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Journée contre l’homophobie: quand s’afficher est un crime

Photo: AFP PHOTO/Yasuyoshi CHIBA

MONTRÉAL — Sur la photo de la nouvelle campagne de sensibilisation de la Fondation Émergence, Ramy Ayari pose, l’air grave, le drapeau multicolore des communautés LGBTQ autour de ses épaules. Dans le bas de l’image, ces mots: Chez moi, c’est encore un crime d’afficher ses couleurs.

Le jeune Tunisien homosexuel de 25 ans en sait quelque chose. Il a dû quitter son pays et se réfugier ici, au Canada, en 2016, justement pour avoir affiché son homosexualité, notamment dans des photos prises par une amie dans le cadre d’un projet d’études.

En Tunisie, l’homosexualité est un crime passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Les membres des communautés LGBTQ peuvent également être accusés d’attentat à la pudeur.

«Dans certains cas, les juges ou les policiers considèrent que si une personne trans sort dans la rue, c’est un attentat à la pudeur. Il y a eu des arrestations comme ça. Ce qu’ils font, c’est qu’ils appliquent les deux lois ensemble, pour que la victime ait plus de peine de prison», raconte M. Ayari, en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

Selon un rapport sur l’homophobie d’État publié en 2017 par l’Association internationale lesbienne et gay, l’homosexualité est toujours un crime dans 72 États à travers le monde. «Il serait légitime de dire que la peine de mort est « autorisée » ou que son existence est prouvée dans huit États» pour une personne reconnue «coupable» à cause de son orientation sexuelle, ajoute le rapport.

Sensibilisation nécessaire
Le directeur de la Fondation Émergence, Laurent Breault, explique que l’organisme souhaitait mettre de l’avant cette réalité internationale dans sa campagne de sensibilisation, lancée jeudi, journée internationale contre l’homophobie et la transphobie.

«On se demandait si la population était bien au fait des défis et des enjeux des personnes LGBT sur la scène internationale. Donc on sentait le besoin de faire une sorte de rappel ou d’informer la population, le grand public, sur ce qui se passe à l’international», explique-t-il.

Ramy Ayari est l’un des visages de la campagne, qui inclut des affiches montrant une jeune femme du Burundi et un garçon de la Russie, d’autres pays où l’homosexualité ou sa «promotion» est criminalisée. Une capsule vidéo a aussi été créée.

M. Ayari raconte qu’il a été victime d’homophobie jeune, alors qu’il était encore à l’école, mais qu’il a su s’entourer de personnes qui l’appuyaient et qui lui permettaient d’être lui-même vers la fin de son adolescence.

Une séance de photo à laquelle il a participé en 2015, montrant des personnes de même sexe s’embrassant dans des lieux publics, lui a toutefois fait craindre pour sa sécurité, puisqu’elle allait en contradiction avec l’article de loi sur l’attentat à la pudeur.

«J’ai passé deux semaines caché chez une amie et je ne suis (presque) pas sorti de la maison. Quand je sortais, j’essayais de me déguiser, de cacher mon visage, pour que les gens ne me reconnaissent pas. C’était vraiment une période très, très dure que j’ai passée et j’ai coupé tous les contacts à ce moment-là sur Facebook, j’ai fermé mon cellulaire pour que la police ne réussisse pas à savoir où j’étais.»

Pour le jeune homme, il était important malgré tout de passer par-dessus les craintes et de passer des messages. «Il faut faire bouger les choses pour qu’on puisse avancer, sinon, si on vit dans la peur, il n’y a rien qui va changer», croit-il.

Sentiment de sécurité
Après avoir subi une agression physique et reçu des menaces de la part de la police après avoir tenté de porter plainte, M. Ayari a été invité à donner une conférence au Canada dans le cadre de la journée contre l’homophobie, en 2016. Son visa lui a cependant été refusé. Ce fut partie remise quelques mois plus tard, alors qu’il a pu venir participer au Forum social mondial à Montréal. Il n’a jamais quitté le pays par la suite.

«J’ai fait une demande de réfugié à la fin du mois d’août. Et j’ai eu mon statut vraiment très rapidement, en deux mois environ. (…) J’ai fourni presque une cinquantaine de pages contenant des menaces de mort (que j’avais reçues) de la part de policiers et de gens que je ne connais même pas», raconte-t-il, un sourire dans la voix en soulignant que ces personnes qui l’ont menacé lui auront finalement permis d’obtenir son statut dans un pays où il peut enfin se sentir en sécurité.

Ramy Ayari est toujours en contact avec des associations militantes en Tunisie. Il a aussi renoué avec sa mère, qui avait eu de la difficulté à accepter son orientation sexuelle au départ.

«J’ai une bonne relation avec ma mère. Le fait qu’elle ait arrêté de me poser la question: « Quand est-ce que tu te trouves une blonde? », c’est déjà vraiment bien. Mais j’ai compris (qu’à l’époque), elle avait vraiment peur pour ma sécurité.»

Il espère pouvoir un jour retourner en Tunisie, pour poursuivre le travail militant qu’il a déjà accompli.

Pour Laurent Breault, il est important que les Québécois qui souhaitent soutenir les communautés LGBTQ à travers le monde continuent de s’informer, de sensibiliser et d’appuyer les démarches des gouvernements en ce qui a trait à la défense des droits de la personne à l’international.

Il note également qu’il est possible d’appuyer, soit par son expertise ou par un soutien financier, les organismes de défense des droits dans les pays ou l’homophobie et la transphobie sont bien présentes.

«Il faut soutenir ces groupes-là, qui sont déjà sur place. Ce sont eux qui vont nous indiquer la voie à suivre pour changer la société», note-t-il.

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