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Questions et réponses avec Pauline Marois

Photo: Graham Hughes/La Presse canadienne
Vicky Fragasso-Marquis, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La Presse canadienne s’est entretenue avec Pauline Marois cinq ans après son élection comme première ministre du Québec et après l’attentat survenu au Métropolis. Voici les questions qui lui ont été posées, ainsi que les réponses, qui ont été raccourcies pour faciliter la lecture.

Pouvez-vous revenir sur cette soirée? Comment vous avez vécu ça?

J’y reviens toujours avec un petit peu de douleur quand je pense à ça. On m’invite à participer à des émissions, et je ne veux pas le faire, je ne veux pas revivre tout ça, honnêtement. J’ai vécu ça très sereinement, étonnamment. Parce que je me suis sentie comme responsable du fait que je devais calmer le jeu, pendant que ça s’est passé et après. D’ailleurs, il y a beaucoup de personnes politiques qui auraient profité de cet événement pour apparaître comme des victimes — ce que j’étais. Dave Courage et (Denis) Blanchette l’étaient pas mal plus que moi parce que l’un est mort et l’autre a malheureusement subi des blessures très graves, mais je ne voulais pas m’appesantir sur cette triste aventure.

Je n’ai pas voulu utiliser cet événement pour en faire un cas d’attentat politique, mais je dois vous dire que j’ai été particulièrement satisfaite du jugement qui a été posé par les tribunaux, par le juge qui a reconnu qu’il y avait là une atteinte à la démocratie. Et ça, ça a comme pansé mes blessures, je crois que c’est comme ça qu’il faut le voir. Je ne voulais pas exacerber les tensions avec la communauté anglophone, j’ai toujours été très accueillante, très ouverte, très respectueuse des droits des Anglo-Québécois, donc je ne voulais pas intervenir sur cet angle-là.

On a parlé à Yves Desgagnés (l’animateur de la soirée) etildisait être très surpris de vous revoir sur scène après avoir quitté brusquement… Vous, vous étiez à l’aise avec ça?

Pour moi, c’était très important. Il faut vous dire que j’avais vu dans les coulisses de la fumée qui entrait dans la salle, dans les coulisses, derrière la scène. Ma préoccupation, ça a été: s’il faut que les gens voient qu’il y a de la fumée, ils vont peut-être paniquer. Et la salle était remplie. Remplie est un mot petit, il y avait du monde partout. On sait que dans des foules, quand il y a un mouvement, sans qu’il y ait même d’incendie, les gens s’écrasent, les gens se bousculent, c’est une salle avec des gradins, etc.

Je n’ai même pas pensé que je pouvais être en danger, que mon intégrité physique pouvait être mise à risque. Absolument pas. La seule chose à laquelle je pensais, c’était: il ne faut pas que les gens paniquent, ça va être terrible.

Est-ce que vous avez ressenti de la peur après l’événement?

Je n’ai jamais ressenti de la peur. C’est peut-être incroyable de dire ça, mais j’ai ressenti de la peine, de la douleur pour les gens qui avaient été… J’ai appris par la suite — parce que je ne l’ai pas su sur le moment — qu’il y avait quelqu’un de blessé à mort, qu’un autre était sérieusement blessé. Et d’ailleurs, il va en subir les conséquences (…) J’en suis très triste parce qu’il a payé pour moi, cet homme-là, on s’entend. Donc, c’est plus de la douleur que j’ai ressentie. Un peu d’indignation aussi qu’on attaque des gens dans un moment de grand bonheur, un moment aussi où la démocratie a parlé. Pour moi, c’est plus cette attitude-là que j’ai eue.

Vous avez dit que Dave Courage a payé le prix à votre place. Vous ressentez vraiment ça?

Ah, oui. Vraiment. M. Blanchette, d’abord, qui lui est décédé et Dave Courage. Ce n’est pas eux qu’on voulait tuer. Ce n’est pas eux qu’on voulait attaquer. C’était moi. C’était moi, la cible. Ou mes collaborateurs ou mes collègues. Alors je suis très consciente qu’il a payé pour moi. Ça, c’est très clair.

Est-ce que vous avez fait la paix avec cet événement-là et avez-vous pardonnéà Bain?

Oui, oui. À partir du moment où il y a un jugement et qu’il y a une condamnation, et qu’il y a une peine… Oui, je suis quelqu’un qui pardonne. Vous savez, il y a un bon vieux fond de travailleuse sociale chez moi.

Pensez-vous que cet événement-là a eu des répercussions sur vos premiers mois au pouvoir?

Non, parce que je ne l’ai pas voulu. Je n’ai pas voulu m’appesantir sur cet événement-là. J’ai tourné la page, je me suis dit que ça relevait maintenant de la justice et moi, j’avais un sentiment d’urgence au lendemain de l’élection. Nous avons été élus dans un contexte de gouvernement minoritaire. Il fallait agir le plus rapidement possible, alors je me suis mise au travail et cet événement a été derrière moi.

Si on parle de votre gouvernement, de 2012 à 2014, est-ce que vous auriez fait les choses autrement? Et si oui, qu’est-ce que vous feriez autrement?

Pas beaucoup, honnêtement. D’abord, je sentais l’urgence, j’étais consciente qu’on était en sursis. J’aurais peut-être pris plus de temps pour certains dossiers. L’exemple, évidemment, qui est encore à l’ordre du jour parce que personne n’a réglé cela, c’est la fameuse charte des valeurs. Moi, je ne renie rien de ce que j’ai fait à ce niveau-là et ça me choque un peu quand j’entends les gens dire qu’on a vraiment divisé le Québec. Vous savez, on a proposé la laïcité. Je l’ai relu, moi, le projet de loi. Il y a une chose qui heurtait, c’était le port des signes religieux. Mais quand on relit la loi, c’est impeccable. Et au lieu de l’appeler charte des valeurs, nous aurions dû l’appeler charte de la laïcité, ça là-dessus, j’en conviens. Et deuxième chose, j’aurais pris plus le temps et peut-être modifié un peu des exigences relativement au port de signes religieux.

La langue, peut-être aurions-nous dû faire quelques compromis, mais chaque fois qu’on faisait un compromis, on nous en demandait davantage. Comme on était minoritaire, on ne pouvait pas la faire adopter seule, comme formation politique, alors moi, je ne voulais plus en faire. À force de faire des compromis, on vit la situation dans laquelle on se trouve maintenant.

Mais pour le reste, nous étions dans la bonne voie. On a mis de l’avant plusieurs projets très audacieux, on a évidemment consolidé ce à quoi on croyait: nos centres de la petite enfance. Et on a mis de l’avant une autre politique sociale qui aurait dû être adoptée si nous avions eu le temps, c’est l’assurance-autonomie, pour les personnes âgées en particulier, mais les personnes en perte d’autonomie en général.

Moi je suis très fière de ce qu’on a fait. Je vais même aborder cette question qui a été controversée et avec laquelle les gens se sont sentis un peu mal à l’aise, pas moi: la question de l’exploitation du pétrole sur l’île d’Anticosti. Notre idée, ce n’était pas de réduire le prix du pétrole ici, c’était de remplacer le pétrole étranger par un autre — s’il y en avait. Et, s’il y en avait, que nous pouvions exploiter de façon responsable. Alors quand on fait la grande démonstration que c’est terrible aller exploiter sur l’île, un bijou — c’est vrai que c’est un bijou — mais l’île est 17 fois plus grande que l’île de Montréal. Donc essayons de ne pas exagérer, on n’allait pas faire des trous de gruyère sur l’île. Il y avait quelques puits pour voir s’il y en avait.

Le gouvernement a fait un autre choix, notre formation politique a dénoncé ce que nous avions fait. Je respecte ça, c’est leur choix, mais je veux juste qu’on comprenne qu’on n’était pas des gens irresponsables qui voulaient faire ça en ne s’occupant pas de l’environnement. Nous avions un objectif précis, c’était d’enrichir les Québécois, de le faire de façon responsable. C’est derrière nous, le gouvernement a fait ses choix, c’est correct. Je ne suis pas d’accord, mais je ne veux pas qu’on nous blâme comme si on avait été irresponsable, comme si on n’avait pas réfléchi à tout ça. On y avait réfléchi et ce n’est pas sur un coin de table qu’on a pris la décision.

Pourquoi dites-vous que vous n’aviez pas assez de temps devant vous?

Parce qu’on était en sursis, on était un gouvernement minoritaire. Quand les gens nous ont dit: vous avez adopté une loi sur les élections à date fixe et vous étiez les premiers à aller contre votre loi. Dans la loi, il est prévu qu’on puisse tenir des élections si nous sommes dans la situation comme celle dans laquelle nous étions. Les partis d’opposition pouvaient nous battre, mais nous, on ne pouvait pas décider de prendre l’initiative. C’est évident qu’à partir du moment où on a senti qu’il y avait un certain appui populaire, je ne m’en cache pas, on s’est dit: c’est peut-être le moment de se représenter devant la population, surtout qu’on bloquait sur presque tous les projets qu’on avait mis de l’avant qui étaient un peu contentieux.

Donc vous ne regrettez pas d’avoir déclenché les élections à ce moment-là?

Non. C’est facile de réécrire l’histoire, puis de vouloir rentrer la pâte à dents dans le tube, mais à ce moment-là, nous avions évalué que la conjoncture était la plus favorable pour aller chercher un mandat majoritaire, c’était ça notre objectif. Et de former le prochain gouvernement en ayant les coudées franches pour faire avancer les dossiers auxquels nous croyions.

En 2014, est-ce qu’on se trompe en disant que c’est la campagne qui a tout changé?

Oui, c’est la campagne. Le Parti libéral, en particulier, a joué beaucoup sur la peur du référendum et comme moi j’avais fait faire un grand bout de chemin à mon parti… Nous voulions proposer un livre blanc, un peu comme l’a fait l’Écosse. C’est ce qu’on préparait, mais le temps nous a manqué. Un livre blanc pour qu’on regarde c’est quoi la réalité du Québec dans la situation du fédéralisme tel qu’on le connaît, quelle est la situation possible du Québec dans un État souverain. On aurait pu débattre très librement de ça, puis éventuellement, oui, tenir un référendum, mais pas obligatoirement tenir un référendum.

L’arrivée de Pierre Karl Péladeau a eu un impact aussi. Moi, j’étais très fière et je suis toujours très fière de l’avoir invité à se joindre à nous. Autant c’était un signal très positif et très fort, autant ça l’était aussi de par sa déclaration du fait qu’il venait pour un pays. Je ne pouvais pas lui dire: c’est pas bien bon ce que vous avez fait, parce que moi aussi j’étais là pour le pays! Ça a été un moment très fort, et qui a amplifié le phénomène sur lequel jouait le Parti libéral. Ça, ça a fait basculer.

Et puis, là, j’aurais pu agir autrement dans les différentes mêlées de presse qui ont suivi… On m’a beaucoup posé de questions sur la monnaie, etc. Moi, j’ai spontanément répondu. J’aurais pas dû (rires). Ça a donné encore plus l’impression qu’on s’en allait vers un référendum.

Ce soir-là, vous êtes devenue la première femme première ministre. Est-ce que vous aviez cette ambition depuis longtemps?

C’est drôle, mais les gens ont toujours dit: elle rêvait d’être première ministre depuis si longtemps. En fait, j’ai commencé à y penser autour des années 1985 lorsque M. Lévesque a quitté et que je me suis présentée (pour le remplacer). Mais je ne suis pas venue en politique avec cette idée-là, au contraire. Ce n’est pas un rêve que j’ai eu pendant 40 ans de ma vie. Mais quand je suis revenue au parti avec M. (Jacques) Parizeau, lorsque Pierre Marc Johnson a quitté, j’ai recommencé à y penser. Encore là, je ne me sentais pas suffisamment prête. C’est plutôt dans les dernières décennies où cette idée a germé.

C’est un grand objet de fierté pour moi que d’avoir brisé le plafond de verre. Ce fameux plafond qu’on ne voit pas, mais qui est là et qui nous empêche d’accéder à des postes supérieurs. C’est vrai dans le monde des affaires, c’est vrai dans l’ensemble de nos institutions. Ça se corrige, mais lentement.

Comme première ministre, être une femme, est-ce que ça vous a nui, aidée ou ça n’a pas joué?

C’est difficile pour moi de répondre à cette question-là. Des fois, je me dis: ça a nui parce qu’on nous regarde toujours sous un angle particulier. Quand j’étais chef du parti, entre autres, chaque événement qu’il y avait dans le parti c’était comme un défi, comme une course à obstacles: est-ce qu’elle va passer au travers? Est-ce qu’elle va réussir? J’avais l’impression qu’on m’en demandait plus à moi. Quand j’ai été élue, il y avait encore probablement un peu de réticence dans une certaine catégorie de la population à élire une femme.

Il y a probablement eu un impact au moment de l’élection de 2012. J’ai eu beaucoup d’appui des femmes, on le sait par les résultats qu’on est allés analyser par la suite. Mais par contre, il y a des femmes et des hommes qui, eux, étaient plus critiques et plus sceptiques. Est-ce que ça a joué pour trois ou quatre pour cent? Je ne sais pas. Bon, maintenant, une fois élue, moi je me suis comportée en fonction de ce que je croyais, je n’ai pas essayé de me transformer. C’est sûr qu’à un moment donné, j’ai dû travailler sur un ton un peu plus agressif quand j’étais avec M. Charest (Jean), parce que tout le monde pensait qu’il allait me bouffer tout rond. Alors je me suis dit: je vais me défendre!

Est-ce que vous avez senti quand vous étiez chef, quand vous étiez première ministre que, par exemple, on parlait plus de votre apparence…

Ça, c’est l’histoire de ma vie! (rires) Mais j’ai fini par faire abstraction de ça, parce que je n’en pouvais plus, de me faire parler de mes bijoux, de mes foulards. Un moment donné, j’ai réglé ça, je suis revenue à des choses très sobres, qui ne faisaient pas la différence: le noir, le gris, bleu, brun; je ne sortais pas trop de ces gammes-là. Les bijoux ont rapetissé. Quand une femme ne se maquille pas, on a l’air plus fatiguée. Un homme, même quand c’est fatigué, on va lui dire qu’il a trop travaillé; nous, c’est peut-être parce qu’on n’est pas capable de supporter la tâche.

Je les connais toutes, ces réactions-là, mais j’ai décidé d’en faire abstraction. Parce que je ne voulais pas que ça m’empêche de faire ce que je voulais, d’être moi-même, d’aller au bout des projets auxquels je croyais. Je pense que j’étais encore plus moi-même dans toutes mes dimensions que jamais quand j’ai été première ministre. D’abord, je me sentais bien, j’aimais passionnément ce que je faisais. J’avais une belle équipe autour de moi, des gens solides, convaincus, compétents. Alors j’ai vraiment agi au meilleur de mes connaissances, de mes compétences et de ma conscience. Et j’aimais, j’aimais ce que je faisais.

Est-ce que vous vous ennuyez de la politique?

Non. (Rires) Honnêtement, je m’ennuie de faire avancer des choses et quand je vois comment agit le gouvernement actuel, ça me désespère à peu près tous les matins. Je joue à la gérante d’estrade dans mon salon, je trouve ça décourageant, le gouvernement n’a aucune vision. Une chance inouïe que l’économie aille bien! Je suis un peu en désarroi et les derniers gestes posés par le gouvernement sur le racisme systémique, ça me blesse. Je suis outrée par cette attitude-là, qui est en train dans le fond de laisser entendre que nous serions un peuple de racistes et qu’on n’a plus le droit d’être ce que nous sommes et de voir respecter notre identité, notre différence.

Oui, il y a du racisme dans notre société, il y en a dans toutes les sociétés du monde, j’en conviens. Oui, il y a des gestes qui sont posés qui doivent être critiqués et qu’on doit dénoncer. Mais dire que systématiquement, dans les institutions, on pratique du racisme systémique — systémique, ça veut dire que c’est inclus dans un système — j’ai beaucoup d’opposition à cela. Je suis en profond désaccord et surtout, choquée. On est en train d’apprendre à nous détester et c’est très mauvais si on veut être capable de se respecter, de s’aimer et d’accueillir les autres.

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