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2015, l'année des hausses de taux d'intérêt?

Andy Blatchford - La Presse Canadienne

OTTAWA – Après 18 mois à la tête de la Banque du Canada, Stephen Poloz n’a pas encore touché au principal outil à sa disposition: le taux d’intérêt directeur.

Lorsque M. Poloz a pris les rênes de la banque en juin 2013, il a hérité d’un taux de financement à un jour mis en place près de trois ans plus tôt par son prédécesseur Mark Carney. Ce taux ne s’est pas encore éloigné de son niveau d’un pour cent et sa période d’immobilité est maintenant une des plus longues de l’histoire de la banque centrale.

Mais maintenant que l’économie canadienne montre des signes de reprise, est-ce que 2015 pourrait être l’année où le gouverneur commence à hausser les taux? Et si oui, à quel moment?

«Je ne sais pas à quel point il est impatient de toucher à ça», s’est demandé le président de l’Institut C.D. Howe, Bill Robson.

Celui-ci croit malgré tout qu’une telle hausse aura lieu en 2015, puisque les perspectives économiques sont de plus en plus positives — notamment avec une économie américaine en bonne santé et une reprise des exportations canadiennes.

Une fois que le taux directeur de la banque aura commencé à grimper, les entreprises canadiennes vont voir leurs coûts d’emprunt augmenter, tout comme les consommateurs qui prendront des prêts pour acheter des automobiles ou des habitations.

Ian Lee, un professeur de la Sprott School of Business de l’Université Carleton à Ottawa, a dit s’attendre à ce que les entreprises ressentent l’effet d’une hausse des taux dès le début, mais il croit que l’effet pour les ménages sera beaucoup plus discret.

Plusieurs consommateurs, a-t-il ajouté, éviteront le choc initial parce que les taux de leurs emprunts ou hypothèques sont fixes.

En plus, M. Lee croit que les taux vont probablement augmenter d’un quart de point de pourcentage à la fois, ce qui fera en sorte que les hausses à venir seront plus faciles à gérer que les niveaux vertigineux observés au pays au début des années 1980.

M. Lee, qui travaillait dans le secteur hypothécaire à l’époque, se souvient comment les taux ont grimpé jusqu’à 20 pour cent en 1981.

«Lorsque j’entends des gens (…) qui s’excitent en disant ‘bon sang, les taux pourraient grimper jusqu’à trois ou quatre ou cinq pour cent’ — j’ai presque le goût de partir à rire», a-t-il illustré.

«Et je ne veux pas dire que cela est insignifiant, mais ce que je veux dire, c’est que l’économie canadienne et les Canadiens ont déjà connu des taux d’intérêt largement plus sauvages.»

Les hausses des taux d’intérêt du début des années 1980 ont presque tué le marché immobilier, a poursuivi M. Lee, mais elles n’ont pas entraîné un écroulement du secteur et le nombre de saisies n’a que légèrement augmenté.

D’un autre côté, la hausse des taux a aidé les régimes de retraite à réaliser de bien plus gros rendements sur leurs investissements, a ajouté M. Lee.

Pour le professeur de sciences économiques Christopher Ragan, de l’Université McGill, les hausses de taux d’intérêt sont fondamentalement une bonne chose.

«Elles témoignent d’une économie plus vigoureuse», a-t-il affirmé.

La Banque du Canada a indiqué au début décembre que l’économie du pays montrait des signes de «généralisation de la reprise» et que l’écart de production semblait être plus petit qu’elle ne l’avait prévu à peine six semaines plus tôt.

L’écart de production représente la distance entre l’endroit où se trouve une économie à un moment précis et celui où elle se trouvera lorsqu’elle fonctionnera à son plein potentiel.

Cependant, la banque a opposé ses éléments positifs à certaines menaces potentielles: la chute des prix du pétrole qui fait reculer l’inflation et le risque significatif associé à la dette accumulée par les ménages après des années de faibles taux d’emprunt.

La mise en place de faibles taux d’intérêt vise à encourager les gens à dépenser en période de faiblesse économique, a expliqué M. Ragan, qui a déjà travaillé à la Banque du Canada.

Cependant, a-t-il ajouté, la politique monétaire est un «bel instrument mal taillé» qui ne peut pas contrôler ceux qui empruntent trop.

«Certaines personnes ont trop de dettes, mais pas tout le monde», a nuancé M. Ragan.

«Certaines entreprises ont probablement aussi trop de dettes, mais pas toutes les firmes. Et la politique monétaire ne peut simplement pas s’attaquer à ce problème.»

Selon un rapport publié au début décembre par l’agence de crédit Equifax Canada, les Canadiens ont accumulé collectivement des dettes totalisant plus de 1500 milliards $, ce qui représente une hausse de 7,4 pour cent par rapport à l’an dernier. En excluant les dettes hypothécaires, les Canadiens doivent en moyenne 20 891 $ chacun.

Ces données soulèvent des questions sur l’impact que pourrait avoir même une légère hausse des taux d’intérêt sur les Canadiens qui ont abusé du crédit peu coûteux.

Si M. Robson admet que l’ampleur de l’endettement est «assez alarmante», il ne s’attend pas à d’importantes augmentations des taux dans un avenir rapproché. Il prévoit que la banque centrale augmentera son taux directeur à 1,25 pour cent et puis, peut-être, à 1,5 pour cent six mois plus tard.

«Il est intéressant, après tout ce temps, de voir comment notre raisonnement au sujet des taux d’intérêt a été conditionné par cette très, très longue période de faibles taux d’intérêt, pour qu’un taux de financement à un jour soit considéré comme une grosse affaire», a-t-il noté.

La Banque du Canada n’a pas touché à son taux directeur depuis septembre 2010, et au début janvier, cette période d’inaction aura été la troisième plus longue de ses 80 ans d’histoire.

Le plus long gel du taux directeur de la banque central s’est étiré sur près de neuf ans — de mars 1935 à février 1944. Le taux était alors de 2,5 pour cent.

Le moment du prochain changement apporté au taux directeur reste une source de débats parmi les experts.

M. Robson est de ceux qui s’attendent à ce que le raffermissement de l’économie canadienne force M. Poloz à hausser son taux vers le milieu de 2015, tandis que M. Lee prédit que le rétrécissement de l’écart de production entraînera une augmentation du taux directeur dès ce printemps.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a récemment prédit que la Banque du Canada commencerait à hausser son taux directeur à la fin mai en raison d’une croissance de l’inflation.

De l’autre côté du spectre, des économistes comme David Madani, de la firme Capital Economics, s’attendent à ce que M. Poloz ne bouge pas avant un bon moment, même une fois que la Réserve fédérale des États-Unis aura haussé son propre taux de référence.

Selon M. Madani, les pressions inflationnistes à la hausse resteront plutôt ternes en 2015, ce qui gardera la banque centrale dans une situation «d’attente» pendant toute l’année.

M. Robson a estimé qu’il serait même acceptable pour M. Poloz de hausser les taux pour ensuite les réduire, si nécessaire.

«Tout le monde sait que la banque centrale a de la difficulté à lire l’économie, comme tout le reste du monde», a-t-il fait valoir.

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