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De Téhéran à la liberté: l’histoire oubliée d’un héros montréalais

Photo: Collaboration spéciale

Chef de la sécurité de l’ambassade canadienne à Téhéran en 1979, le Montréalais Claude Gauthier a activement participé à la célèbre exfiltration des six diplomates américains qui s’étaient échappés d’une prise d’otages en pleine révolution iranienne. Des proches de ce militaire récemment décédé ont tenu à narrer le rôle primordial mais méconnu, de ce héros québécois.

Tout commence par un coup de fil. Un appel qui marquera à jamais la vie de Claude Gauthier. Au bout de la ligne, l’un des supérieurs de ce policier militaire rentré quelques semaines plus tôt d’Allemagne lui parle d’une situation de crise quelques milliers de kilomètres plus loin. La veille, le 4 novembre 1979, près de 400 fondamentalistes iraniens, révoltés, ont attaqué l’ambassade américaine de Téhéran avant de prendre en otages plus d’une cinquantaine d’Américains, réclamant notamment au pays dirigé par Jimmy Carter de leur livrer le Shah, qui séjourne aux États-Unis pour des raisons médicales.

Six diplomates manquent pourtant à l’appel. Après avoir trouvé refuge dans un appartement de la ville, ces derniers contactent John Sheardown, agent d’immigration de l’ambassade canadienne. Aussitôt, celui-ci prévient son gouvernement, qui accepte d’aider, de cacher et de loger ces Américains en fuite. Entre alors dans l’équation Claude Gauthier.

Une mission top secrète
Âgé de 34 ans, le natif de Sainte-Thérèse compte de nombreuses missions avec l’ONU et l’OTAN à son actif. «Son passé parlait pour lui, il savait garder des secrets et prenait beaucoup d’initiatives», raconte René Côté, ex-membre des forces canadiennes, qui a notamment été fait prisonnier quelques heures avec Claude Gauthier en Égypte en 1973, lors de la guerre du Kippour.

Chargé de remplacer le chef de la sécurité de l’ambassade canadienne qui a été repéré par les ravisseurs iraniens au cours d’une action de reconnaissance avortée, Claude Gauthier quitte son appartement situé dans l’actuel arrondissement de Saint-Léonard et s’envole pour Téhéran avec pour premier objectif de protéger ces otages qui, par mesure de sécurité, seront répartis en deux groupes. Quatre logeront dans la demeure de John Sheardown, deux autres dans l’ambassade dirigée par Ken Taylor, qui les accueille dès le 8 novembre.

«Je n’avais aucune idée de sa mission, c’était top secret, raconte sa petite amie de l’époque, Murielle Gauthier, qui deviendra son épouse en 1982. Il m’appelait une couple de fois par semaine, mais ne me disait que des choses banales, des histoires d’amoureux. Moi, j’avais appris à ne poser aucune question et jamais je n’ai su, avant son départ d’Iran, que des Américains étaient cachés par le Canada.»

Missions de repérage pour un sauvetage aérien
Alors que son nom apparaît dans quelques documents de l’époque, l’implication de Claude Gauthier est longtemps restée floue, le militaire étant contraint de taire ses missions. Mais victime d’une longue maladie dégénérative du cerveau, qui lui coûtera finalement la vie le 24 janvier à 72 ans – les principaux protagonistes de cette évasion, Ken Taylor et John Sheardown, sont également décédés ces dernières années –, le Montréalais a tenu à se confier ces derniers mois, révélant de nombreuses et croustillantes anecdotes.

«Cette histoire l’a habité toute sa vie, il souffrait de stress post-traumatique et de cauchemars. C’était très dangereux et il le savait», raconte René Côté, qui a obtenu ses confidences dès le retour de son ami à Montréal, dans le quartier de Rivière-des-Prairies, après sa retraite militaire en 1985, avant de travailler à ses côtés dans le domaine de la sécurité.

Retour en fin d’année 1979. Chaque matin, aux aurores, Claude Gauthier quitte en toute discrétion l’ambassade canadienne, direction la résidence de John Sheardown. «Il cherchait les ordures, les rapportait puis les détruisait à l’ambassade pour éviter qu’on découvre la présence de quatre Américains», reprend son ancien partenaire.

Le jour, en concertation avec Ken Taylor qui évalue tous les scénarios avec Ottawa et la CIA, le chef de la sécurité rédige différents plans d’évacuation et scrute d’éventuels emplacements dans les alentours de Téhéran pour l’atterrissage d’urgence d’hélicoptères américains, en vue d’une exfiltration par voie aérienne.

Une évacuation à haut risque
Une nouvelle stratégie est finalement mise en place. Alors qu’Ottawa a préparé et envoyé dans une valise diplomatique six faux passeports canadiens quelques jours plus tôt, l’agent américain Antonio Mendez se rend à Téhéran le 25 janvier. Son idée, en concertation avec les deux gouvernements concernés? Faire passer les otages pour des cinéastes canadiens, en repérage en Iran pour un film de science-fiction. Durant de longues heures, Claude Gauthier les entraîne à des interrogatoires musclés, leur faisant inlassablement répéter leur nom d’emprunt et les détails de leur mission fictive. Le subterfuge fonctionne.

Deux jours plus tard, Mendez et les six Américains se rendent à l’aéroport, accompagnés par Claude Gauthier, qui observera leur départ d’une baie vitrée, tout en restant en contact avec quelques uns de ses collègues, présents devant l’aéroport avec plusieurs véhicules. En cas d’échec de ce plan à haut risque, une évacuation d’urgence vers une maison sécurisée, repérée quelques jours plus tôt, était planifiée.

«Tout se passait bien, mais lors d’un deuxième check point, le douanier iranien a quitté son poste avec les sept passeports. Tout le monde était nerveux, personne ne comprenait. Il est finalement revenu trois minutes plus tard, un café à la main, et les a laissé passer», précise René Côté. Sans encombre, les otages embarqueront finalement sur un vol de la Swissair, direction Francfort et l’Allemagne de l’Ouest. La liberté devant eux.

Surnommé «la massue»
Mais la mission de Claude Gauthier n’est pas terminée. De retour à l’ambassade canadienne, il se charge de rapidement détruire documents compromettants et matériel de communication, à coups de marteau, avec la crainte de voir débarquer une horde de militaires iraniens furieux. Une action qui lui vaudra le surnom de «sledge» (massue). Avant de prendre le large avec Ken Taylor et le personnel de l’ambassade, il pose une affiche devant le bâtiment, indiquant sa fermeture immédiate en raison d’une imaginaire fête nationale canadienne. Un avion pour le Danemark l’attend, avant un premier coup de fil à son épouse, une fois en sécurité.

«Il m’a dit: « Écoute les nouvelles, tu sauras ce que j’ai fait », se souvient Murielle Gauthier, qui le retrouvera à Dorval début février, après un passage par New York. Je savais qu’il aimait les défis, il carburait à ça. C’était un amoureux de l’aventure!»

Décoré de l’Ordre du mérite militaire, une des plus hautes distinctions canadiennes, Claude Gauthier sera ensuite reçu, quelques mois après son retour de Téhéran, avec Ken Taylor, par Jimmy Carter à la Maison Blanche. Une photo de son époux et une bague achetée en Iran entre les mains, seul souvenir de cet incroyable périple, Murielle Gauthier sourit: «c’est un héros». Un héros inoubliable.

Argo et l«American bullshit»

Comment Claude Gauthier a-t-il accueilli Argo, la production hollywoodienne sortie en 2012 et réalisée par Ben Affleck? «Il trouvait ça d’un ridicule, clame son épouse. Il n’arrêtait pas de répéter: « American bullshit ! ». Primé aux Oscars, ce film censé relater cette incroyable histoire comporterait de nombreuses scènes imaginaires. «Personne n’est allé au bazar de Téhéran pour des repérages et aucune voiture n’a poursuivi l’avion lors du départ des otages. Il y a un véritable fossé avec la réalité», reprend Murielle Gauthier, précisant qu’à aucun moment les scénaristes n’ont cherché à contacter son mari. «On a fait passer l’agent Mendes pour le principal héros, mais le jour de l’exfiltration, cet agent est arrivé en retard, avec la gueule de bois, car il s’était saoulé la veille. Claude n’était vraiment, vraiment pas content», révèle René Côté.

Jamais reconnu par Québec

Après ses exploits à Téhéran, Claude Gauthier a reçu de multiples décorations et hommages, que ce soit à Washington ou à Ottawa, de la part notamment du Gouverneur général du Canada, mais rien du côté de Québec. «Ça l’a toujours été sa grande déception, déplore Murielle Gauthier. Il était pourtant le seul Québécois lors de cette opération mais il n’a eu ni lettre, ni appel du gouvernement ou d’un député. Ce manque de reconnaissance, c’est vraiment dommage.»

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