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Bissonnette magasinait une défense, dit un expert

Evidence photo of Alexandre Bissonnette following a shooting at a Quebec City mosque released Thursday at the sentencing hearing for Alexandre Bissonnette. THE CANADIAN PRESS/HO, Suete du Quebec *MANDATORY CREDIT* Photo: La Presse canadienne
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

QUÉBEC — Alexandre Bissonnette se magasinait une défense de non-responsabilité criminelle lorsqu’il a simulé des symptômes psychotiques, prétendant même entendre des voix, a dit mardi au tribunal un psychiatre légiste engagé par la défense.

Ce faisant, il cherchait aussi une façon de rendre ses actes plus «acceptables» aux yeux de ses parents, a ajouté le docteur Sylvain Faucher, alors contre-interrogé par la Couronne.

Il ne croyait pas qu’Alexandre Bissonnette pourrait invoquer avec succès devant un tribunal une défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

Un avis partagé par une autre psychiatre légiste qui a témoigné mardi, Marie-Frédérique Allard, aussi appelée à la barre par la défense. «C’était clair qu’il était responsable», a-t-elle dit dans la salle de cour.

Cela fait partie des conclusions médicales rapportées au juge François Huot, de la Cour supérieure, lors des audiences sur la détermination de la peine qui sera imposée à Alexandre Bissonnette, déclaré coupable pour la tuerie de la mosquée de Québec du 29 janvier 2017. Le juge devra décider combien d’années le jeune homme devra passer en prison — un minimum de 25 ans — avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. C’est pourquoi les experts ont été interrogés sur sa dangerosité et son risque de récidive.

Mais prévoir où en sera Bissonnette dans 25 ans est un exercice difficile. Il aura alors passé tout ce temps en prison, un milieu dur, et aura alors — ou pas — cherché de l’aide psychologique et des soins.

Cette défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux avait été plaidée notamment par Guy Turcotte, l’homme accusé d’avoir poignardé à mort ses deux jeunes enfants. Le docteur Sylvain Faucher avait d’ailleurs témoigné pour la Couronne dans cette cause tristement célèbre: lors du premier procès du cardiologue en 2011, il avait conclu que Turcotte était responsable de ses actes.

Dans le cas présent, les services du docteur Faucher ont été retenus par les avocats de Bissonnette pour plusieurs mandats, dont celui de déterminer si cette défense était possible.

Bissonnette disait entendre des voix, qui lui faisaient des commentaires ou qui l’incitaient à poser des gestes, écrit le docteur Faucher dans son rapport, après avoir rencontré le jeune homme deux fois, en septembre et décembre 2017.

Mais il ne l’a pas cru. Certaines de ses déclarations ont été faites «pour sauver la face», juge-t-il.

Bissonnette comprenait la nature de ses gestes et était capable de déterminer s’ils étaient bons ou mauvais le soir du 29 janvier, tranche le docteur Faucher. «Son état mental n’était pas altéré par une psychopathologie majeure», a-t-il dit.

Le psychiatre base cette conclusion sur plusieurs faits: le comportement de Bissonnette n’avait pas changé dans les semaines et même les mois précédant la tuerie; il a menti à ses parents le soir du drame, avant de quitter la maison; et, dans son appel au 911, il a dit regretter avoir bu de l’alcool ce jour-là.

Lors de ses rencontres avec lui, il est en contact avec la réalité, précise M. Faucher dans son rapport. Il écarte donc la possibilité d’une maladie psychotique.

Mme Allard rapporte qu’il lui a confié n’avoir jamais entendu de voix: «il avait peur que ses parents ne veuillent plus le voir s’ils réalisaient qu’il « n’avait rien »», note-t-elle.

Tout cela s’inscrit dans un contexte d’un jeune homme qui avait peur du rejet et de la critique, et qui voulait plaire. Il était très dépendant de ses parents, appelant à répétition quand il n’était pas avec eux — quatre à cinq fois par jour, selon sa mère. Lorsqu’il avait 14 ans et que ses parents ont pris une semaine de vacances, il est devenu si anxieux pendant leur absence que sa gardienne a dû l’amener dans une clinique médicale.

Bissonnette lui-même a admis en septembre dernier à une intervenante sociale en prison, Guylaine Cayouette, qu’il était «était tanné de jouer un rôle» et que ce n’était pas vrai qu’il ne se souvient pas de ce qu’il a fait ce soir-là, car il se souvient «de tout».

M. Faucher pose plutôt un diagnostic de troubles anxieux et d’idées suicidaires.

Selon lui, le risque de récidive est faible à modéré. Mais il n’y a pas de risque zéro, insiste l’expert: «dans cette salle, on a tous un risque faible».

Bissonnette n’est pas irrécupérable, estime pour sa part la docteure Allard. Il est capable de changer, et elle a déjà vu une certaine évolution.

Elle déplore d’ailleurs qu’il n’a jamais été pris en charge par des spécialistes en santé mentale. Il y a eu des consultations au cours des années, mais pas de suivi.

Le passage à l’acte

Le docteur Faucher a aussi donné son avis sur les causes possibles du passage à l’acte de Bissonnette, qui ne sont ni des justifications, ni des excuses pour la tuerie, prend-il bien soin de préciser.

Pour lui, il s’agit essentiellement d’une «quête de pouvoir», histoire de contrer un sentiment de faiblesse, d’échec et d’inadéquation.

Mais cela a aussi pour but d’exprimer tout le ressentiment accumulé lors des années où il a été intimidé.

Et pourquoi a-t-il ciblé une mosquée? Selon le psychiatre, Bissonnette «ne s’est pas investi dans une idéologie suprémaciste». Plutôt, «l’attention de Monsieur s’est centrée sur les musulmans, en raison d’abord « de la couleur du temps »». À une autre époque, il s’en serait pris aux juifs, avance-t-il.

Et puis la mosquée avait un avantage stratégique: elle rassemble plusieurs personnes, au même endroit, au même moment. Des conditions impossibles à réaliser s’il avait plutôt décidé de se venger de ses intimidateurs, a expliqué l’expert.

Mercredi, la psychiatre Allard sera contre-interrogée et Bissonnette sera rencontré par un psychiatre mandaté par la Couronne.

La défense n’a pas l’intention de faire témoigner Alexandre Bissonnette.

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