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Lino Zambito écorche la classe politique dans un livre

Photo: Josie Desmarais/Métro

L’ex-entrepreneur Lino Zambito, témoin clé de la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction (CEIC), a terminé mercredi la première moitié de sa peine de deux ans à purger dans la collectivité. À cette occasion, il lance Le témoin, un livre dans lequel il raconte les coulisses de son arrestation et de son témoignage. Il dénonce aussi l’immobilisme du gouvernement et de la justice dans la lutte contre la collusion.

Pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre?
Parce que je me demande pourquoi, des différentes enquêtes auxquelles j’ai collaboré, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) décide de donner préséance à une et non à l’autre. Si je prends le cas de Boisbriand, quand l’ancienne mairesse, Sylvie Saint-Jean, a plaidé coupable, il y a eu une déclaration conjointe entre la Couronne et la défense dans laquelle on affirme que la mairesse actuelle, Marlène Cordato, a participé en 2006 à un système de fraude. Comment l’UPAC en 2016 peut tolérer que, dans des documents officiels, on dise qu’une personne a fait de la fraude et qu’on la laisse élue d’une ville?

Vous êtes donc très critique à l’égard du système de justice, qui laisse des dossiers en suspens?
Je pense qu’il y a trop d’interférence par les hautes autorités de l’UPAC qui font de la politique avec ces dossiers-là. On le voit avec la question des journalistes. La police décide de mener des enquêtes comme elle veut et je pense qu’il faut dénoncer ça. Que ce soit le chef du Parti libéral, l’ancien chef ou le grand argentier, quand les éléments de preuve sont là, il faut que les dossiers cheminent.

En plus du cas de Mme Cordato, vous évoquez celui de Sylvain Lépine, juge à la Cour du Québec et ancien procureur de l’UPAC, qui aurait coulé une information aux médias afin de nuire au Parti libéral et d’aider sa candidature avec la Coalition avenir Québec.
J’en ai parlé aux enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ), et trois semaines plus tard, Sylvain Lépine a été nommé juge. L’enquête n’a pas eu le temps de cheminer. On se ramasse avec un juge qui a fait de l’interférence. Que ce soit criminel ou que ce soit juste un problème d’éthique, ce n’est pas moi qui vais le décider. Mais pourquoi la SQ n’a pas donné les outils à Pauline Marois pour soutenir sa décision de le nommer juge? Pourquoi il n’y a pas un flag rouge sur cette personne?

Vous avez vous-même influencé le pouvoir politique. Vous ne devriez pas être surpris…
Le gouvernement hurle qu’il y a une clôture entre le politique et le policier. Moi, j’essaie de démontrer qu’elle est mince en titi. Si on prend Pietro Perino, qui est le deuxième plus haut fonctionnaire à Québec, il était l’associé de Luigi Coretti qui, en 2005-2006, s’occupait du financement du maire Gilles Vaillancourt à Laval. Comment, en 2016, peut-on se permettre de le nommer à un des postes les plus hauts du gouvernement et le laisser assister au Conseil des ministres? Il faut que le ménage se fasse.

«Il y a trop d’interventions politiques dans la justice et je pense qu’il est temps que les clôtures soient nettes» -Lino Zambito

Vous dites qu’il manque de volonté politique, mais d’où la solution va venir alors?
Je pense que le directeur de l’UPAC devrait être nommé aux deux tiers de l’Assemblée nationale, comme c’est le cas pour le vérificateur général. Tant que le gouvernement nommera le directeur de l’UPAC ou le directeur de la SQ, il va y avoir de l’interférence politique. Si on veut vraiment faire le ménage, qu’on commence par nommer ces gens aux deux tiers et ils vont avoir leur indépendance.

Vous racontez d’ailleurs le cas de Robert Lafrenière, qui a ficelé rapidement l’arrestation de Nathalie Normandeau pour rester à la tête de l’UPAC, alors que le ministre Martin Coiteux avait choisi quelqu’un pour le remplacer.
Robert Lafrenière, il a joué une game de poker et a bien joué ses cartes. Il a mis le gouvernement à genoux. Le Conseil des ministres a jugé que, politiquement, c’était moins dangereux de garder Lafrenière. Mais pendant ce temps, il fait les 20 000 volontés du politique et il ne fait pas sa job correctement.

Vous êtes également critique quant au rapport de la CEIC déposé l’an dernier.
Il y a du bon qui a été fait. Au niveau municipal, je pense que tout le monde a compris le système. Là où je suis critique, c’est au niveau provincial. Il aurait fallu un Marc Bibeau à la barre, un Jean Charest ou les chefs des autres partis, pour que la population comprenne comment le financement fonctionnait et ce qu’eux savaient.

Dans le livre, vous racontez que Marc Bibeau vous a appelé pour un renouvellement de bail de la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles. Cela rappelle le scandale de la Société immobilière du Québec (SIQ) mis au jour récemment. Ces révélations vous ont-elles surpris?
Non, pas du tout. Ce n’est pas vrai que ces gens-là ramassent de l’argent pour les partis politiques bénévolement. Ils ne mettraient pas tous ces efforts. Il y a un retour d’ascenseur qui se fait. Marc Bibeau, il faudrait scruter ses centres commerciaux. Je ne sais pas combien d’entités gouvernementales sont locataires dans ses édifices. Ce n’est pas à moi de le faire, mais à l’UPAC.

Vous dites dans Le Témoin que vous ne vouliez pas entrer dans le système de collusion, mais que vous n’aviez pas le choix. Vous n’auriez pas pu décidé de faire autre chose?
Il aurait fallu tout vendre et passer à un autre domaine. Au début, c’était sporadique la collusion, mais à partir de 2001, 2002, c’est devenu systématique. Et quand t’es plongé dans cette gangrène là, tu ne peux plus t’en sortir. 

Vos oncles qui avaient oeuvré dans le domaine pendant plus de vingt ans ne vous avaient pas averti de la corruption?
Oui, mais dans le temps tu pouvais aller travailler ailleurs. Ça se passait à Laval, mais si tu allais sur la couronne nord ou ailleurs, tu pouvais gagner ta vie humblement. Mais avec les années, les gens ont compris que les entrepreneurs à Laval s’enrichissaient à vitesse grand V, alors le système s’est implanté partout. Quand c’est arrivé au point où sur chaque appel d’offres tu te faisais téléphoner, il fallait que tu provoques ton tour. Sans ça tu ne travaillais plus. C’est là que c’est devenu un domaine complètement brûlé.

Le Témoin
Les Éditions de l’Homme

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