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La loi 62 est contestée en cour

Ryan Remiorz / La Presse Canadienne Photo: Ryan Remiorz
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Plusieurs l’avaient prédit et c’est maintenant chose faite: la controversée loi québécoise sur la neutralité religieuse, auparavant connue sous le nom de projet de loi 62, fait l’objet d’une première contestation constitutionnelle devant les tribunaux.

La procédure déposée mardi vise à faire invalider l’article 10 de la loi qui prévoit que les services gouvernementaux doivent être livrés et reçus à visage découvert.

Même si elles ne sont pas nommées dans la loi, les femmes musulmanes se couvrant le visage sont principalement visées, est-il allégué dans la procédure. Cette loi est donc discriminatoire envers elles, en raison à la fois de leur religion et de leur sexe, fait-on valoir.

Et cela va même plus loin: «le fait de cibler les femmes musulmanes de cette manière contribue à la création d’espaces publics qui leur sont collectivement hostiles», peut-on aussi y lire.

Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et une citoyenne québécoise musulmane portant le voile intégral, Marie-Michelle Lacoste, ont déposé mardi matin la contestation devant la Cour supérieure du Québec, à Montréal.

L’article 10 de la loi viole la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés, font-ils valoir. Ils soulignent dans leur demande judiciaire l’indignation suscitée selon eux par l’adoption de la loi et la confusion entourant l’application de ses principes, notamment en ce qui a trait aux accommodements raisonnables qui seront accordés.

Ils demandent aussi de suspendre l’application de l’article 10 en attendant qu’un juge se prononce sur sa validité, «afin d’empêcher des préjudices irréparables dans l’intervalle».

La loi avait été adoptée plus tôt cet automne, soit le 18 octobre.

Le premier ministre Philippe Couillard ne semblait pas surpris mardi de cette attaque contre sa loi.

«Y-a-t-il quelqu’un qui ne s’attendait pas à une contestation?», a-t-il laissé tomber.

Mais il s’est dit confiant que sa loi va résister: «On a rédigé délibérément un projet de loi qui respecte les chartes et nous sommes très confiants».

Sa ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a promis de défendre la loi devant les tribunaux. Elle n’a toutefois pas voulu discuter de l’utilisation possible de la clause de dérogation pour contrer cette contestation légale.

«L’utilisation de cette clause-là, pour le moment, n’est pas une solution, puisqu’elle (la loi) est respectueuse des droits et libertés», a-t-elle rétorqué.

Alors que certains s’attendent ou espèrent que le gouvernement fédéral intervienne dans le débat judiciaire pour défendre les minorités visées par la Loi sur la neutralité religieuse, la ministre fédérale de la Justice s’est limitée à dire qu’elle étudiait la procédure, sans la commenter. Dans une déclaration écrite, Jody Wilson-Raybould a répété les propos du premier ministre Justin Trudeau à l’effet que «ce n’est pas à l’État de dicter aux gens ce qu’ils peuvent porter».

Selon un député libéral fédéral, Nicola Di Iorio, le gouvernement fédéral n’a toutefois pas à s’en mêler parce qu’il n’est «pas la police des provinces».

Dans la procédure, il est allégué que la loi porte gravement atteinte à la liberté de religion et au droit à l’égalité de certaines femmes musulmanes au Québec.

On y souligne les obstacles excessifs auxquels auront à faire face les musulmanes québécoises. La loi les force à faire un «choix» déplacé entre adhérer à leurs croyances religieuses et occuper certains emplois, utiliser le transport en commun et les services de garde ou encore emprunter des livres à la bibliothèque, explique-t-on.

Personne à la conférence de presse organisée pour annoncer le dépôt de la contestation judiciaire n’était en mesure de préciser combien de femmes portent le voile intégral au Québec. Il n’y a pas de chiffres, a souligné Ihsaan Gardee, directeur du CNMC. Il a rappelé que dans le passé, les chiffres de 52 ou même de 100 personnes ont été évoqués. Ce qui est sûr, selon lui, c’est qu’il s’agit d’une «petite fraction de la communauté musulmane au Québec».

Selon Marie-Michelle Lacoste, qui préfère se faire appeler Warda Naili depuis sa conversion à l’islam, la loi envoie un très mauvais message aux personnes qui sont intolérantes.

«Ça leur envoie le message qu’ils ont raison de penser comme ça, qu’ils ont raison de nous invectiver, de nous harceler, de nous intimider. C’est ça que ça va faire. Ça va faire qu’une personne qui travaille dans une institution publique et qui a des prérogatives envers nous, va pouvoir user de son pouvoir juste pour avoir le dessus sur nous, juste pour nous écraser et nous humilier une fois de plus. C’est ça qui risque d’arriver», a-t-elle expliqué lors de la conférence de presse.

Mais selon son témoignage, elle n’a pas rencontré de problème depuis l’adoption de la loi, étant peu sortie et n’ayant pas eu besoin de services gouvernementaux ou de santé. Et lorsqu’elle est allée voter aux élections municipales, elle était anxieuse, a-t-elle dit, mais finalement personne ne lui a demandé de retirer son voile pendant le vote: on lui a juste demandé de s’identifier.

Elle a dit «vivre dans la terreur» et appréhender les prochains rendez-vous. Avant même que la loi ne soit adoptée, elle a dit avoir été intimidée et insultée dans la rue à répétition.

La demande de suspension temporaire de la loi doit être entendue par un juge le 15 novembre prochain.

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