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Les permis pour blindés en Cour d'appel fédérale

Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Le Canada n’a pas analysé les risques pour les civils au Yémen avant d’accorder des licences d’exportation pour la vente de véhicules militaires à l’Arabie saoudite, un pays qui présente l’un des pires bilans en matière de droits de la personne et qui est actuellement impliqué dans un conflit armé au Yémen, ont plaidé mercredi les avocats de Daniel Turp, qui cherche à faire annuler les autorisations.

Selon lui, cette omission fait en sorte que le Canada devrait être obligé de revoir sa décision «qui ne respecte pas les droits de la personne».

L’affaire s’est retrouvée mercredi devant la Cour d’appel fédérale, à Montréal.

Le professeur de droit et ex-député bloquiste et péquiste Daniel Turp conteste cette décision du gouvernement canadien d’accorder les licences pour une transaction de 15 milliards $ en équipement militaire. Les véhicules blindés légers en question sont construits à London, en Ontario, par la compagnie General Dynamics Land Systems.

«Faire le choix de l’économie et du commerce plutôt que celui de la protection des vies innocentes, c’est non seulement déraisonnable, c’est inhumain», peut-on lire sur la première ligne du mémoire d’appel de M. Turp.

Et c’est contraire aux valeurs canadiennes, poursuit-il.

Il demande donc à la Cour de revoir si le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion, a respecté les lois et les critères d’analyse avant d’accorder les licences. Il s’agit notamment de voir si les marchandises ou les technologies visées peuvent être utilisées pour nuire à la sécurité du Canada, ou nuire à la paix, à la sécurité ou à la stabilité dans n’importe quelle région du monde. Le manuel des contrôles à l’exportation précise aussi que les marchandises ne doivent pas être utilisées pour commettre des violations des droits de la personne.

Le ministre Dion a failli à sa tâche, soutient M. Turp.

Mais ses multiples arguments n’ont pas été retenus en Cour fédérale en janvier dernier. La Cour avait tranché que le ministre avait tenu compte des facteurs pertinents dans son évaluation des risques pour les populations et qu’il avait usé correctement de la large discrétion dont il dispose à ce sujet.

Mais «ce n’est pas parce qu’il mentionne les critères de la loi qu’il les a respectés», a lancé mercredi Me André Lespérance, l’un des avocats de M. Turp.

Et puis, lorsque M. Dion aurait été avisé de ce qui se passait au Yémen, il aurait dit: on ne peut pas annuler ce contrat-là, ça va coûter de l’argent, a rapporté à la Cour Me Lespérance, mercredi matin. Ce n’est pas un critère de la loi, a-t-il ensuite plaidé.

«Et derrière tout ça, il y a la question que c’est avec l’Arabie saoudite que l’on (le Canada) transige, et pas en faisant n’importe quoi, en vendant des armes! Et l’Arabie saoudite, c’est le pays qui, au monde, est considéré comme celui qui ne respecte pas les droits de la personne», a commenté M. Turp en entrevue, après que ses avocats eurent fini de plaider.

M. Turp et son équipe ignorent si des véhicules militaires prévus au contrat ont déjà été livrés en Arabie saoudite.

Ce contrat de vente de véhicules blindés légers avait été conclu sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, mais c’est le gouvernement libéral actuel qui a octroyé les licences d’exportation en avril 2016.

La position du gouvernement

Les avocats du gouvernement Canada ont notamment fait valoir mercredi en Cour d’appel que des blindés sont exportés en Arabie saoudite depuis 25 ans et qu’il n’y a aucune preuve qu’ils aient été utilisés contre des civils.

Ils ont plaidé que la Cour fédérale n’est pas le lieu pour des débats politiques et que son rôle est limité à déterminer si le ministre a pris sa décision en fonction des facteurs pertinents et des lois.

Ils estiment que M. Turp demande erronément à la Cour d’appel fédérale de se substituer au ministre et de refaire l’analyse du risque.

«Le problème, c’est qu’il (M. Turp) n’aime pas la conclusion», a lancé Bernard Letartre, l’un des avocats du gouvernement canadien, en salle de cour.

Le ministre dispose d’une large discrétion pour autoriser ces licences, soutiennent les avocats, et il a considéré non seulement les droits de la personne, mais aussi la politique étrangère du Canada ainsi que les bénéfices économiques découlant des exportations.

«Il n’y a aucune interdiction en droit international d’exporter du matériel militaire en Arabie saoudite», a expliqué Me Letartre. Il n’y a pas d’embargo ni sanctions économiques contre le régime de Riyad.

Et puis, même si de l’avis du ministre il existait un risque que les marchandises soient utilisées à mauvais escient, il aurait toujours eu la discrétion d’accorder les licences, si d’autres raisons le justifient, est-il écrit dans le mémoire.

Des images troublantes

Cet été, des véhicules militaires canadiens semblent avoir été utilisés par le gouvernement de l’Arabie saoudite contre ses propres citoyens, selon des vidéos qui ont circulé sur les médias sociaux. Il ne s’agirait toutefois pas de ceux construits par General Dynamics Land Systems, selon des experts.

M. Turp a donc déposé en septembre en Cour fédérale une autre demande de contrôle judiciaire de cette décision d’accorder les licences. Aussitôt, le gouvernement du Canada a demandé qu’elle soit radiée.

Les parties sont en attente d’un jugement.

L’actuelle ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, s’est dite cet été «très préoccupée» par les vidéos. Elle a d’ailleurs demandé une enquête à ce sujet.

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