Soutenez

Ces femmes qui tombent dans le filet des proxénètes

Photo: Métro

Annie (nom fictif) n’a pas eu la vie facile. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle était âgée de deux ans. Sa mère, en proie à une profonde dépression, a pris soin d’elle pendant les cinq années qui ont suivi, jusqu’à ce qu’elle sombre dans un burn-out.

Son père a pris la relève, mais lorsque Annie a eu 11 ans, il a commencé à l’agresser sexuellement. Sa mère ne l’a jamais crue lorsqu’elle parlait des gestes incestueux commis par son père.

«Je n’ai jamais été saine mentalement», a-t-elle avoué devant des professionnels de la santé et des policiers réunis lors d’une conférence sur la santé mentale qui s’est tenue récemment à Montréal.

À 19 ans, sans le sous et ne pouvant plus vivre avec ses parents, elle a pris le journal et elle a repéré l’annonce demandant des «hôtesses» qui offrait le plus d’argent. Embauchée rapidement par une agence, Annie a entamé sa descente aux enfers dans le monde de l’exploitation sexuelle. Contrôlée par un proxénète alcoolique, elle a dû se plier aux pires bassesses, parfois sous le coup de la violence.

Aujourd’hui, Annie a 26 ans. Elle fait partie d’un groupe de six femmes survivantes qui ont dû se prostituer dans le passé, mais qui collaborent maintenant avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Avec les policiers, elle rencontre des femmes prises dans le filet du proxénétisme et leur raconte son histoire.

«Au fil de l’histoire de la survivante, on voit des signes de nervosité chez la jeune femme [qui se prostitue] et elle commence à réaliser qu’elle n’est pas entre bonnes mains», a rapporté l’une des coordonnatrices du projet Les Survivantes, Diane Veillette.

Le programme Les Survivantes a été mis sur pied il y a environ deux ans par le SPVM. Grâce à ce programme, les policiers ont réussi à traduire une quinzaine de proxénètes devant les tribunaux. Ça peut sembler peu, a précisé le commandant de la section des enquêtes multidisciplinaires et de la coordination jeunesse du SPVM, Antonio Iannantuoni, mais il y a beaucoup de travail derrière chaque cas.

«Chaque cas demande des validations. Les enquêtes sont longues. Il faut monter un dossier et il faut que le procureur autorise la plainte», a expliqué le commandant du SPVM en entrevue à Métro.

Le phénomène du proxénétisme est de plus en plus important puisqu’il est très lucratif. Selon l’une des coordonnatrices du programme Les Survivantes, Josée Mensales, le proxénétisme rapporterait davantage que la vente des stupéfiants. À l’échelle mondiale, le chiffre d’affaires de cette industrie atteint 32 G$.

À Montréal, en l’espace d’une soirée, un proxénète gagne de 200 à 2 000$ avec seulement une fille. En général, de quatre à six filles gravitent autour d’un seul proxénète. Elles «travaillent» généralement dans des maisons de débauche, des salons de massage et des cabarets de danseuses nues.

«Et plus la fille est jeune, plus elle est payante», a précisé Mme Veillette. Elle ne verra presque jamais la couleur de cet argent puisque c’est le proxénète qui le gère. Il investit une part de l’argent pour qu’elle s’habille et se coiffe, mais il veut garder un maximum pour lui.

Les proxénètes, qui sont souvent très violents, menacent les filles et leurs familles pour qu’elles continuent à se prostituer. «Les filles savent de quoi ils sont capables, a raconté Mme Veillette. Dans le cas des membres de gangs de rue, les filles peuvent avoir vu leur pimp tuer quelqu’un live.»

Les policiers qui interviennent auprès de ces femmes manipulées et exploitées doivent les considérer comme des victimes. C’est ce que veulent leur faire comprendre les coordonnatrices du programme Les Survivantes.

«Les femmes qui s’en vont dans le milieu de la prostitution n’y vont pas par choix. C’est par manque de choix», a insisté la policière Diane Veillette.

À ce jour, Mmes Mensales et Veillette ont rencontré un millier de policiers montréalais. Elles les ont fortement encouragés à regarder les femmes victimes des proxénètes dans les yeux, de leur parler de façon respectueuse et de leur laisser leur carte pour qu’elles sachent que quelqu’un est prêt à les écouter. Et elles ont incité les policiers, s’ils sont appelés pour un cas de violence conjugale, à ne jamais écarter la possibilité que ce soit en fait un cas d’exploitation sexuelle.

Les victimes
Les femmes qui se font enjôler par des proxénètes viennent de tous les milieux.

Les jeunes filles prises en charge par la DPJ ou celles qui sont en conflit avec leur famille demeurent une clientèle de prédilection pour les proxénètes, mais une fille de diplomate, une mère monoparentale, et même une enseignante, sont toutes déjà tombées dans le panneau.

«Ce n’est pas parce qu’on est naïf ou pas intelligent qu’on se fait prendre», a précisé l’une des coordonnatrices du programme Les Survivantes, du SPVM, Josée Mensales.

Elle a, entre autres, raconté l’histoire d’une policière qui a agi comme agente double pour pincer un collègue dans le métro qui exploitait des jeunes filles en fugue ou en difficulté. Au terme de l’enquête, la policière a confié qu’elle aurait été séduite si elle n’avait pas été au courant de l’enquête, tant le proxénète parlait bien et savait bien la manipuler.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.