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Loi 62: la ministre Vallée explique les modalités

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne Photo: Jacques Boissinot
Caroline Plante, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

QUÉBEC — Une femme voilée devra se découvrir le visage et s’identifier avant de monter dans l’autobus si elle est détentrice d’une carte étudiante, a illustré la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, mardi, dans le but de mieux expliquer la loi 62.

Cette même femme pourra se recouvrir le visage une fois assise dans l’autobus, si elle n’a plus besoin d’interagir avec un employé, a précisé la ministre, alors qu’elle présentait les règles d’application liées à l’obligation de donner et de recevoir les services publics à visage découvert.

Si la femme n’est pas détentrice d’une carte-photo qui lui donne un tarif réduit, elle pourra monter à bord de l’autobus sans se dévoiler.

La semaine dernière, Mme Vallée prétendait plutôt qu’une cliente — ou quiconque portait un masque, cagoule ou bandana — devait se dévoiler pendant toute la durée du trajet en autobus.

«Si mes propos ont pu être appelés à être interprétés, je fais amende honorable et je m’en excuse, tout simplement», a-t-elle déclaré, mardi, se défendant d’avoir contribué à alimenter la confusion.

Mme Vallée s’est vue forcée de détailler la loi 62 et de présenter ses règles d’application au grand public, mardi, devant le tollé que suscite la mesure législative depuis son adoption.

La loi, qualifiée «d’islamophobe» par la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, est entrée en vigueur au Québec mercredi dernier. Le gouvernement indique qu’il pourra avoir recours à une injonction ou à un contrôle judiciaire pour forcer les villes récalcitrantes à l’appliquer.

«Il n’y (avait) pas de règle uniforme d’application. Ce que nous présentons, c’est une règle uniforme d’application qui fait consensus à l’Assemblée nationale», a déclaré la ministre Vallée.

Les règles d’application, qui couvrent non seulement les transports en commun, mais aussi le réseau de la santé, les établissements d’enseignement, les services de garde, les greffes et les bibliothèques, étaient à l’origine destinées au personnel administratif des organismes seulement.

Dans le document remis aux journalistes, on précise que la loi ne vise pas à régir l’espace public, par exemple les parcs et les rues, mais plutôt à encadrer les interactions entre un employé et un bénéficiaire au moment précis de la prestation du service public.

À l’hôpital, une personne devra se découvrir à l’accueil, mais pourra se voiler le visage de nouveau en retournant dans la salle d’attente. Elle devra toutefois se découvrir au moment d’être vue par une infirmière ou un médecin.

La loi s’applique également aux écoles. Une personne masquée pourra ainsi circuler librement dans un campus par exemple, mais en classe, elle devra avoir le visage découvert, étant donné qu’une communication est requise entre l’étudiant et son enseignant pour faciliter les apprentissages.

On s’attend à ce que les agents de l’État aient le visage découvert en toutes circonstances, même s’ils n’entrent pas en relation avec une clientèle.

À noter que dans tous les cas, des demandes d’accommodements pour motifs religieux peuvent être faites. Celles-ci doivent toutefois respecter trois critères: identification, sécurité et communication. Les lignes directrices encadrant les accommodements raisonnables seront élaborées par le gouvernement Couillard d’ici la fin juin.

Le but n’est pas de réprimer, a insisté la ministre. «À dessein, elle ne contient pas de sanction. Le vivre-ensemble ne se développe pas par des sanctions, mais par le dialogue. Personne ne sera expulsé des transports collectifs, personne ne se verra refuser des soins de santé d’urgence, personne ne sera chassé d’une bibliothèque au Québec.»

Les avis juridiques ne seront pas publiés

Par ailleurs, Mme Vallée n’a pas l’intention de publier les avis juridiques sur lesquels elle s’est appuyée pour rédiger la loi 62.

Les avis qu’elle a obtenus des juristes de son ministère sont sous le secret professionnel, a-t-elle dit, en soutenant que l’élaboration de la loi «s’est faite d’une façon tout à fait respectueuse des chartes».

«Il n’est pas d’habitude pour le ministère de la Justice et surtout pour la procureure générale de soumettre ses avis», a-t-elle affirmé.

Pourtant, alors qu’elle était dans l’opposition en 2013-2014, Mme Vallée estimait que le gouvernement péquiste devait rendre publics les avis juridiques sur le projet de charte de la laïcité.

En campagne électorale, les libéraux s’étaient clairement engagés à publier les avis juridiques, dont l’ancienne première ministre Pauline Marois et le parrain du projet de charte, Bernard Drainville, laissaient entendre l’existence.

Un «gâchis», selon les partis d’opposition

Ulcéré, le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée, a déploré mardi que le gouvernement libéral change son discours en réaction aux critiques du Canada anglais.

«(Mme Vallée) a dit clairement que, pendant la totalité de la prestation d’un service, le visage devait être découvert. Et c’était vrai pour le métro, pour l’autobus. (…) Et là, maintenant, elle dit: Non, non, ce n’est plus la prestation du service, c’est seulement ceux qui doivent s’identifier, lorsqu’on demande à s’identifier, devront s’identifier. Tous les autres, non. Bien, c’est un changement majeur», a-t-il affirmé.

La ministre aurait ainsi commis un outrage au Parlement en induisant délibérément les parlementaires en erreur, selon le leader parlementaire du PQ, Pascal Bérubé, qui a demandé au président de l’Assemblée nationale d’intervenir. Les partis politiques débattront de cet enjeu précis jeudi.

«Moi, j’ai honte, j’ai honte aujourd’hui d’un gouvernement qui n’est pas capable de se tenir debout et de défendre ses lois et ses projets de loi», a ajouté M. Lisée.

Même son de cloche du côté de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui qualifie la loi 62 de «gâchis».

«On est dans une situation où le gouvernement libéral a déposé un projet de loi qui est broche à foin, qui crée énormément de confusion, c’est un vrai gâchis et pourtant, il y a une position qui est consensuelle qui est la position de la CAQ», a déclaré le chef du parti, François Legault, en rappelant que la CAQ interdirait tous les signes religieux pour les personnes en autorité.

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L’abécédaire de la loi 62

Quels sont les objectifs de la loi?

– assurer la qualité des communications entre les personnes;

– faciliter la vérification de l’identité des personnes;

– assurer la sécurité.

Comment la loi s’applique-t-elle aux transports en commun?

Un employé d’une société de transport peut demander à une personne de se découvrir le visage afin de vérifier la validité de son titre de transport si, selon les règles de la société de transport, ce dernier est accompagné d’une photo (exemple: carte étudiante, tarifs spéciaux).

Une personne qui se présente pour prendre le métro n’a pas à se découvrir le visage lorsqu’il n’y a aucune interaction avec un employé de la société de transport et que le passage est automatisé.

Aux établissements du réseau de la santé?

Une personne qui se présente dans un établissement du réseau de la santé pour obtenir un service d’un membre du personnel doit avoir le visage découvert lorsqu’elle reçoit un service qui requiert de répondre aux objectifs d’identification et de communication.

Lorsqu’il n’y a pas d’interaction avec un membre du personnel, une personne dans la salle d’attente, par exemple, n’a pas à se découvrir le visage. Il en est de même d’une personne qui accompagne une autre personne qui requiert un soin.

Aux établissements d’enseignement?

À des fins de communication, en classe, l’élève doit avoir le visage découvert étant donné qu’une communication est requise entre l’élève et son enseignant pour faciliter les apprentissages.

Dans les corridors ou sur un campus universitaire, par exemple, la personne peut se couvrir le visage.

Aux services de garde?

Une personne qui vient chercher son enfant doit se découvrir le visage auprès d’un employé du service de garde.

Aux bibliothèques?

Une personne qui se présente dans une bibliothèque publique doit avoir le visage découvert lors des interactions avec un employé de la bibliothèque. Une telle exigence ne serait pas requise lorsqu’elle circule dans les allées de la bibliothèque ou encore consulte un document.

Aux greffes des palais de justice?

Lorsqu’une personne se présente au greffe d’un palais de justice pour accéder à un dossier judiciaire auprès d’un greffier ou pour une assermentation, elle doit avoir le visage découvert.

Sont visés par l’obligation d’avoir le visage découvert:

– les ministères du gouvernement;

– les organismes de l’État, y compris les organismes budgétaires ou autres que budgétaires et les entreprises du gouvernement, tels qu’Hydro-Québec;

– les commissions scolaires;

– les collèges d’enseignement général et professionnel publics, ainsi que les établissements d’enseignement universitaire publics ou subventionnés;

– les établissements agréés aux fins de subventions en vertu de la Loi sur l’enseignement privé au primaire, au secondaire et au collégial;

– les établissements publics du réseau de la santé et des services sociaux;

– les établissements privés conventionnés, les ressources intermédiaires et les ressources de type familial visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux;

– les organismes pour lesquels l’Assemblée nationale ou l’une de ses commissions nomme la majorité des membres, tels que le Protecteur du citoyen;

– les municipalités, les communautés métropolitaines, les régies intermunicipales et les offices municipaux d’habitation;

– les sociétés de transport en commun, l’Autorité régionale de transport métropolitain ou tout autre exploitant d’un système de transport collectif;

– les centres de la petite enfance, les bureaux coordonnateurs de garde en milieu familial, les garderies subventionnées et les personnes reconnues à titre de responsables d’un service de garde en milieu familial subventionné.

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