Soutenez

Tempête du 14 mars 2017: dépôt du rapport du coroner

Photo: Métro
Magdaline Boutros et Jean Philippe Angers, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

Un vice dans les procédures en place à la Sûreté du Québec (SQ) a retardé le déploiement d’une équipe de motoneigistes qui ont tenté de porter secours aux deux hommes décédés dans la méga tempête de mars 2017 près de Montmagny, dans Chaudière-Appalaches.

Rien ne permet de dire que les deux victimes auraient pu avoir la vie sauve si le temps de réaction de la SQ avait été réduit, mais «les chances auraient été de leur côté», écrit Me Luc Malouin, coroner en chef adjoint du Québec.

Dans son rapport déposé mardi, Me Malouin revient sur les événements qui ont mené à la mort de Pierre Thibault, 42 ans, et Michaël Fiset, 33 ans, tous deux décédés par une intoxication au monoxyde de carbone.

Le soir du 14 mars 2017, vers 21h24, alors qu’une puissante tempête de neige s’abat sur la province, les deux collègues décident de partir de leur lieu de travail — la compagnie de transport Gilmyr située à Montmagny — pour retourner chez eux.

Plusieurs personnes leur déconseillent de prendre la route, mais les deux hommes montent tout de même à bord de la camionnette à traction intégrale de Michaël Fiset.

Ils contournent la barrière qui bloque l’accès au chemin du Coteau et se rendent jusqu’à la rue Principale à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud. Vers 22h43, ils s’enlisent dans une lame de neige d’environ 1,5 mètre de haut à proximité du 115 rue Principale.

Les deux amis communiquent à plusieurs reprises avec leurs proches et avec les autorités. Plusieurs tentatives sont effectuées pour leur porter secours. Mais ce n’est que le lendemain matin vers 8h10 que des policiers parviennent à localiser le véhicule, enseveli sous une lame de neige de trois mètres.

Le corps de Michaël Fiset est trouvé à l’extérieur du véhicule près de la portière du conducteur, alors que Pierre Thibault, qui souffrait d’asthme, a été trouvé assis sur le siège du conducteur. Une autopsie pratiquée sur les dépouilles a révélé la présence d’un taux létal de monoxyde de carbone dans leur sang.

Un délai de deux heures

Dans son rapport, le coroner Luc Malouin note qu’une mauvaise répartition des effectifs de la Sûreté du Québec a nui aux opérations de secours.

Vers 12h le 14 mars, la SQ avait mis en branle son opération Griffe, qui permet le déploiement de ressources additionnelles pour répondre aux urgences lors de tempêtes hivernales.

Mais lorsque le chef du poste décide d’envoyer des motoneigistes pour porter secours aux deux hommes vers 23h23, il doit demander à un policier, formé pour conduire une motoneige, de revenir au poste, puisque celui-ci avait été déployé comme patrouilleur ailleurs sur le territoire.

En raison du capharnaüm qui régnait sur les routes cette nuit-là, le policier mettra presque deux heures pour rejoindre ses collègues.

«C’est impossible de dire, si l’équipe de la SQ était partie plus tôt, qu’elle aurait effectivement pu sauver les deux personnes, compte tenu des heures qui ont été nécessaires pour trouver le véhicule, tempère en entrevue Me Malouin. C’est impossible de prétendre qu’ils seraient en vie aujourd’hui.

«Mais deux heures de préparation lorsqu’il y a urgence, c’est assurément trop long.

«Le fait d’avoir des véhicules pour répondre à des urgences est excellent, poursuit Me Malouin, mais si personne n’est présent pour conduire ces véhicules, ils deviennent inutiles.»

Le coroner demande donc à la SQ de revoir sa façon de faire pour s’assurer que les policiers qualifiés pour conduire les motoneiges soient présents au poste lorsqu’une opération Griffe est enclenchée.

Une témérité répandue chez les Québécois

Le coroner Luc Malouin croit également que la «sous-estimation du danger» qui les guettait a pu jouer un rôle dans les décès de Pierre Thibault et Michaël Fiset.

«Ils ont agi comme la majorité des Québécois, c’est-à-dire qu’ils ont sous-estimé la tempête de neige et surestimé les capacités de leur véhicule à quatre roues motrices», suggère Me Malouin, qui parle d’une leçon à retenir pour tous les Québécois.

Il ajoute que la camionnette Ford F-150 dans laquelle les deux travailleurs se trouvaient leur a donné un faux sentiment de sécurité.

Me Malouin rappelle également à tous les automobilistes de fermer leur moteur lorsqu’ils sont pris dans un banc de neige, pour éviter que le monoxyde de carbone s’infiltre dans l’habitacle.

Les deux hommes ont également joué de malchance, note Me Malouin. Trois autres véhicules sont restés pris sur la même route, la nuit du drame. Ceux-ci étaient toutefois coincés entre deux lames de neige et n’ont donc jamais été ensevelis. Là où les deux victimes ont été retrouvées, «la lame de neige était énorme, mais à 10 mètres de là je pense que le véhicule n’aurait pas été enseveli», soutient Me Malouin.

Des doutes sur la possibilité d’une poursuite par la famille de Pierre Thibault

Depuis les événements tragiques, la famille de Pierre Thibault envisage une poursuite contre la SQ et le ministère des Transports.

Le rapport du coroner était grandement attendu par la famille qui n’obtenait absolument aucune information de la part du gouvernement du Québec, a indiqué l’avocat Marc Bellemare, agissant au nom de la veuve, Valérie Tanguay, et notamment des soeurs de la victime.

M. Bellemare a dit croire que le rapport contient des éléments de «responsabilité civile claire» pour la SQ.

«On peut parler de responsabilité partagée — en raison de la témérité des deux hommes —, mais il est clair que la SQ a failli lamentablement à son devoir de porter secours, ce qui est sa mission première dans les circonstances», a soutenu l’avocat en entrevue téléphonique.

Toutefois, comme l’a expliqué M. Bellemare, la cause du décès telle que décrite dans le rapport «vient un peu refroidir les ardeurs» pour la poursuite. En fait, le «no fault» — ou régime d’assurance sans égard à la faute — pourrait s’appliquer dans ce dossier.

«Si le cas est accepté en termes d’indemnisations, ça mettrait fin aux espoirs de la famille de pouvoir un jour poursuivre la SQ, ce qui serait un drame pour elle, parce que les indemnités de la SAAQ sont des pitances», a souligné l’avocat et ex-ministre de la Justice.

Avec le «no fault», selon M. Bellemare, le gouvernement «peut être grossièrement négligent dans la conception du réseau routier, dans l’entretien, dans les interventions auprès des automobilistes en difficulté, sans risque d’être poursuivi».

M. Bellemare prévoit faire une demande de réclamation auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) dans les prochains jours, afin d’obtenir la position de la SAAQ dans le dossier et de déterminer la suite des choses.

«Pour la famille, (…) ce serait dramatique, parce qu’on ne verrait jamais le fond des choses, et la SQ ne serait pas tenue de payer pour ses fautes», a affirmé l’avocat.

La famille demande aussi des excuses formelles au premier ministre. «C’est un minimum dans les circonstances», a dit M. Bellemare, disant qu’il n’y avait eu «aucun appel d’élu, aucun message de sympathie».

M. Bellemare s’est dit «convaincu que les décès auraient pu être évités par une intervention raisonnable d’une équipe d’urgence qui est digne de ce nom».

Des correctifs implantés

Depuis cette nuit fatidique, plusieurs correctifs ont été apportés, ont noté le ministre des Transports, André Fortin, et le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux.

En point de presse à Québec, ils ont mentionné que les policiers disposent maintenant d’équipements supplémentaires pour dégager les voies et que la SQ peut maintenant suivre en temps réel l’état des grands axes routiers dans un centre de vigie.

Le ministre Coiteux a assuré que la SQ fera le suivi nécessaire pour que la recommandation du coroner soit mise en place. «S’il y a lieu de modifier des pratiques, alors effectivement on va le faire», a-t-il mentionné.

———-

Dans son rapport, le coroner formule une seule recommandation, destinée à la Sûreté du Québec:

«Revoir ses directives internes lors d’une Opération Griffe pour faire en sorte que des policiers qualifiés pour conduire des motoneiges soient présents dans les postes qui disposent de ces véhicules et que ces agents puissent ainsi partir rapidement lorsqu’une urgence survient.»

———

Extraits du rapport du coroner:

«On peut se demander pourquoi, au poste de Montmagny, on a prévu la présence de motoneiges et d’effectifs supplémentaires, mais qu’au moment où la possibilité d’avoir à utiliser les motoneiges est très élevée, les policiers qualifiés pour conduire ces véhicules sont absents ou affectés à d’autres tâches.»

«Dans le présent dossier, si les policiers étaient partis deux heures plus tôt, ils seraient arrivés sur les lieux au moment où les deux victimes étaient toujours vivantes. Il est impossible de dire si les policiers auraient pu localiser les deux personnes assez vite pour leur sauver la vie, mais, à tout le moins, toutes les chances auraient été de leur côté.»

«(…) Avoir un tel véhicule (à traction intégrale) provoque un faux sentiment de sécurité. Un VUS, une automobile ou une camionnette doté de la traction intégrale ne sont pas des déneigeuses et ne peuvent pas circuler sur une route fortement enneigée. Pourtant, certains propriétaires de ces véhicules sont convaincus du contraire.»

«Chaque citoyen doit réaliser qu’il est le premier responsable de sa sécurité et qu’il ne peut pas toujours compter sur des services d’urgence rapides et efficaces lors des périodes de mauvais temps.»

«Il est pour le moins équivoque qu’un citoyen mette sa vie en danger par son imprudence et, par la suite, que ce même citoyen s’attende à ce que d’autres personnes travaillant pour des organismes gouvernementaux risquent leur vie pour lui porter secours rapidement alors que les conditions météorologiques sont très mauvaises.»

———

Voici la chronologie des événements qui ont mené aux décès de Michaël Fiset et Pierre Thibault:

Le 14 mars 2017, vers 21h24: Michaël Fiset et Pierre Thibault quittent leur travail à la compagnie Transport Gilmyr, située sur le chemin du Coteau à Montmagny.

22h43: le véhicule s’enlise près du 115 rue Principale. Michaël Fiset se rend à pied à une résidence située à environ 34 mètres du lieu où il se trouve et emprunte deux pelles pour tenter de dégager le véhicule.

23h18: Pierre Thibault communique une première fois avec les policiers pour signaler qu’ils sont pris dans la neige.

23h23: le responsable du poste de police de la Sûreté du Québec de Montmagny commence à former une équipe de motoneigistes pour porter secours aux deux hommes.

Le 15 mars 2017 0h05: un deuxième appel est fait au 911.

0h06: un texto révèle que les deux hommes ne peuvent plus sortir du véhicule, hormis par une fenêtre.

Vers 0h41: un ami de Michaël Fiset et Pierre Thibault qui demeure près de l’endroit où le véhicule est enlisé tente de se rendre à pied pour leur porter secours. Il ne trouve pas la camionnette.

0h51: Michaël Fiset informe le préposé du 911 que son ami est en train de faire une crise d’asthme et qu’il commence à avoir des difficultés à respirer.

0h58: un policier de la Sûreté du Québec informe Pierre Thibault que des secours se mettent en place.

1h16: Michaël Fiset informe le 911 qu’il a de la difficulté à respirer. Pierre Thibault est inconscient.

1h20: deux policiers motoneigistes de la Sûreté du Québec partent en leur direction.

2h15: les policiers arrivent à pied sur la rue Principale.

4h18: les policiers obtiennent la localisation GPS du véhicule.

7h50: les policiers localisent le véhicule à l’aide d’une pelle, mais sont incapables de l’atteindre sans machinerie lourde.

8h10: avec l’aide de chargeuses, les policiers localisent les occupants du véhicule.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.