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Des personnalités militent pour la presse écrite

Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Le gouvernement Trudeau «est à genoux devant les entreprises de Silicone Valley» comme Google et Facebook, dont les activités menacent la survie de la presse écrite et, de ce fait, le droit du public à une information de qualité essentielle à la démocratie.

Ce constat a amené une coalition à lancer un appel urgent à Ottawa, lundi, pour qu’il instaure des mesures de soutien et de transition à la presse écrite et cesse de se réfugier derrière un discours d’impuissance et des politiques qui favorisent les géants du web au détriment des médias québécois et canadiens.

L’initiative, lancée sous forme de lettre ouverte, est pilotée par la Fédération nationale des communications (FNC) de la CSN, mais elle a déjà rallié des dizaines de signatures dont celles de grandes organisations d’affaires, comme le Conseil du patronat du Québec, et de personnalités diverses allant de l’ex-chef bloquiste Gilles Duceppe à l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, en passant par l’animateur et comédien Marc Labrèche et le conteur Fred Pellerin pour ne nommer que ceux-là.

«Si la catastrophe qu’on craint se produit, ils (le gouvernement fédéral) auront été avisés en amont et ils pourront porter la responsabilité de leur inaction», a déclaré la présidente de la FNC, Pascale St-Onge, en conférence de presse à Montréal, lundi.

«La journée où on va perdre d’autres piliers de notre démocratie et de l’information, c’est toute la société qui va être perdante», a-t-elle ajouté.

Vampirisme

Dans leur lettre ouverte publiée lundi, les signataires précisent que si rien n’est fait, de nombreux journaux, imprimés ou numériques, pourraient bientôt cesser leurs activités.

«Entre 2009 et 2015, il y a 43 pour cent des emplois qui ont disparu dans la presse écrite et la décroissance continue», a fait valoir Mme St-Onge en conférence de presse.

La cause de cet effritement est bien connue et documentée: les géants du web tels que Google et Facebook utilisent gratuitement les contenus produits à grands frais par les journaux tout en vampirisant leurs revenus publicitaires requis pour produire ces contenus. Ces deux entreprises se sont accaparées à elles seules près de 80 pour cent des revenus publicitaires en ligne, et ce, grâce entre autres à des contenus provenant des médias de presse écrite pour lesquels ils ne paient pas un sou.

Pascale St-Onge fait valoir que les contenus journalistiques, produits sous pression par un nombre de plus en plus restreint de journalistes, demeurent prisés et sont largement partagés sur les plateformes numériques par les lecteurs. «Ce n’est pas l’importance ou la nécessité d’avoir du journalisme de qualité et des médias de presse écrite qui ne fonctionne plus, c’est le financement de cette information», fait-elle valoir.

«Les journaux, les médias en général ont toujours été le chien de garde de la démocratie; maintenant, ils deviennent de plus en plus le rempart contre ce qu’on appelle les « fake news »», a fait valoir de son côté l’ex-chroniqueur de La Presse Vincent Marissal, aujourd’hui directeur général de TACT conseil-intelligence, qui mènera le côté lobbying de la démarche.

«À genoux»

Les signataires de la lettre ouverte reprochent au gouvernement Trudeau d’avoir récemment pris des décisions qui favorisent des multinationales du divertissement et du web, sans manifester d’intention de protéger les médias écrits qui constituent, à leur avis, un pilier de la démocratie en cette ère de fausses nouvelles et de propagande.

«Le gouvernement canadien est à genoux devant les entreprises de Silicone Valley, martèle Mme St-Onge. On fait face à un lobby qui est très fort et très proche du gouvernement et les décisions qui ont été prises dans la politique culturelle nous démontrent clairement qu’en ce moment, ceux qui ont le haut du pavé auprès du gouvernement ce sont les géants du web.»

Elle précise qu’Ottawa a prévu, dans cette politique culturelle, un soutien pour un projet où Facebook créera, en collaboration avec l’université Ryerson, un incubateur de médias. «C’est une aberration totale: on demande au principal compétiteur de nos journaux locaux et nationaux de déterminer quel sera l’avenir de nos médias», dit-elle.

Abandon des régions

Alors que la situation des grands médias nationaux se détériore, celle des médias régionaux et locaux frôle la catastrophe, selon Louis Tremblay, président du syndicat des employés du Quotidien de Saguenay, qui parle d’hécatombe.

«La crise s’étend partout au Québec. Il n’y a pas une région qui est épargnée», a-t-il déclaré, faisant notamment référence à la fermeture de nombreux hebdomadaires depuis le retrait de Québecor de cette activité et la mise en vente des hebdomadaires de TC Média.

Outre Montréal et Québec, certaines régions du Québec ont toujours des quotidiens — Groupe Capitales médias (GCM) qui comprend Le Quotidien de Saguenay, La Tribune de Sherbrooke, le Nouvelliste de Trois-Rivières, le Droit de Gatineau et la Voix de l’Est de Granby — mais ceux-ci ont subi une sévère attrition depuis la création de GCM en 2015, perdant près de 20 pour cent de leur personnel.

Puis, certaines régions où la population est desservie seulement par des hebdomadaires se sont retrouvées complètement dépourvues d’information locale.

«Dans plusieurs régions du Québec, les citoyens assistent impuissants à la fermeture d’hebdomadaires — pratiquement à chaque mois il y a un hebdomadaire qui ferme», a souligné M. Tremblay, qui a noté au passage que certains de ces journaux étaient de véritables institutions avec 50 ou 75 ans d’histoire.

Fiscalité inéquitable

L’un des éléments majeurs de cette lutte touche la fiscalité. Ottawa se refuse à imposer les taxes et impôts aux géants du web, sous prétexte qu’ils sont localisés à l’extérieur du pays.

Pascale St-Onge n’accepte pas cet argument, faisant valoir que d’autres pays, dont l’Australie et la France, le font. «C’est une question de souveraineté nationale: si on est incapable d’imposer notre souveraineté nationale sur les transactions en ligne, le Canada est-il encore un pays?», demande-t-elle.

Pour le président de la CSN, Jacques Létourneau, laisser la place aux géants du web est une menace non seulement pour la démocratie, mais aussi pour les politiciens eux-mêmes.

«J’ai déjà dit à M. Trudeau et à M. Couillard: vous avez tout intérêt comme politiciens à vous occuper de ça parce que, demain matin, si c’est seulement Google qui produit de l’information, vous allez voir que, s’ils décident de faire élire Joe Bleau, ils vont le faire élire. Vous aurez beau tout faire pour essayer de remonter le courant, si Silicone Valley décide d’organiser la patente, ils vont l’organiser.»

Outre la taxation, la coalition propose l’implantation à court terme de crédits d’impôt sur la masse salariale, le temps de trouver des solutions pérennes pour l’ère numérique.

La lettre a été adressée aux ministres Mélanie Joly, du Patrimoine canadien, Bill Morneau, des Finances, et Navdeep Bains, de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique.

Mélanie Joly: «prêts à étudier»

Interrogée au sujet de la lettre, lundi matin aux Communes, la ministre Joly a d’abord affirmé que «le journalisme est très important pour une saine démocratie.»

Se référant aux consultations menées par son gouvernement, Mme Joly a indiqué que celles-ci avaient démontré une demande pour de l’information locale et que son gouvernement «a investi 650 millions $ dans l’information locale pour Radio-Canada».

Ces consultations lui ont également appris que les citoyens consomment une bonne part de leur information en ligne et que, dans cette optique, «on est en train d’étudier la question comment on peut soutenir la transition vers le numérique pour nos médias locaux», sans toutefois donner davantage de détails.

Par contre, Ottawa a annoncé un soutien particulier de 75 millions $ pour les médias locaux et les périodiques.

La chef bloquiste Martine Ouellet a, de son côté, reconnu l’importance d’appuyer les médias et n’a pas ménagé la ministre du Patrimoine. «On se rend compte que Mélanie Joly a l’air pas mal plus intéressée à frayer avec les multinationales, les Netflix et Google de ce monde, que de se pencher sur des problèmes concrets qui touchent nos régions, qui touchent nos gens chez nous», a-t-elle dit.

Mme Ouellet a ajouté qu’il serait nécessaire de se pencher sur «les différentes avenues qui sont disponibles», notamment la demande des médias d’accorder des crédits d’impôt sur la masse salariale.

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Lettre ouverte:

La presse écrite en péril: le gouvernement Trudeau doit agir

À Mélanie Joly, ministre du Patrimoine canadien,

Bill Morneau, ministre des Finances,

Navdeep Bains, ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique

La presse écrite vit actuellement la plus grande crise de son histoire. L’enjeu est simple : si rien n’est fait, de nombreux journaux, imprimés ou numériques, pourraient cesser leurs activités dans un avenir rapproché. Dans ce contexte, nous réclamons du gouvernement fédéral des mesures urgentes afin d’assurer l’avenir d’une information journalistique de qualité au pays. Il en va de la santé de notre démocratie.

Les géants du Web tels que Google et Facebook utilisent les contenus produits à grands frais par les journaux tout en vampirisant leurs indispensables revenus publicitaires. Pour les géants du Web, c’est tout bénéfice ; pour les journaux, c’est une double perte. Cette réalité est insoutenable et nous n’avons plus le luxe du temps.

Déjà, cette crise des médias a entraîné la perte de milliers d’emplois au Canada en dix ans. Au Québec, 43 % des emplois du secteur ont été perdus entre 2009 et 2015. Cette saignée se poursuit et risque de s’accentuer sans une action immédiate de nos gouvernements. Bien que les chercheurs et les observateurs des médias, ainsi que de nombreux représentants du secteur (tant patronaux que syndicaux) aient sonné l’alarme depuis fort longtemps, nous sommes arrivés à un point de non-retour et il nous faut mesurer les conséquences de ce laisser-faire inquiétant.

Pilier de la démocratie

Au cours des dernières semaines, le gouvernement Trudeau a pris des décisions fortement contestées, qui sont favorables à certaines multinationales du divertissement et du Web, sans manifester son intention de protéger nos médias écrits. Pourtant, depuis le début de son mandat, le gouvernement Trudeau a démontré l’importance qu’il accorde à l’information journalistique, notamment en rétablissant le financement de Radio-Canada à ce qu’il était avant les coupes du gouvernement Harper. Le Parlement a aussi amélioré la protection des sources journalistiques.

Nous comprenons que le gouvernement fédéral s’intéresse aux acteurs de la « nouvelle économie », mais il nous est incompréhensible qu’il ignore les avis d’experts, qu’il a lui-même commandés, et qu’il refuse d’apporter son soutien à la presse écrite. Il s’agit pourtant de l’un des seuls secteurs culturels à n’avoir jamais été subventionné par des fonds publics, alors que la nécessité d’un tel soutien est évidente. Le Canada est-il prêt à laisser mourir ce pilier de la démocratie ?

En cette ère de fausses nouvelles et de propagande, le meilleur rempart contre cette tendance inquiétante demeure la collecte rigoureuse d’informations et les véritables enquêtes journalistiques. Celles-ci peuvent ébranler les colonnes du pouvoir, jeter la lumière sur la corruption et les abus ou encore participer à des changements sociaux nécessaires. On n’a qu’à penser aux scandales des Paradise Papers et des violences sexuelles ou encore à la crise des changements climatiques. Nos médias écrits sont le fer de lance de l’information partout au Canada et des éveilleurs de conscience indispensables. Ils alimentent les bulletins de nouvelles, les émissions de télé et de radio et suscitent de nombreux débats, que ce soit à l’Assemblée nationale ou dans l’ensemble de la société. En région, ils représentent parfois les seules sources d’information pour la population et deviennent les principaux relais entre les gouvernements, les citoyens et la vie des communautés.

Liberté de presse

Certains s’inquiètent qu’une aide gouvernementale aux médias vienne entraver la liberté de presse et la nécessaire indépendance des salles de rédaction. Pourtant, l’exemple de Radio-Canada démontre clairement qu’un financement public est possible sans brimer ces éléments fondamentaux. D’autres se soucient qu’on vienne enrichir indirectement des entreprises milliardaires, mais la question est ailleurs. L’érosion constante des revenus publicitaires depuis près de dix ans menace la poursuite des activités de nos quotidiens et hebdomadaires, qu’ils soient indépendants ou liés à de grandes entreprises. Cette réalité nuit à leur capacité de poursuivre leur mission d’informer la population. La disparition de ces médias serait une grande perte pour l’ensemble de nos communautés tant sur les plans culturel, social et politique que sur le plan économique.

Ne rien faire reviendrait à remettre les clés de notre démocratie entre les mains des géants américains, eux qui ne semblent se préoccuper ni de la qualité de l’information produite au Canada ni d’une contribution équitable sur le plan fiscal. Nous interpellons donc le premier ministre Trudeau, le ministre des Finances, Bill Morneau, et la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, afin d’implanter des mesures d’urgence de soutien de la presse écrite telles que des crédits d’impôt sur la masse salariale, comme nous le faisons déjà depuis de nombreuses années pour attirer les entreprises de l’intelligence artificielle et des hautes technologies, le temps de trouver des solutions pérennes pour l’ère numérique.

Pascale Saint-Onge, présidente, Fédération nationale des communications (CSN)

Jacques Létourneau, président CSN

Alain Saulnier, professeur invité, Département de communication et professeur de journalisme à l’Université de Montréal, ancien président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, ancien directeur général de l’information à Radio-Canada

Alexandre Taillefer, entrepreneur et homme d’affaires

André Noël, ancien journaliste à La Presse, enquêteur pour la commission Charbonneau

Boucar Diouf, biologiste, océanographe, humoriste, conteur, chroniqueur et animateur de télévision

Camil Bouchard, homme politique et psychologue

Christiane Germain, coprésidente et cofondatrice du Groupe Germain

Daniel Gélinas, homme d’affaires et un producteur de spectacles québécois

Denis Trottier, député de Roberval 2007-2014

Fred Pellerin, un conteur, écrivain, scénariste et chanteur

Fred Savard, acteur, guitariste et humoriste

Geneviève Petterson, écrivaine, chroniqueuse et scénariste

Gilles Duceppe, homme politique

Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’UQAM

Jean-Marie de Konink, mathématicien et professeur à l’Université Laval

Jean-Martin Aussant, économiste, musicien et homme politique

Marc Labrèche, humoriste, acteur et animateur de télévision

Marc-François Bernier, professeur titulaire, Département de communication de l’université d’Ottawa

Marie-France Bazzo, productrice et animatrice de télévision et de radio

Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’UQAM, chroniqueure à Ici Première Radio-Canada

Nellie Brière, consultante et conférencière spécialisée en stratégie de communications numériques et médias sociaux

Pénélope McQuade, animatrice de radio et de télévision

Pierre Curzi, acteur, scénariste, syndicaliste et homme politique

Samuel Archibald, écrivain

Stéphane Savard, professeur d’histoire à l’UQAM

Vincent Graton, acteur

Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec (ARRQ)

Association québécoise des techniciens de l’image et du son

Association québécoise de la production médiatique

Chambre de commerce de Trois-Rivières

Comité le cellulaire partout pour tous, route 155

Conseil du patronat du Québec

Copibec

Corporation de développement communautaire du ROC, Saguenay

Doc Québec

Fédération culturelle canadienne-française

Guilde canadienne des réalisateurs Guilde de musiciens et musiciennes du Québec

Observatoire du documentaire

Société civile des auteurs multimédia

Société des auteurs de radio, télévision et cinéma Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Société des auteurs et compositeurs dramatiques du Québec

Table régionale des organismes communautaires (TROC) oeuvrant dans le domaine de la santé et des services sociaux Centre-du-Québec et Mauricie

Union des artistes

Union des producteurs agricoles

La filière universitaire et journalistique :

Christian Agbobli, cotitulaire, chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement, UQAM

Antoine Char, professeur de journalisme, École des médias, UQAM

Pascale Millot, journaliste indépendante et professeure de littérature, cégep Édouard-Montpetit

Philippe Lamarre, président, URBANIA

Robert Maltais, directeur du certificat en journalisme, Université de Montréal

Sylvain Rocheleau, professeur, Département de lettres et communication, Université de Sherbrooke

Serge Proulx, professeur émérite, École des médias, UQAM

Renaud Carbasse, professeur assistant, Département d’information et de communication, Université Laval

Guillaume Latzko-Toth, professeur de communication, Université Laval

Line Pagé, chargée de cours en journalisme Université de Montréal, ex-directrice de l’information d’ICI Première

Guillaume Lavallée, professeur de journalisme, UQAM

Judith Dubois, professeure, École des médias, UQAM

Roland-Yves Carignan, ex-directeur de l’information du Devoir

Bernard Descôteaux, ex-directeur du Devoir

Richard Bousquet, chargé de cours en journalisme, UQAM

Thierry Bardini, professeur titulaire et directeur, Département de communication, université de Montréal

Mike Gasher, Ph. D., Professor Emeritus, Department of Journalism, Concordia University

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