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L’internet a changé la donne depuis le cas Cédrika

Photo: Archives | Métro
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Internet a changé la donne depuis l’enlèvement de Cédrika Provencher le 31 juillet 2007: si les réseaux sociaux — en constante progression — sont des outils qui aident à retracer les jeunes portés disparus, ils ouvrent aussi de terribles possibilités aux criminels qui s’en servent pour leurrer des enfants.

Car le danger ne rôde plus seulement dans les parcs et les rues des villes, il se cache aussi derrière les écrans d’ordinateurs.

Il y a 10 ans, la petite Cédrika, âgée de neuf ans, a été portée disparue à Trois-Rivières. Certains de ses ossements ont été retrouvés huit ans et demi plus tard et la police n’a pas encore mis la main au collet d’un suspect. Si les policiers en savent plus sur ce qui lui est arrivé, ils ne l’ont pas encore révélé au public.

Les enlèvements d’enfants par des étrangers qui veulent les agresser sont le cauchemar des parents, mais ils demeurent plutôt rares, relève la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui compile les données.

Et parmi les possibilités offertes par l’informatique aux criminels, il y a le leurre de mineurs par internet, une infraction dont le nombre a explosé ces dernières années.

Au Québec, les données font état de deux cas de leurre d’enfants par ordinateur en 2002. Mais en 2008, la police en recensait 80, puis 248 en 2013, 413 en 2014 et 373 en 2015.

Lorsqu’on parle de leurre d’enfant, on fait référence à tous les actes prohibés par l’article 172.1 (1) du Code criminel: il est interdit à un adulte de communiquer avec un mineur en vue de commettre une infraction d’ordre sexuel comme, par exemple, avoir des contacts sexuels avec un jeune de moins de 16 ans, d’inciter un jeune à avoir des contacts sexuels ou de l’inciter à s’exhiber devant sa webcam.

Cette hausse notable de cas de leurre de mineurs est en partie due à la technologie, plus accessible, qui permet ces crimes, mais il y a une autre raison, a indiqué en entrevue Francis Fortin, professeur adjoint à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et chercheur au Centre international de criminologie comparée (CICC).

Il explique que la police a investi beaucoup d’efforts pour traquer les criminels en ligne. Puisque cela permet plus d’arrestations et de dépôts d’accusations, les statistiques des cas de leurre d’enfants augmentent. Il ne serait donc pas exact de dire, selon lui, que cela est dû uniquement à une augmentation de crimes de ce genre.

De l’avis du directeur du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), Philippe Pichet, l’arrivée de l’internet a changé bien des choses, dont l’avènement de nouvelles méthodes d’enquête et de surveillance.

«Ça nous amène des outils mais aussi des problématiques», dit-il, faisant référence à la cyberintimidation, mais aussi au leurre d’enfant par ordinateur.

Au SPVM, l’équipe des crimes technologiques a récemment embauché plusieurs personnes — enquêteurs et techniciens informatiques — pour faire face au virage numérique.

Le professeur Fortin constate qu’il y a un déplacement du lieu du risque pour les jeunes: approcher un enfant dans une cour d’école ou dans un parc devient difficile, vu la vigilance de tous. «Si vous êtes un homme, essayez de vous approcher d’une cour d’école!», lance-t-il.

«Mais à peu près tout le monde a son compte Facebook, ça devient plus intéressant de recruter là-dessus. Il y a d’autres endroits que Facebook, mais c’est une bonne porte d’entrée, affirme le spécialiste. Moi je pense qu’on est là. Je vois le déplacement du risque, de par la facilité et l’accessibilité.»

Et même si Facebook n’est pas la méthode utilisée pour initier la première rencontre — il y a de très nombreux sites de clavardage — il est possible que ce soit un vecteur de continuité de contacts avec la victime. «Dans le temps, garder contact avec un jeune, ça aurait été par téléphone et les parents auraient dit: ‘c’est qui le Monsieur qui t’appelle?’»

«Ça a changé la donne, à mon avis.»

Pina Arcamone, la directrice générale du Réseau Enfants-Retour, affirme avoir été marquée par un cas survenu il y a quelques années. Un prédateur belge a contacté par internet un jeune de 13 ans du Québec. Il est venu à Montréal et se préparait à partir avec l’adolescent. La famille a alerté la police à temps, et il a été retrouvé dans un motel de la rue Saint-Hubert, relate-t-elle.

Si les parents ont peur des prédateurs sexuels potentiels dans les rues et les parcs, avec les ordinateurs, «ils laissent pourtant des étrangers entrer dans la chambre de leur enfant», avertit-elle.

Les réseaux sociaux qui aident
Tout n’est pas sombre. L’internet et les médias sociaux peuvent aussi aider dans les cas de disparitions, note le professeur Fortin.

Ils permettent de retracer des témoins sur Facebook, de voir où la personne se trouvait récemment, en raison des fonctions de géolocalisation de bon nombre d’activités sur ce site. Et l’on peut obtenir d’autres indices avec les téléphones cellulaires, renchérit l’expert.

«C’est rapide. Tout le monde est sur Facebook et les statistiques démontrent que les gens vont aller voir Facebook plusieurs fois par jour», dit-il.

C’est plus efficace que de voir la nouvelle de la disparition une seule fois en lisant le journal le matin, juge-t-il. Et l’internet permet de partager la nouvelle sur de nombreux sites en quelques clics — et quelques secondes.

Philippe Pichet, du SPVM, est du même avis. Twitter révèle une foule d’indices, notamment par les échanges entre les jeunes qui demandent si quelqu’un a été vu, et quand, dit-il.

Et puis, cela permet une diffusion plus rapide. «Si l’on pense à l’alerte Amber, avant, ça passait à la télé mais maintenant c’est diffusé partout, tout le monde le retweet, donc tu atteins un plus grand nombre de personnes, plus rapidement», explique le directeur du SPVM.

La célèbre «alerte Amber», activée quand un enfant disparaît, a désormais sa propre page Facebook au Québec. Plus de 90 000 personnes ont «aimé» cette page et seront donc avisées quand elle est déclenchée. Les téléphones des abonnés de l’alerte sonneront lorsqu’un enfant est porté disparu.

«En une seconde, on rejoint énormément de gens», estime Mme Arcamone.

Dans le cas de Cédrika, cela a pris plusieurs heures, voire le lendemain matin avant que des avis de disparition ne circulent dans les médias, et l’alerte Amber n’avait pas été activée dans son cas, se rappelle-t-elle.

Des cas bien réels
Parfois, Facebook peut aussi s’avérer un précieux allié. Le 26 mai 2014, un nouveau-né, «Bébé Victoria», a été enlevé de l’hôpital de Trois-Rivières en début de soirée, cite en exemple M. Pichet.

Quatre jeunes ont vu circuler sur les médias sociaux la photo de la suspecte et la description de son véhicule.

Ils se sont mis à sa recherche, «parce qu’ils se sont sentis interpellés et qu’ils n’avaient rien à faire» ce soir-là, ont-ils raconté aux journalistes après l’heureux dénouement. L’une des jeunes filles a reconnu son ancienne voisine sur l’une des photos diffusées et ils ont aussi recherché la voiture. Ils l’ont trouvée et appelé la police. Le bébé a été retourné à ses parents le soir même.

La nature du crime a beaucoup à voir avec sa diffusion à grande échelle. «Personne ne reste indifférent ou insensible devant un enlèvement d’enfant», estime Mme Arcamone.

Les réseaux sociaux aident à retracer les jeunes fugueurs aussi.

Dans le cas de Jade Maréchal, une adolescente de 16 ans portée disparue l’été dernier, les utilisateurs des médias sociaux ont donné un sérieux coup de main. Sa photo et sa description se sont propagées à une vitesse folle sur Twitter et Facebook et la jeune fille a été retrouvée quelques jours plus tard.

Depuis, les cas se multiplient sur internet et les citoyens sont rapidement mis à contribution.

Les médias sociaux peuvent ainsi mener à une bonne collaboration entre les citoyens et les policiers, un autre point positif, conclut M. Pichet du SPVM.

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