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Accueil de migrants au Québec: Ottawa doit agir

Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Québec avertit Ottawa qu’il a atteint la limite de sa capacité d’accueillir des migrants irréguliers et n’accueillera plus l’excédent à compter du 24 avril dans ses centres d’hébergement temporaire à Montréal.

«Le gouvernement du Québec a fait sa part, au niveau humanitaire, pour accueillir ces demandeurs d’asile qui vivaient une situation difficile», a signifié le ministre de l’Immigration, David Heurtel, lundi, en conférence de presse. «Le statu quo n’est pas acceptable», a-t-il laissé tomber.

Québec dispose de 1850 places d’hébergement temporaire dans quatre centres à Montréal et ces places sont déjà occupées à 71 pour cent. Le ministre Heurtel affirme qu’il ne dépassera pas le seuil de 85 pour cent, afin de conserver une marge de manoeuvre pour les demandeurs d’asile qui utilisent les voies régulières.

«On ne peut pas faire plus avec ce que nous avons présentement comme taux d’occupation, ce qui est projeté et également le travail qui doit continuer à être fait pour accommoder les demandeurs d’asile de 2017», a martelé le ministre.

Car, loin de ralentir, le phénomène de migration irrégulière s’intensifie: après avoir vu le nombre de migrants irréguliers multiplié par trois l’an dernier, l’année 2018 s’amorce sur une augmentation encore plus significative. Ainsi, l’an dernier, un peu plus de 2000 migrants irréguliers ont franchi la frontière entre le 1er janvier et le 30 avril alors qu’en 2018, ce chiffre atteint déjà 6074 au 14 avril, soit trois fois plus.

Les projections du ministère laissent entrevoir pour l’été prochain, en période de pointe, un rythme de 400 passages irréguliers par jour, soit près du double des 250 quotidiens de l’an dernier. Pourtant, l’année dernière a vu le Québec recevoir 25 000 migrants irréguliers, soit la moitié de toutes les entrées de ce type au Canada, comparativement à une moyenne annuelle «normale» de 3500.

Services débordés

Outre les centres d’hébergement, les services sociaux, de santé et le réseau de l’éducation de la région de Montréal sont déjà étirés à la limite pour accueillir les migrants. L’arrivée massive de nouveaux demandeurs irréguliers, qui s’ajouteront à ceux de 2017 qui sont toujours pris en charge par les services provinciaux, doit maintenant être limitée, selon Québec.

«Le Québec est prêt à faire sa part d’un point de vue humanitaire», a assuré le ministre Heurtel, mais il a insisté sur le fait que le «point de saturation de nos services (…) est sur le point d’être atteint».

À ce sujet, la ministre déléguée à la Santé, Lucie Charlebois, a fait valoir qu’il y a «un essoufflement certain dans le réseau de la santé et des services sociaux».

Mme Charlebois a indiqué que plusieurs travailleurs sociaux sont en épuisement professionnel, que les organismes communautaires oeuvrant auprès des migrants ne suffisent plus aux besoins, que le personnel ne suffit tout simplement plus à la tâche et que ce n’est pas une simple question de réaffecter les ressources.

«Si on va chercher les ressources dans les régions pour les amener à Montréal, il y a des gens dans nos régions qui n’auront plus de service: on a une pénurie de ressources humaines en ce moment», a-t-elle signalé.

Même son de cloche de son collègue à l’Éducation, Sébastien Proulx. «Nous avons réussi l’an dernier à intégrer (…) ces élèves dans le système scolaire. Nous ne serons pas capables de refaire la même chose cette année vu les perspectives d’augmentation», a-t-il dit.

Le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, a d’ailleurs pris la peine de rappeler au gouvernement fédéral que le Québec a, dans les faits, assumé les services sociaux, de santé et d’éducation «sans responsabilité légale et sans financement de la part du fédéral» puisque les compétences du Québec en telles matières «ne s’étendent pas aux demandeurs d’asile; nous assumons ces services néanmoins par engagement humanitaire».

Limite atteinte

Le ministre de l’Immigration, David Heurtel, a refusé de dire clairement qu’il fermera les portes des centres d’hébergement, mais il avertit Ottawa que, lorsque la limite de 85 pour cent sera atteinte, soit 1572 places occupées, il avisera les autorités fédérales «que nous n’avons plus de place».

Parmi les suggestions qu’il entend faire à son vis-à-vis fédéral Ahmed Hussen, il invitera celui-ci à s’occuper de la répartition et de l’accueil de l’excédent ailleurs qu’à Montréal, notamment en région par l’entremise des centres de Service Canada. Il entend aussi réclamer que les excédentaires soient transportés dans les autres provinces.

De plus, il maintient sa demande de fonds supplémentaires pour assumer la dépense inédite, soit 146 millions $ pour l’an dernier et d’autres sommes qui restent à déterminer pour 2018. Il précise toutefois qu’il ne s’agit plus du tout d’une question d’argent, mais bien d’une incapacité d’absorber un tel flot de migrants irréguliers.

Jusqu’ici, Ottawa n’a même pas daigné répondre à la lettre envoyée à cet effet le 21 mars dernier par Québec au ministre Hussen.

Hussen attend

David Heurtel sera à Ottawa mercredi pour réclamer un plan de contingence du fédéral.

Déjà, le ministre Hussen s’est dit prêt à écouter, tout en se gardant bien d’avancer quelque solution que ce soit.

«Nous avons reçu une lettre du ministre de l’Immigration du Québec», a-t-il simplement déclaré sur la colline parlementaire à Ottawa, lundi, faisant référence à la demande de financement supplémentaire.

«Nous attendons de recevoir des propositions plus détaillées sur ce qu’ils veulent que nous fassions», a-t-il ajouté.

Ahmed Hussen a également profité de l’occasion pour vanter les sommes consacrées par Ottawa en immigration, en plus d’ajouter dans son calcul l’argent du transfert social, affirmant que «cet argent va les aider quant aux coûts additionnels pour les demandeurs d’asile».

Le lieutenant québécois du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, a dit par communiqué «presser le gouvernement fédéral à répondre à la demande du Québec» pour l’accueil de migrants dans la province, parlant d’une situation «urgente».

Le PQ inquiet

De son côté, la porte-parole péquiste en matière d’immigration, Catherine Fournier, s’est montrée sceptique face à l’ultimatum du 24 avril.

«Qu’est-ce qu’ils vont faire avec les gens qui vont continuer de se présenter? J’ose croire qu’on ne va pas les laisser simplement dans la rue», a-t-elle déclaré en entrevue téléphonique.

«On doute un peu du sérieux des menaces qui sont faites par le gouvernement du Québec», a ajouté la députée de Marie-Victorin.

L’opposition péquiste estime que le gouvernement Couillard devrait insister davantage auprès d’Ottawa non seulement pour l’argent, mais surtout pour qu’il suspende l’entente sur les pays tiers sûrs.

Cette entente fait en sorte que les demandeurs d’asile qui se présentent à un poste frontalier sont automatiquement retournés aux États-Unis, d’où l’afflux actuel d’entrées irrégulières au pays. Or, le chemin le plus facile pour entrer irrégulièrement au Canada est le désormais célèbre chemin Roxham, situé à environ 5 kilomètres à l’ouest du poste frontalier de Lacolle, et des passeurs y amènent des migrants de partout aux États-Unis, incluant de l’Ouest américain.

Le fait de suspendre cette entente permettrait aux demandeurs d’asile de se présenter dans n’importe quel poste frontalier sans crainte d’être refoulés aux États-Unis, ce qui aurait à tout le moins pour effet de répartir les demandeurs d’asile dans les autres provinces.

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