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Les cimetières aussi peuvent mourir

Photo: Yves Provencher/Métro

Actuellement en rénovation, la place du Canada au centre-ville cache bien son jeu. Sous ce qui forme dorénavant une place publique, avec le square Dorchester au nord, près de 55 000 personnes ont été enterrées de 1799 à 1854 dans ce qui était alors le cimetière Saint-Antoine. Aujourd’hui, les spécialistes ont choisi de protéger les 30 000 corps qui restent dans le sol, mais sans commémorer outre mesure cet ancien cimetière enfoui.

Cimetière secret
Avant d’amorcer le projet de réaménagement du square Dorchester, l’été dernier, les archéologues de la Ville de Montréal, qui connaissaient déjà toute l’histoire qui se cache sous cette terre, devaient décider ce que deviendrait l’endroit. Ils ont alors rassemblé autour d’une même table plusieurs spécialistes venant de l’Université de Montréal et de l’Université Laval, des sociologues et des archéologues. La question: que fait-on avec le cimetière Saint-Antoine? Est-ce qu’on le reconstitue? Est-ce qu’on fait une grande commémoration ou un monument? Après une demi-journée de réflexion, les spécialistes ont été clairs: prélevez des corps si nécessaire, mais ne reconstituez pas le cimetière. C’est un espace public et il faut l’assumer, ont-ils fait valoir. «Ils ont réalisé que, finalement, les cimetières aussi peuvent mourir», se rappelle François Bélanger, archéologue à la Ville de Montréal.

Commémoration
Si l’espace public devait primer dans ces lieux, les spécialistes s’entendaient tout de même pour rappeler la présence du cimetière, sans tomber dans l’excès. «[Au square Dorchester et à la place du Canada], il y a déjà plusieurs monuments commémoratifs, donc on ne voulait pas avoir un monument supplémentaire qui commémore un cimetière en plus, explique M. Bélanger. On désirait conserver l’esprit du lieu, sans figer dans le temps quelque chose qui n’existe plus.» C’est finalement une simple croix dans le sol (photo) qui fait office de rappel historique. Les visiteurs peuvent déjà la voir au square Dorchester et la retrouveront également à la place du Canada. «Souvent, on est enclin à en mettre et à expliquer à outrance, mais ce n’est pas nécessaire», affirme M. Bélanger, qui salue la sobriété du symbole.

ACTU - Croix place du Canada

Intervention
L’intervention des archéologues lors des travaux de réaménagement de la place du Canada reste donc, elle, aussi réduite au minimum. Pas question d’amorcer de grandes recherches dans l’ensemble du parc. Les spécialistes savent que les sépultures se trouvent à 35 cm sous la surface de la terre et n’interviennent qu’aux endroits où les travaux nécessitent de creuser plus profondément. Jusqu’à maintenant, près de 250 sépul­tures ont été retrouvées par les archéologues. Une cinquantaine de corps ont dû être retirés du sol et envoyés à l’Université de Montréal pour des recherches portant sur la nutrition des habitants aux XVIIIe et XIXe siècles, l’ADN, les maladies et les différentes caractéristiques des corps pouvant expliquer les habitudes de l’époque. Le reste du cimetière reste intact.

Trouvailles
L’archéologue François Bélanger n’a pas retrouvé un lot impressionnant d’objets lors de ses fouilles. «On retrouve quelques boutons à l’occasion, preuve qu’ils étaient enterrés avec des vêtements. Nous avons aussi retrouvé quelques cercueils de bois, en pointe à chaque extrémité, un peu comme dans Lucky Luke.» Mais l’une des trouvailles qui l’a particulièrement touché, c’est celle de cet homme enterré avec les mains croisées (photo). Sur sa main gauche, il portait encore son jonc de mariage, et à droite, un autre jonc se trouvait, au creux de sa main. «Sa femme est probablement décédée avant lui et il a été enterré avec sa bague dans la main. C’est une image à l’aspect très humain qui est venue me chercher lorsque je l’ai vue», se rappelle M. Bélanger.

Suqelette place du Canada

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