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Des pochoirs pour décorer Montréal

Photo: Adrien Fumex/Collaboration spéciale
Fanny Texier - étudiante en journalisme à l’Université de Montréal

Métro publie aujourd’hui le texte d’un des gagnants d’un concours de journalisme organisé par la Ville de Montréal en collaboration avec l’Université de Mont­réal, Métro et CIBL 101,5 FM.

Ses murales colorées embellissent la ville. Son nom : Mathieu Bories. À 27 ans, il est un des rares artistes urbains montréalais à maîtriser le stencil. Portrait.

Vers 14 h, bonnet enfoncé sur les oreilles, Mathieu arrive au croisement des rues Van Horne et du Parc. Depuis septembre 2012, il partage avec d’autres artistes un grand atelier bien caché au cœur du Mile-End. Une fois installé à sa table de travail, le jeune homme contemple un de ses derniers tableaux. Pas d’inscriptions taguées, mais un enfant rieur, des couleurs vives, des chiffres et une série de motifs répétés. Par terre, un tas de pochoirs gondolés par la peinture, emmêlés les uns dans les autres.

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Pendant ce temps, de l’autre côté du mur, un cours de flamenco rythme ce dimanche après-midi endormi par le début de l’hiver.

Issu de la culture Street Art, Mathieu, alias Mateo, est le roi du pochoir. «Je peins avec des stencils : des papiers que je découpe à partir de photos que j’ai agrandies. Je sélectionne ensuite les ombres et les lumières», décrit-il. Que ce soit des personnes ou des animaux, ses pochoirs représentent des scènes de vie. «J’ai vu peu de personnes faire ça à Montréal», commente-t-il avec une modestie sincère. Si son influence première vient certainement de la rue, il avoue aussi puiser son inspiration dans les beaux arts, auxquels il s’est frotté pendant ses études. Né en France en 1985, le jeune homme grandit dans le sud de l’Hexagone. En 2006, il suit des cours d’arts plastiques à l’Université de Toulouse. «En cours, on faisait surtout de la recherche artistique. Il y avait peu d’ateliers pratiques. On devait apprendre par nous-mêmes», explique-t-il. Autodidacte, Mathieu commence à développer son style dans la rue. Poubelles, vélos, poteaux, tout ce qui «appartient à la ville» y passe. «J’avais ajouté des yeux à une poubelle qui avait la forme d’un animal. C’était vraiment cool, ça avait marqué les citadins», me dit-il avec un léger accent toulousain. Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique que son art allait surtout marquer.

Montréalais d’adoption, Mathieu vit en sol canadien depuis quatre ans. «C’est à Montréal que mon style a le plus progressé. J’y ai trouvé une vraie liberté», confie-t-il. Le jeune homme s’installe ici en 2008, dans le cadre d’un échange à l’Université du Québec à Montréal. C’est là qu’il étudie le design graphique et qu’il commence sa carrière. Depuis, l’artiste a fait des pas de géant. À l’été 2009, par hasard, il participe à Massivart, un festival d’art urbain réputé du Mile-End. Il se fait remarquer par un des dirigeants d’Ubisoft, troisième développeur mondial de jeux vidéo, qui l’embauche rapidement. «J’ai trouvé de la job très intéressante, comme ça, juste en peignant dans la rue», raconte-t-il en souriant. Les commandes s’enchaînent pour Mathieu. Parmi les sociétés réputées faisant appel aux talents du jeune homme, la SAQ (Société des Alcools du Québec), Loto Québec, Artv/Radio-Canada, le magazine Urbania, Parenthèse, Archambault. Les étés suivants, Mathieu participe au festival de graffiti Underpressure, par plaisir. «La première fois, c’était il y a trois ans. Je me promenais là complètement par hasard», lance-t-il en claquant des doigts, la mémoire lui revenant soudainement.

Grâce au festival, il découvre la galerie Fresh Paint : un espace aussi extraordinaire qu’éphémère, où les murs sont constamment repeints. En mai 2012, la galerie lance un nouveau concept : organiser, chaque mois, un «live painting», où cinq ou six équipes d’artistes improvisent une œuvre qui sera jugée par le public. Le nom de l’événement : Beaux Dégâts. Lors de la 7e édition, en novembre 2012, il y participe avec deux amis, pour s’amuser, et remporte la compétition. «C’était vraiment improvisé, on ne pensait pas qu’on allait gagner», souligne-t-il. Pour l’organisateur, Downey Sterling, si ce genre d’événement permet de stimuler et de développer la scène artistique locale, il rend aussi possible la confrontation entre artistes émergents, ainsi que la communication : «Il existe peu de lieux favorisant la rencontre entre public et graffiteurs, surtout pendant le processus de création, qui se réalise généralement à l’abri des regards, que ce soit en studio ou illégalement dans la rue.» Cela, Mathieu en est conscient, puisque c’est, entre autres, au cours de ces événements ou de ses voyages qu’il parvient à se faire remarquer.

«Deux mois avant Beaux Dégâts, je suis revenu d’un périple de huit mois en Amérique du Sud», annonce-t-il. Durant ce voyage, le jeune peintre propose à des aubergistes et à des hôteliers une murale en échange d’un gîte. C’est comme ça qu’il crée des liens, qu’il rencontre des artistes, qu’il peint avec eux et qu’il évolue. La culture latino-américaine influence sa façon de peindre, il y trouve une autre liberté. «Avant, je faisais dans le sobre, puisque je n’utilisais pratiquement que du noir et blanc», explique-t-il. Depuis, il nous en fait voir de toutes les couleurs. Dès son retour, il expérimente davantage : «Je commence quelque chose sans savoir ce que ça va donner», dit-il en esquissant un sourire. Ses influences artistiques récentes continuent de plaire et de le propulser sur la scène montréalaise. En décembre 2012, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal fait appel à une vingtaine de décorateurs, dont Mathieu, pour animer le quartier et créer des œuvres sur le thème du sapin, le temps des fêtes. «J’ai fait des murales qui représentaient des portraits d’enfants, pour retrouver l’esprit de Noël», raconte l’artiste.

En ce qui concerne la prochaine étape, le jeune homme hésite. Entre ses projets en cours et son envie de voyager, il ne sait guère ce qui l’attend. «Je suis revenu au Québec pour faire une pause et peindre», déclare-t-il. Résident permanent, Mathieu sait que Montréal est et restera son nid d’adoption, quoi qu’il advienne. «Cette ville bouillonne culturellement. Que ce soit dans les arts visuels, la musique, le cinéma, etc., tu peux toujours te débrouiller pour faire ce que tu aimes et en vivre ; ou t’amuser, comme à Beaux Dégâts», explique-t-il d’une voix sereine. Début février 2013, lui et son équipe ont eu la possibilité de participer de nouveau à l’événement pour défendre leur titre. En attendant que passe l’hiver, il peint dans son atelier, où il file le parfait amour… avec son art.

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