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Cafouillage de la 13: action collective accueillie

Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal n’échapperont pas à l’action collective les visant à la suite du cafouillage du 14 et 15 mars dernier, lorsque des centaines d’automobilistes sont restés coincés toute la soirée et toute la nuit sur les autoroutes 13 et 520 lors d’une importante tempête de neige.

Le juge Donald Bisson, de la Cour supérieure, a en effet autorisé, mardi, que soit entendue la requête en action collective dans laquelle les demandeurs réclament des dommages de 2000 $ par personne et des dommages punitifs additionnels de 500 $.

Il a ainsi rejeté la prétention du gouvernement et de la Ville voulant que le dossier relève de la compétence exclusive de la Société de l’assurance-automobile du Québec (SAAQ) et que toute indemnisation doit être faite selon les critères de la SAAQ, et ce, sans égard à la responsabilité de quiconque.

Bien qu’il reconnaisse que Québec et Montréal pourront invoquer cet argument dans leur défense, le magistrat souligne que ce n’est pas à ce stade des procédures qu’il peut juger sur le fond de la question.

Cependant, le juge Bisson invoque des précédents pour faire valoir que ce n’est pas le blocage de l’autoroute, survenu entre 18h04 et 20h30 le 14 mars, qui a causé les dommages subis et réclamés par les automobilistes, mais bien le fait qu’on les ait abandonnés à leur sort durant le reste de la soirée et de la nuit.

Pas des autos: des abris

À ce moment, note le juge, les demandeurs «n’utilisaient pas leurs automobiles en tant que véhicules; ils sont plutôt demeurés dans leurs automobiles, devenues un abri temporaire contre les intempéries, dans l’attente de secours ou d’une libération des voies routières».

«Nous avons plaidé (…) que la faute ce n’est pas « l’accident » au sens de la loi, mais plutôt le retard ou le non-déploiement des mesures d’urgence», qui ont causé des dommages, a expliqué le représentant des demandeurs, Me Marc-Antoine Cloutier, en entrevue avec La Presse canadienne.

Le magistrat invoque également en soutien à sa décision le rapport d’enquêteur de Florent Gagné qui conclut notamment que ces événements «n’ont pas été correctement pris en main par les services publics comme les citoyens sont en droit de s’y attendre, révélant ainsi des lacunes majeures dans l’organisation et le fonctionnement des organismes en cause et tout particulièrement le MTQ (ministère des Transports) et la SQ (Sûreté du Québec)».

Dans sa décision, le juge fait valoir que la demande de dommages moraux et matériels est fondée, puisque les demandeurs sont demeurés prisonniers de leurs véhicules durant une dizaine d’heures, sans nourriture, sans eau, sans chauffage pour ceux arrivés au bout de leur réservoir d’essence et qu’ils n’ont jamais vu de policier ou reçu d’information durant cette période.

Quant aux dommages punitifs, le juge Bisson reprend l’énumération de la succession d’erreurs commises cette nuit-là en affirmant qu’elles «sont suffisantes pour démontrer que les défenderesses et leurs représentants ont agi en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera, à savoir la violation du droit du demandeur et des membres du groupe à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de la personne».

Selon Me Cloutier, «une négligence de cette nature peut devenir intentionnelle, c’est-à-dire qu’on peut suspecter que l’inaction va causer ce genre de préjudice pour la population qui passe des heures sans médicaments, sans eau, sans nourriture, sans chaleur», ce qui est suffisant, en soi, pour réclamer des dommages punitifs.

«On ne va pas s’excuser de faire des excuses»

Québec et Montréal ont 30 jours pour en appeler de cette décision, sans quoi le dossier procédera d’ici six à 12 mois.

Le ministre des Transports, André Fortin, n’a pas voulu commenter sur le fond du dossier étant donné qu’il est devant les tribunaux, mais lorsqu’interrogé à savoir si le gouvernement Couillard avait commis une erreur stratégique en faisant des excuses à la population puisque celles-ci équivalaient à une admission d’erreur, le ministre a appuyé la décision: «Ça me semblait la chose humaine à faire; pour le reste, on ne va pas s’excuser de faire des excuses».

Par ailleurs, il a rappelé que des mesures avaient été mises en place «pour la saison hivernale de cette année pour s’assurer qu’une situation comme ça ne se reproduise pas», notamment l’obligation pour tous les entrepreneurs d’avoir des GPS dans leurs véhicules et un registre faisant notamment état des routes déblayées, des quantités de sel épandues et ainsi de suite.

Par ailleurs, des ressources ont été ajoutées dans les centres d’opération et Québec cherche à augmenter le nombre d’employés et d’équipement de déneigement du ministère des Transports afin de réduire la dépendance aux entrepreneurs privés.

À Montréal, la mairesse élue Valérie Plante a reconnu que le temps qu’avaient mis les autorités à réagir avait été «extrêmement long».

«Nous à la Ville de Montréal, on veut continuer à collaborer et même on est prêts à en rajouter de la collaboration pour s’assurer qu’une situation comme celle-là ne se reproduise pas», a-t-elle assuré.

Jusqu’ici, 1649 demandeurs se sont inscrits à l’action collective qui vise non seulement les automobilistes pris sur l’autoroute 13 Sud jusqu’à 6h30 le lendemain matin, mais aussi ceux qui sont restés coincés jusqu’aux petites heures du matin avant de pouvoir quitter par une sortie éventuellement débloquée ainsi que les automobilistes qui avaient été bloqués sur l’autoroute 520 Est durant une partie de la nuit également.

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Chronologie des événements:

– 14 mars, vers 14h30: une importante tempête de neige frappe le sud-est du Québec. Elle s’intensifie au courant de l’après-midi et de la nuit;

– 14 mars, 18h04: Un camion s’enlise dans la bretelle donnant accès à l’A-520 Est;

– 14 mars, 19h15: Un autre camion se met en portefeuille dans la bretelle d’accès menant à l’A-20 Est. La circulation est interrompue sur l’A-13 Sud entre la sortie de la rue Hickmore et l’A-20;

– 14 mars, 19h59: Un autre camion se met en portefeuille sur la voie de l’A-13 Sud, juste avant la sortie Hickmore. La circulation est interrompue sur l’A-13 entre l’A-5120 et la sortie de la rue Hickmore;

– 14 mars, 20h05: Un autre camion s’enlise dans la bretelle d’accès menant à l’A-20 Est;

– 14 mars, 20h30: Un autre camion bloque la bretelle d’accès l’A-520 Ouest. La circulation est interrompue sur l’A-13 Sud entre l’A-40 et l’A-520;

– 14 mars, 20h40: Le chef d’équipe en fonction au Centre intégré de gestion de la circulation du MTQ fait état à son supérieur, le chef par intérim, du blocage de la circulation sur l’A-13 à la hauteur de l’A-520;

– 14 mars, 23h30: un premier appel conférence est convoqué par la sécurité civile de la Ville de Montréal. Le MTQ ne mentionne pas lors de cet appel que des citoyens sont pris sur l’A-13;

– 15 mars, 01h40: un deuxième appel conférence est convoqué par la sécurité civile de Montréal. Le MTQ ne participe pas à cet appel;

– 15 mars, 02h30: La SQ commence à dégager progressivement l’A-13 Sud entre l’A-40 et l’A-520;

– 15 mars, 03h27: Le Service des incendies de Montréal (SIM) reçoit un appel de la SQ lui demandant s’il a des capacités d’intervenir afin d’évacuer les personnes prises dans les quelque 300 véhicules immobilisés sur l’A-13;

– 15 mars, 04h29: Le SIM «prend l’initiative» de dépêcher des véhicules de secours sur place;

– 15 mars, 05h08: Un autobus contenant des bouteilles d’eau, des couvertures et des toilettes est envoyé sur les lieux. Plusieurs personnes sont évacuées vers un centre d’hébergement de Lachine;

– 15 mars, 06h30: La SQ commence à dégager progressivement l’A-13 Sud entre l’A-520 et la sortie Hickmore.

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