du PIB est un «raccourci».

Une idée que partage Yvon Fauvel, professeur au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion (ESG UQAM). «La règle des deux trimestres [est] une règle grossière qu’on utilise, qu’on trouve commode», croit-il.

Il affirme par contre que l’économie ne se porte pas très bien. «Entre une récession et un ralentissement économique, des fois, il n’y a pas de grande différence. Il y a un [ralentissement économique], et il est majeur. Est-ce que c’est assez pour qu’il s’agisse d’une récession? On verra ça avec le temps», juge-t-il.

Tout comme le premier ministre Stephen Harper, M. Bédard affirme au contraire que l’économie canadienne est en relance. À preuve: le PIB a crû de 0,5% au mois de juin.

«Les chiffres mensuels, il faut faire attention avec ça. Oui, c’est mieux avoir une augmentation de 0,5% que rien du tout, mais c’est très très volatile», prévient par contre M. Fauvel, qui qualifie le climat économique au pays de «moribond».

Récession n’est pas décroissance
La décroissance, qui consiste à réduire la production et la consommation dans les pays les plus riches, est différente de la récession dans le sens où elle serait voulue et non pas subie, soutiennent les adeptes de ce mouvement.

«La récession est un phénomène caractéristique du capitalisme. Elle est toujours dramatique, surtout pour les membres les plus démunis de nos sociétés. […] La décroissance est un projet de société anticapitaliste, qui propose une réduction significative de la production et de la consommation dans les pays les plus riches [afin notamment de garantir] à chacun les moyens de mener une vie décente, dans le respect des limites écologiques de la planète», a indiqué à Métro le professeur à HEC Montréal Yves-Marie Abraham.

Les tenants de la décroissance se basent sur des recherches indiquant qu’au-delà d’un PIB de 15 000$ par habitant, la croissance n’est pas un facteur de mieux-être (le Québec est à 30 000$ par habitant). En outre, la date annuelle à laquelle le rythme de consommation de l’humanité excède ce que la nature est capable de générer en un an recule d’environ trois jours par année (cette année, c’était le 18 août).

«Le système actuel, surtout dans sa variante néolibérale et “austéritaire”, est destructeur, injuste et déshumanisant», conclut M. Abraham.

Ironiquement, le chercheur Dennis Meadows, qui a inspiré le mouvement, déconseille l’utilisation du terme «décroissance», affirmant que ce terme ne pousse pas à participer au mouvement et qu’il est plutôt une forme «de suicide politique».

Et Montréal?
Puisque la récession touche principalement l’Ouest canadien en raison de la chute du prix du pétrole, la région de Montréal n’est pas à proprement parler affectée par cette annonce, croit Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. M. Leblanc estime toutefois que la métropole «est aux prises, depuis plusieurs mois, avec un marché du travail mou» menant à des pertes d’emploi et à une hausse du taux de chômage.

La situation économique montréalaise n’est pas nécessairement liée à la récession, croit Mathieu Bédard, économiste à l’IEDM. «Il ne faut pas oublier qu’il y a eu d’autres événements au Québec ces derniers temps, comme le salaire minimum qui a augmenté au mois de mai et qui peut avoir eu un petit effet cette fois-ci», remarque-t-il.

Michel Leblanc croit qu’il est temps pour les entreprises de miser sur le marché américain. «Nous sommes face à une situation avantageuse pour la croissance du Québec et de Montréal, avec simultanément un taux de change qui nous est très avantageux par rapport aux Américains, une économie américaine en forte croissance, des taux d’intérêt très bas, et un coût de transport faible.»

Il admet que cette récession technique pourrait avoir un léger impact sur les entreprises montréalaises qui exportaient vers l’Ouest canadien; des entreprises qui, par exemple, étaient en lien avec la machinerie utilisée dans les grands projets de l’Alberta. «Ces projets risquent d’être décalés, avance M. Leblanc. Mais à mon avis, toute entreprise d’ici qui faisait affaire avec l’Ouest canadien va trouver un marché américain beaucoup plus robuste.»

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