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Les consommateurs de cannabis médicinal inquiets

Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne Photo: Sean Kilpatrick

Pour Mandy McKnight, l’huile de cannabis pour soigner les crises débilitantes de son fils semble presque miraculeuse — l’enfant de neuf ans, qui subissait des dizaines d’épisodes par jour mettant sa vie en danger, peut désormais compter sur certaines journées exemptes de ces moments traumatisants.

Mais comme plusieurs Canadiens ayant l’autorisation de leur médecin pour utiliser de la marijuana pour une série de troubles de santé, Mme McKnight s’inquiète de ce qui pourrait survenir lors de la légalisation de la substance à des fins récréatives pour les adultes l’été prochain.

Y aura-t-il suffisamment de cannabis pour répondre aux besoins des deux marchés? Comment les usagers du cannabis médicinal pourront-ils s’acquitter de la facture si la substance est soumise à la même taxe d’accise que pour les consommateurs récréatifs?

«Je m’inquiète de savoir comment ils garantiront que son remède sera en stock chaque mois et ne sera pas tout accaparé par les consommateurs récréatifs», a fait valoir Mme McKnight, de Constance Bay, en Ontario, près d’Ottawa, dont le fils a vu son état s’améliorer considérablement depuis la prise de doses orales d’une huile comptant une forte concentration de cannabidiol (CBD), et une concentration plus faible de tétrahydrocannabinol (THC).

«Avant de commencer l’huile de cannabis, il pouvait avoir jusqu’à 80 crises par jour lors des mauvaises journées», a expliqué la mère de Liam, qui est atteint du syndrome de Dravet. «Il y avait des fois où on appelait beaucoup l’ambulance, où il a dû en fait être transporté par hélicoptère à l’hôpital pour enfants quelques fois.»

«(L’huile de cannabis) n’a pas libéré Liam de sa maladie, mais cela a certainement amélioré sa qualité de vie de 1000%», a-t-elle ajouté.

Sa famille se procure l’huile d’un producteur autorisé au coût de 60$ par bouteille, en plus des taxes et des coûts de livraison.

Le pédiatre de l’enfant a prescrit 22 bouteilles par mois pour traiter ses crises, mais Mme McKnight avoue qu’elle et son mari, Dave, ne peuvent se permettre que la moitié de ce nombre.

La question de la taxation

Quand la taxe d’accise sera imposée lors de la légalisation de marijuana à des fins récréatives, elle s’ajoutera au fardeau financier que les parents doivent supporter pour fournir un traitement à leur enfant, puisque le produit n’est pas couvert par les assurances privées ni celles du gouvernement provincial.

«Nous ne sommes pas pauvres. Et nous ne pouvons même pas arriver près de nous permettre le traitement de Liam», a-t-elle soutenu.

Les Canadiens pour l’accès équitable à la marijuana médicale (CFAMM) font pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il ne taxe pas le cannabis thérapeutique, arguant qu’aucun autre produit prescrit n’est taxé.

«L’abordabilité est la première barrière à l’accessibilité au cannabis médicinal pour les patients, et tout type de taxation ou d’augmentation de prix affectera leur santé et ne correspond fondamentalement pas à comment on traite les médicaments dans une perspective de taxation au Canada», a expliqué Jonathan Zaid, fondateur et directeur général du CFAMM.

Le plan fédéral ajouterait 1$ de taxe par gramme de cannabis — ce qui représente 10% du prix de détail final.

Le député Bill Blair, qui est responsable du dossier de la légalisation de la marijuana, a dit que son gouvernement était engagé à maintenir un système fonctionnel de cannabis médicinal.

«En même temps, on ne veut pas que les niveaux de taxation soient une incitation pour les gens à utiliser ce système de façon inappropriée, alors nous proposons que les niveaux de taxation, tant pour le (cannabis) non médicinal que médicinal, soient alignés», a-t-il nuancé.

M. Zaid, qui utilise la marijuana médicinale depuis environ quatre ans pour traiter des maux de tête quotidiens persistants, souligne que le gouvernement semble croire que certaines personnes exagèrent leur maladie pour acheter de la marijuana moins dispendieuse.

«Bien que nous reconnaissions que la différence de prix pourrait devenir une préoccupation potentielle, nous ne voyons pas cela comme une raison de désavantager les quelque 200 000 Canadiens qui ont accès légitimement au cannabis pour des raisons médicales», a-t-il plaidé.

Santé Canada prédit que les patients utilisant la marijuana médicinale augmentera à 400 000 d’ici 2024. À un moment où le pays veut s’attaquer à la dépendance aux opioïdes, le CFAMM réitère que le gouvernement ne devrait pas pénaliser financièrement les patients qui choisissent une option plus sûre pour traiter leur douleur — et selon l’organisation, ce sont les pharmacies qui devraient distribuer le produit.

Daphnée Elisma, originaire de Montréal, affirme que le cannabis est le seul traitement qui l’a aidée à se libérer de la douleur.

Une opération pour un anévrisme cérébral l’a laissée avec des migraines importantes, et le retrait de ganglions lymphatiques lors d’une opération pour un cancer du sein a provoqué des douleurs à son bras droit.

«Nous avons essayé tellement de médicaments, dont des opioïdes», a relaté la femme de 42 ans, qui dépense environ 500$ par mois pour des produits du cannabis.

Contrairement aux utilisateurs récréatifs, Mme Elisma dit ne pas utiliser la substance «pour le plaisir et avec de l’alcool».

«Je l’utilise par nécessité médicale, et c’est ce que doit comprendre le gouvernement, pour faire cette distinction claire», a-t-elle soutenu.

Production à des fins médicales ou récréatives?

Les consommateurs de cannabis médicinal sont aussi inquiets de l’approvisionnement, considérant que la plupart des producteurs autorisés ont laissé savoir qu’ils prévoyaient faire pousser et distribuer de la marijuana à la fois pour les patients et les utilisateurs récréatifs.

«Des groupes de patients ont exprimé leur inquiétude que certaines entreprises puissent peut-être s’éloigner du système médical et se concentrer seulement sur le système de consommation», a indiqué Cam Battley, vice-président principal du producteur Aurora Cannabis, établi à Edmonton.

«Alors nous nous sommes engagés à ce que nos patients passent en premier», a-t-il ajouté, soulignant que l’entreprise faisait partie de l’organisation de l’industrie, Cannabis Canada, qui souhaite aussi éliminer la taxation sur la marijuana médicinale.

«Dans notre perspective, c’est moralement injuste de taxer les gens qui sont atteints de maladies chroniques et dont plusieurs sont déjà dans une situation précaire financièrement.»

Les assurances privées et publiques mettent aussi en rogne les utilisateurs médicinaux.

À l’exception d’une couverture limitée pour les vétérans et des patients qui disposent de comptes de frais médicaux, la plupart des assurances ne remboursent pas le cannabis médicinal. Et aucune province et aucun territoire ne le couvre dans ses programmes publics.

«Il y a moins de couverture en termes de couverture publique, ce qui est extrêmement malheureux, considérant que la plupart des patients admissibles à la couverture provinciale sont généralement des gens qui ont de faibles revenus ou ont une invalidité», a observé M. Zaid.

«Alors ce sont des gens qui ont vraiment le plus besoin de couverture et ce sont eux qui sont le moins aidés en ce moment.»

Mandy McKnight souligne que depuis que le petit Liam a commencé à prendre de l’huile de cannabis, il a cessé de prendre tous ses médicaments contre l’épilepsie et n’a pas été admis une seule fois à l’hôpital en raison de crises.

«Alors je crois qu’en fin de compte, nous faisons économiser des milliers de dollars au système de santé. Je me sens comme si on était punis.»

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