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Bombardier: Couillard prône la ligne dure

Francois Mori / La Presse Canadienne Photo: Francois Mori
Patrice Bergeron, Jocelyne Richer et Mylène Crête, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

La guerre commerciale déclarée entre Bombardier et Boeing est loin d’être terminée et c’est le Québec qui va la gagner, a soutenu avec assurance le premier ministre Philippe Couillard, mercredi, à la suite de l’imposition la veille de droits compensatoires de 220 pour cent du Département du commerce américain contre Bombardier et ses appareils de la CSeries.

En conférence de presse, sur un ton solennel, M. Couillard a exhorté le gouvernement fédéral et le premier ministre Justin Trudeau à adopter la ligne dure, «très dure», envers «l’arrogante» Boeing et à défendre bec et ongles le géant québécois de l’aéronautique.

«Le Québec est frappé au coeur de son économie», a déploré le premier ministre, prêt à riposter.

«Pas un boulon, pas une pièce, pas un avion» de l’américaine Boeing ne doit à compter de maintenant être acheté par le Canada, tant que ce litige ne sera pas réglé, a dit souhaiter M. Couillard.

La décision, si elle est maintenue, revient à dire que le marché américain est désormais fermé à Bombardier, qui devrait vendre ses appareils trois fois le prix réel pour s’y conformer.

Le Québec va résister et se défendre, a-t-il promis, dénonçant la «mauvaise foi» de l’avionneur américain «gavé» lui-même de subventions gouvernementales depuis des années.

Dans les circonstances, M. Couillard n’a pas exclu que le Québec doive injecter de nouveaux fonds publics dans le fleuron québécois de l’aérospatiale, mais «pas pour l’instant», a-t-il dit. Il a déjà consenti pas moins de 1,3 milliard $, en 2015, sous forme de participation dans le capital-actions de la CSeries, par le biais d’Investissement Québec.

Sans cette initiative de Québec, c’était la fin de la CSeries, la fin de Bombardier aéronautique, a réaffirmé M. Couillard pour justifier le sauvetage financier orchestré en 2015.

Mardi soir, à la surprise générale, le Département américain du commerce (DOC) a donné raison à Boeing, en considérant que Bombardier recevait des subventions gouvernementales injustifiées.

Boeing n’avait pas digéré que Bombardier avait vendu 75 avions CS100 à Delta Airlines avec une option d’achat pour 50 autres, et l’avionneur a décidé de porter plainte à la DOC.

Le premier ministre, convaincu que Boeing cherche carrément à «tuer» Bombardier, a réaffirmé que la forme de soutien apporté par son gouvernement à la CSeries n’avait rien à voir avec des subventions.

Le Québec a respecté en tous points les règles commerciales internationales, selon lui.

Le Québec entend donc plaider sa cause auprès des autorités américaines cet automne, avant que la décision «injuste» du DOC devienne officielle, en décembre. Par la suite, le Québec pourrait devoir recourir aux tribunaux pour obtenir gain de cause.

Entre-temps, Bombardier, avec l’appui du gouvernement, n’aura d’autre choix que celui de se tourner vers d’autres marchés potentiels, comme celui de la Chine.

Mercredi, l’avenir de Bombardier était au coeur des discussions en cours à l’Assemblée nationale, encore sous le choc de la décision américaine rendue la veille.

Le président de l’Assemblée nationale, Jacques Chagnon, a donné suite à une demande visant à tenir un débat d’urgence de deux heures en Chambre pour analyser la situation, le jour même.

Une motion d’appui à Bombardier, présentée par la ministre de l’Économie, Dominique Anglade, a été adoptée à l’unanimité en matinée.

Le premier ministre Couillard a lancé un appel à ses adversaires, dans l’espoir que la classe politique québécoise présente un front uni derrière Bombardier.

Mais son souhait n’a pas été réalisé.

Le chef de l’opposition officielle, Jean-François Lisée, est revenu à la charge lors d’une mêlée de presse pour reprocher au gouvernement Couillard d’avoir choisi en 2015 d’investir uniquement dans la CSeries, au lieu de soutenir financièrement la multinationale dans son ensemble, prêtant ainsi flanc aux critiques et aux contestations, selon lui.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a fait valoir que les gouvernements – au premier chef Ottawa – devaient prévoir un «Plan B» visant à soulager Bombardier des énormes droits compensatoires exigés par les Américains, dans l’attente d’un règlement du litige.

Le but poursuivi serait de faire en sorte que Bombardier puisse livrer ses appareils comme prévu à Delta, l’an prochain, sans coût supplémentaire, a-t-il dit.

«C’est rendu au gouvernement fédéral à faire sa part dans le dossier», selon le chef caquiste, rappelant que la contribution d’Ottawa à la CSeries se limitait à un prêt de 124 millions $ jusqu’à maintenant.

Mais selon le ministre des Finances, Carlos Leitao, la suggestion de M. Legault constitue précisément «la chose à ne pas faire» pour éviter de se faire taxer de subventionner l’entreprise.

Selon le député solidaire de Mercier, Amir Khadir, «ce sont les travailleuses et les travailleurs qui feront les frais» de la nouvelle guerre commerciale déclarée entre Bombardier et Boeing.

D’autres réactions

— À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a réagi à la décision des autorités américaines, mercredi matin, sans toutefois répéter sa menace à l’endroit de Boeing.

«Évidemment, c’est une décision décevante, mais comme je l’ai toujours dit on va toujours se battre pour les emplois canadiens», a-t-il déclaré à l’entrée du caucus des députés libéraux.

Justin Trudeau avait menacé il y a quelques semaines de ne plus acheter à Boeing ses avions-chasseurs Super Hornet si l’entreprise ne retirait pas sa plainte.

— «Boeing se sent menacé et c’est pour ça qu’ils ont pris cette mesure-là. Alors, je veux dire aux Québécois et je veux dire aux Canadiens que nous allons faire tout notre possible pour protéger Bombardier, les employés de Bombardier et l’industrie aéronautique au Canada.»

Marc Garneau, ministre des Transports

— Le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, estime que la décision du département du commerce américain en faveur de Boeing risque de teinter les négociations de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) en cours à Ottawa.

«C’est clair que nos homologues américains comprennent jusqu’à quel point nous sommes contrariés par cette décision et comment nous évaluons toutes nos options», a affirmé le ministre Champagne.

«Ça démontre aussi que Boeing n’est pas un partenaire fiable. On leur a dit en français en anglais et j’espère qu’ils ont compris le message», a-t-il signalé. Il a ajouté que les fournisseurs américains de Bombardier seront aussi touchés par cette décision et qui aura, par conséquent, un impact sur l’emploi aux États-Unis.

«C’est une décision qui a des impacts ici, mais c’est une décision qui a des impacts aussi aux États-Unis. Il y a 23 000 emplois qui dépendent de Bombardier aux États-Unis et donc on va contester cette décision», a fait valoir la ministre Mélanie Joly.

— «Le gouvernement fédéral a mal géré cette situation dès le début en choisissant de donner une subvention, et c’est à lui de défendre sa position devant les tribunaux. Nous sommes très préoccupés que (sa) décision (du gouvernement) puisse avoir un résultat pire que s’il n’avait jamais donné de subvention.»

-Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada

— Ces droits compensatoires sont injustes, selon le député conservateur Maxime Bernier qui blâme le gouvernement et le presse de s’entendre avec ses partenaires commerciaux pour limiter les subventions à l’industrie de l’aéronautique.

«Premièrement, le gouvernement du Canada a donné des munitions à Boeing avec son prêt de 372 millions $, prêt où les conditions de remboursement n’ont pas été rendues publiques. Donc, ce sont des arguments dont Boeing s’est servi pour déposer sa plainte.»

«Jusqu’à maintenant, tout ce que Justin Trudeau a réussi à faire, c’est de menacer d’annuler un contrat qui n’existe même pas. Est-ce qu’on peut avoir un premier ministre qui, lorsqu’il parle avec le président américain, soulève ces questions importantes de commerce ? Parce que si on se fait malmener comme c’est le cas en aérospatiale, tout le reste va suivre dans les négociations de l’ALÉNA.»

-Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique

— Le Bloc québécois demande un débat d’urgence à la Chambre des communes pour discuter de la situation.

«On s’attend à ce que le premier ministre pose des gestes concrets, a affirmé le député Gabriel Ste-Marie. On ne peut pas l’échapper celle-là. Ce sont des milliers d’emplois pour Bombardier.»

Il estime que le Canada doit mettre sa menace à exécution et rejeter les Super Hornet de Boeing pour remplacer sa flotte vieillissante de CF-18.

— Invité à commenter le dossier, le maire de Montréal, Denis Coderre, n’a pas caché son inquiétude.

«On est toujours inquiet parce qu’on voit de la manière dont Boeing se comporte, a-t-il dit. Ce qui peut nous rassurer, si on peut parler de se rassurer, c’est que vous avez beaucoup d’intérêts américains et européens qui comprennent l’importance, que ça n’a pas de bon sens ce qui se passe aujourd’hui.»

— «Le jeu du protectionnisme est extrêmement néfaste parce que les gens parlent de (représailles) et là on s’en va vers des spirales où on détruit des emplois, on détruit de la valeur.»

-Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

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