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Migrants: Québec tient un discours «irresponsable»

Caroline Plante, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

QUÉBEC — Le message provenant de l’Assemblée nationale à l’effet que le Québec a atteint sa capacité d’accueil de migrants irréguliers est irresponsable et même dangereux, préviennent certains experts.

Ils mettent en garde le gouvernement contre le risque, élevé, de nourrir les dérives xénophobes qui traversent actuellement la société québécoise.

En entrevue lundi à La Presse canadienne, les sommités Cécile Rousseau, Stéphane Leman-Langlois et Herman Deparice Okomba ont prévenu que de tels messages «de droite» résonnent dans la population, et que les plus vulnérables risquent de s’en abreuver quitte à déformer la réalité au sujet des migrants.

Deux de ces experts ont témoigné dans le dossier d’Alexandre Bissonnette, qui a plaidé coupable le mois dernier à six accusations de meurtre au premier degré et à six chefs de tentatives de meurtre pour les attentats commis à la Grande Mosquée de Québec.

«On va dire: « Les migrants en fin de compte sont mieux traités que nos propres sans-abri ici, ou sont mieux traités que nos personnes âgées, reçoivent plus d’argent, etc. », a affirmé M. Leman-Langlois, directeur du Centre sur la sécurité internationale de l’Université Laval. Bon tout ça est complètement faux, mais c’est bien reçu parce que les gens ont l’impression (…) qu’on est à plat ventre pour faire les quatre désirs des personnes qui traversent la frontière.

«Les gens vont re-tweeter ça, re-liker ça, re-partager ça sur Facebook et ça fait les rondes», a ajouté celui qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque.

À son avis, le message qu’envoient actuellement les partis politiques vient légitimer ce genre de fausses nouvelles. «Je pense que c’est assez dangereux. (…) On est en train de normaliser cette attitude-là qui dit que les immigrants, c’est une présence suspecte, que ce n’est peut-être pas une très bonne idée d’avoir un paquet d’immigrants arriver rapidement au Québec.»

La semaine dernière, quatre ministres du gouvernement Couillard ont bombé le torse face à Ottawa, en l’accusant de se traîner les pieds dans le traitement des demandes des migrants irréguliers.

Ils ont également annoncé que le Québec n’accueillerait pas l’excédent de migrants à compter du 24 avril dans ses centres d’hébergement temporaire à Montréal.

L’année dernière a vu le Québec recevoir 25 000 migrants irréguliers, soit la moitié de toutes les entrées de ce type au Canada, comparativement à une moyenne annuelle «normale» de 3500.

Les projections du gouvernement laissent entrevoir pour l’été prochain, en période de pointe, un rythme de 400 passages irréguliers par jour, soit près du double des 250 quotidiens de l’an dernier.

Les services sociaux du Québec sont «saturés», a fait savoir, plus d’une fois, le ministre de l’Immigration, David Heurtel, soutenu par les partis d’opposition.

Il s’est plus tard réjoui d’une entente conclue avec le fédéral, selon laquelle Ottawa accepte d’examiner la demande de remboursement de 146 millions $ du Québec pour la prise en charge des demandeurs d’asile en plus de prendre une série de mesures pour alléger le fardeau de la province.

Discours électoraliste

Pour la docteure Rousseau — experte en psychiatrie transculturelle, radicalisation et polarisations sociales — il ne fait aucun doute que le discours politique actuel est électoraliste, donc reflète l’opinion publique à laquelle il veut faire plaisir.

«Je pense qu’en période préélectorale, c’est très facile d’utiliser des personnes vulnérables qui sont vues comme indésirables comme objets de débats en nourrissant l’insécurité des citoyens», a-t-elle dénoncé.

Selon elle, les groupes d’extrême-droite sont en train d’influencer le discours social en le poussant vers des positions plus intolérantes.

Pourtant, ces migrants dits «irréguliers» ont parfaitement le droit de venir déposer une demande d’asile au Canada, en vertu des conventions internationales, a-t-elle rappelé.

De son côté, le directeur général du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, M. Okomba, affirme qu’il est «totalement irresponsable» et «populiste» de faire croire aux Québécois qu’ils sont menacés par une arrivée massive de migrants.

«Cela contribue à donner l’impression qu’une vague de migration est sur le point de déferler sur le Québec, chose qui n’est pas vraie», a-t-il dit, en ajoutant que le nombre de demandeurs au Québec est «infime» comparativement à ce que l’on voit en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. À son avis, il n’est pas légitime de jouer sur les peurs ou les anxiétés identitaires au nom d’un agenda idéologique ou politique.

«Il faut dénoncer ce type de discours ou de propos qui participent à radicaliser certains individus jusque dans les conséquences les plus graves», a-t-il martelé.

Faisant un lien avec Alexandre Bissonnette, M. Leman-Langlois a expliqué qu’il existe au Québec «tout un paquet de sous-populations beaucoup moins stables que le Québécois moyen, beaucoup plus paranoïaques, beaucoup plus sous pression, stress, etc., incluant potentiellement maladies mentales, toxicomanies variées».

En plus d’attiser la colère, la haine et la suspicion de certaines de ces personnes, le discours politique ambiant aidera certainement les groupes d’extrême-droite à recruter de nouveaux membres, a-t-il déclaré.

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