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Bois d’oeuvre: Ottawa examine les options

A stack of western red cedar wood is seen at CedarLine Industries in Surrey, B.C., on Monday April 24, 2017. THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck Photo: THE CANADIAN PRESS
Mylène Crête, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

OTTAWA — Le gouvernement canadien examine ses options pour réagir à l’imposition de droits, par Washington, sur le bois d’oeuvre canadien, mais il devra vraisemblablement attendre à l’an prochain avant de pouvoir utiliser la voie des tribunaux.

S’il ne sait pas encore quel outil il choisira, le ministre fédéral des Ressources naturelles, Jim Carr, assure cependant qu’Ottawa ne restera pas les bras croisés.

Dans les querelles passées sur le bois d’oeuvre, opposant le gouvernement canadien au voisin américain, Ottawa s’est parfois tourné vers l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et a aussi utilisé le chapitre 19 de l’ALÉNA.

Le gouvernement devra toutefois attendre de savoir combien exactement les États-Unis réclameront à l’industrie canadienne avant de lancer un recours. Une information que les fonctionnaires du gouvernement n’attendent pas avant décembre ou janvier.

«Nous avons obtenu gain de cause dans le passé et nous obtiendrons gain de cause encore», a déclaré le ministre Carr au cours d’une conférence de presse à Ottawa, mardi après-midi.

«Nous allons lutter contre cette décision devant les instances appropriées», a renchéri sa collègue Diane Lebouthillier, ministre du Revenu national.

Ces droits compensatoires ne sont qu’un nouveau chapitre dans le litige du bois d’oeuvre.

Les États-Unis pourraient également décider d’imposer des droits antidumping en juin qui s’ajouteraient à ceux annoncés lundi soir. Le département du Commerce américain prendra ensuite une décision finale sur le total des droits, ce qui pourrait survenir au début du mois de septembre ou plus tard.

Trois avenues seront alors possibles: une entente négociée entre les gouvernements canadien et américain, un retrait surprise des droits compensatoires par les Américains ou un nouveau recours devant les tribunaux.

La ministre Lebouthillier a exprimé candidement sa frustration devant cette querelle qui se répète «depuis 30 ans», se plaignant de vivre «le jour de la marmotte».

«Quand on regarde au cours des 30 dernières années, et bien on a pas mal mis nos oeufs dans le même panier et on se retrouve toujours dans la même situation. (…) Un coup que l’accord est terminé, il faut recommencer le processus de négociation. Et on est toujours en train de faire exactement les mêmes demandes, mais aussi les mêmes erreurs», s’est-elle plainte, plaidant pour la nécessité de diversifier les marchés pour ce produit.

Lui faisant écho, le ministre Carr a souligné que son collègue au Commerce international, François-Philippe Champagne, est justement en visite en Chine, pays où il ira lui-même en juin.

Le ministre Carr a également annoncé qu’il convoquait, cette semaine, le groupe de travail fédéral-provincial sur le bois d’oeuvre. Il a réitéré qu’un accord entre le Canada et les États-Unis sur le bois d’oeuvre était toujours possible.

Le ministre n’a pas annoncé d’argent frais pour l’industrie forestière, mais a invité les entreprises à utiliser les programmes de garanties de prêts déjà existants d’Exportation et développement Canada (EDC).

Le premier ministre Justin Trudeau s’est entretenu mardi avec le président américain Donald Trump. Le premier ministre du Canada a réfuté des «allégations sans fondement» au sujet du bois d’oeuvre et a qualifié d’injuste l’imposition de droits par les États-Unis, indique le compte-rendu de l’entretien fourni par le bureau du premier ministre.

M. Trudeau a insisté auprès de M. Trump sur le fait que le gouvernement fédéral allait «défendre vigoureusement» les intérêts du secteur canadien. Les deux dirigeants ont tout de même convenu qu’il était important de parvenir à une entente négociée et ont reconnu que l’industrie canadienne et l’industrie américaine sont étroitement liées, a-t-on indiqué.

Le compte-rendu souligne que le premier ministre et le président ont également discuté des échanges en matière de produits laitiers, pour réaffirmer que le Canada respecte ses obligations commerciales internationales, notamment celles en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain, «grâce auquel les États-Unis continuent de bénéficier d’un accès en franchise de droits et non contingenté pour les matières protéiques de lait, dont le lait diafiltré».

Trudeau s’adresse aux provinces
Une discussion a aussi eu lieu mardi en fin d’après-midi entre M. Trudeau et la plupart de ses homologues provinciaux.

Les premiers ministres ont convenu qu’ils continueraient à défendre «vigoureusement les intérêts de l’industrie canadienne du bois d’oeuvre» en recourant aux tribunaux s’il le faut, mais ont indiqué qu’une entente négociée était «dans l’intérêt supérieur du Canada et des États-Unis», selon le bureau du premier ministre Trudeau.

À l’issue de cette conversation, le gouvernement du Québec, qui avait accentué la pression sur Ottawa, avait changé de ton. Le premier ministre Philippe Couillard s’est dit satisfait des échanges, selon son porte-parole, Harold Fortin.

Durant cet entretien, le premier ministre Trudeau aurait réitéré son soutien «indéfectible» aux travailleurs forestiers. «Les lignes d’action du gouvernement fédéral sont complémentaires à celles des provinces», a ajouté M. Fortin sans préciser si le Québec espérait toujours une aide financière d’Ottawa pour l’industrie du bois d’oeuvre.

Plus tôt dans la journée, de passage à Kitchener, le premier ministre Trudeau a mis en garde contre un «épaississement» de la frontière, affirmant que les deux pays en souffriraient.

«Notre économie est grandement liée à celle des États-Unis, mais ce n’est pas une relation à sens unique», a tenu à rappeler M. Trudeau.

«Il y a des millions de bons emplois américains qui dépendent d’une circulation fluide de biens, de services et de gens», a-t-il réitéré.

«Vous ne pouvez pas épaissir cette frontière sans nuire à des gens des deux côtés», a-t-il averti.

Le département américain du Commerce a imposé des droits compensatoires sur les exportations canadiennes. Ceux-ci vont de 3 à 24 pour cent, selon la compagnie. Les plus petits joueurs de l’industrie se voient imposer un tarif de 19,88 pour cent.

Les sorties du premier ministre Trudeau et de ses ministres n’ont pas suffi à l’opposition néo-démocrate.

«La seule chose que le gouvernement Trudeau a à offrir, ce sont les programmes (de garanties de prêts) existants. Ça, c’est la preuve qu’ils n’ont rien vu venir», a accusé le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair.

Le chef adjoint du Parti conservateur, Denis Lebel, a également dénoncé l’inaction du gouvernement. «Le gouvernement Trudeau a mis en veilleuse l’une des plus importantes négociations commerciales de l’histoire du Canada», a-t-il écrit dans un communiqué rappelant que le dernier conflit du bois d’oeuvre a été réglé alors que les conservateurs étaient au pouvoir.

Les efforts du gouvernement Trudeau pour développer les exportations de bois d’oeuvre en Chine profiteront peut-être aux entreprises forestières de la Colombie-Britannique, mais pas à celles du Québec, a souligné la chef du Bloc québécois, Martine Ouellet, qui qualifie ces droits compensatoires de «coup de poing» économique.

Réactions de l’industrie
Ces droits compensatoires sont «injustifiés et sans fondement», estime l’Association des produits forestiers du Canada qui craint des pertes d’emplois. Elle appuie «totalement» la position du gouvernement fédéral pour obtenir une «structure commerciale juste et équitable».

Des centaines de Canadiens risquent maintenant de se retrouver au chômage, a également indiqué le Syndicat des Métallos. Il demande au gouvernement fédéral de mettre l’emphase sur la négociation d’une entente avec les États-Unis sur le bois d’oeuvre pour mettre fin au litige.

«Le Canada ne doit pas se laisser intimider», a affirmé le porte-parole de Produit forestiers Résolu, Seth Kursman. L’entreprise domine l’industrie au Québec et en Ontario.

«Nous sommes déçus de l’imposition de ces tarifs préliminaires et nous continuons de croire que l’Ontario et le Québec doivent obtenir un accès libre au marché américain», a-t-il renchéri.

L’industrie forestière du Québec est doublement pénalisée par les nouveaux tarifs américains sur le bois d’oeuvre, déplore le maire de Saint-Félicien, Gilles Potvin.

«Ça nous met vraiment dans une situation difficile et les dernières petites entreprises familiales qui demeuraient dans la course vont être pénalisées encore davantage, a-t-il souligné. Elles n’auront pas la capacité de supporter cette nouvelle pression-là.»

Ces tarifs s’ajouteront aux frais associés au régime forestier en vigueur au Québec depuis 2013, a expliqué M. Potvin, qui est également porte-parole du comité de la forêt pour l’Union des municipalités du Québec (UMQ). En vertu de ce régime, 25 pour cent de l’approvisionnement en bois est mis aux enchères.

L’UMQ dénonce vigoureusement la décision du département américain du Commerce et exige un coup de pouce du gouvernement fédéral le plus rapidement possible sous la forme de garanties de prêts pour les entreprises touchées.

«En cette belle année du 150e (de la Confédération) où on fête ce beau grand pays-là qui est venu au monde par la forêt, entre autres, — c’est l’industrie forestière qui a été un vecteur de développement du Canada — est-ce qu’on ne pourrait pas avoir un peu de considération de la part de notre premier ministre?», a-t-il demandé.

Des représentants du comité de la forêt de l’UMQ s’étaient déplacés à Ottawa en février pour sensibiliser les parlementaires, mais M. Potvin dit avoir senti «beaucoup d’indifférence» de la part des députés libéraux.

L’UMQ juge que l’impact financier de la décision américaine pourrait dépasser les 200 millions $. Gilles Potvin craint un ralentissement économique dans les régions ressources. Plus de 220 municipalités québécoises vivent du secteur forestier.

Le Conseil de l’industrie forestière du Québec évalue qu’un tarif de 20 pour cent coûterait entre 200 et 250 millions $ aux entreprises de la province.

Le Conseil du patronat du Québec demande au gouvernement fédéral de «passer à la vitesse supérieure» et de compléter le programme d’aide annoncé par le gouvernement québécois mardi après-midi.

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