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Anglais requis pour un poste: la cour tranche

Photo: Archives Métro
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La Charte de la langue française en prend pour son rhume dans un récent arrêt de la Cour d’appel, avance l’avocate du syndicat des cols blancs de la Ville de Gatineau, qui se battait pour que soit retirée l’exigence de l’anglais dans un poste affiché au sein de la municipalité.

Avec cette décision, Josée Moreau se demande quelle sera dorénavant l’utilité de la Charte de la langue française, qui fait du français la langue officielle du Québec.

Dans son jugement rendu lundi, la Cour d’appel vient de casser une sentence arbitrale ayant déterminé que l’anglais n’était pas nécessaire à un emploi et qu’il ne pouvait être exigé dans un affichage de poste. Elle permet du même souffle que la cause soit soumise de nouveau à un arbitre de grief.

Toute cette affaire remonte à 2009, lorsque le syndicat des cols blancs avait déposé un grief contre la Ville, qui avait affiché un poste de commis au service des finances pour lequel elle exigeait que la personne retenue soit en mesure de communiquer en anglais.

Le syndicat était d’avis que cette exigence était contraire à la Charte de la langue française et qu’il n’était pas nécessaire d’être en mesure de parler anglais pour occuper cet emploi.

La Ville soutenait de son côté qu’elle devait composer avec une population de langue anglaise et que rien dans la Charte ne lui interdisait de dispenser à cette minorité des services dans cette langue.

Une sentence arbitrale rendue en 2013 avait donné raison au syndicat.

L’article 46 de la Charte de la langue française prévoit qu’il est «interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance».

Le débat portait ainsi autour de cette notion de «nécessité».

«La nécessité ne doit pas être confondue avec l’utilité, l’opportunité, la qualité du service offert par un employeur», écrivait l’arbitre de grief René Turcotte.

Il permettait comme exception les cas où la maîtrise d’une langue autre que le français est partie intégrante du poste (par exemple, un traducteur), lorsque cet élément est imposé par une loi d’ordre public, et aussi lorsque la non-maîtrise d’une langue autre que le français par le détenteur d’un poste mettrait en péril le droit d’une personne à la vie, ainsi qu’à la sûreté.

Hormis ces cas, l’exigence de l’anglais viole la Charte, expliquait l’arbitre.

La Cour supérieure avait refusé de modifier cette décision. Puisqu’il s’agissait d’une révision judiciaire — et non d’un appel —, elle n’avait qu’à déterminer si la décision de l’arbitre était raisonnable ou pas. Elle a qualifié l’interprétation de la Charte faite par l’arbitre de «restrictive », mais de raisonnable.

Mais dans son arrêt rendu lundi, la Cour d’appel a cassé la sentence arbitrale, en la qualifiant d’«excentrique».

«Elle se situe hors champ» par rapport aux autres décisions sur ce sujet, est-il écrit.

Pour le juge Yves-Marie Morissette, qui a rédigé la décision, personne ne remettrait en question l’exigence de connaissance d’une autre langue pour un traducteur: la Charte doit donc être lue avec cette nuance en tête.

De plus, certains emplois peuvent justifier la maîtrise d’une autre langue.

«Peuvent alors se poser, entre autres, des questions relatives aux lieux d’exercice, à la composition de la clientèle, à la fréquence des contacts, au niveau souhaitable de connaissance, à l’importance du service offert (selon la perception de l’usager, considérée objectivement), à l’organisation du travail et aux accommodements réciproques — toutes à la base des questions de fait. Voilà ce que visait le législateur. Et la viabilité économique d’un tel emploi ou d’un tel poste, voire sa survivance même, peuvent dépendre de telles considérations», peut-on lire dans le jugement.

Le juge dit ne pas croire que l’intention du législateur en adoptant l’article 46 ait été de ne «condescendre» qu’aux trois exceptions soulevées par l’arbitre Turcotte.

Une décision «étonnante»

L’avocate du syndicat, Josée Moreau, dit que son client est insatisfait de cet arrêt de la cour.

«Pour nous, cette décision est un net recul quant à la portée de la Charte de la langue française», a-t-elle déclaré en entrevue téléphonique.

Elle juge la décision «étonnante»: «Comment peut-on décréter que c’est déraisonnable alors qu’elle (la sentence) se colle à l’objet même de la Charte?», demande-t-elle, en soulignant que son but est notamment de faire du français la langue du travail au Québec.

Me Moreau voit là une interprétation restrictive de la Charte, qui a un statut quasi constitutionnel au Québec.

«J’ai plaidé qu’il n’appartenait pas à la Cour d’appel de se substituer à l’Assemblée nationale», a-t-elle dit.

Un passage du jugement l’inquiète particulièrement: celui qui établit qu’«il existe ici une réalité linguistique, variable selon les localités. Il en résulte que quelques langues assez répandues, et autres que la langue officielle, coexistent avec cette dernière. Selon les circonstances, une personne qui s’exprime dans une telle langue devrait pouvoir compter sur une réponse intelligible dans cette langue, même lorsque les attributs fondamentaux de sa personne, que garantissent la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés, ne sont pas mis en péril», écrit la Cour d’appel.

Cela semble vouloir dire que tout le monde au Québec peut s’attendre à avoir des services dans une autre langue que le français, croit Me Moreau.

De plus, elle dit se demander si la Charte de la langue française sera encore utile quand l’exception prévue à son article 46 fait en sorte d’en annuler le principe de base.

«Je vois mal comment quelqu’un dorénavant va pouvoir perdre un dossier de bilinguisme au Québec. Il va falloir être malhabile», a tranché l’avocate.

Le syndicat n’a pas encore décidé s’il allait porter le jugement en appel.

Contactée mardi après-midi, la Ville de Gatineau n’a pas voulu commenter la décision.

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