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Se présenter pour un parti en 2018, est ce devenu un acte de foi?

Coalition Avenir Quebec Leader Francois Legault steps off his campaign bus at a general council meeting, Sunday, May 27, 2018 in Levis, Que. THE CANADIAN PRESS/Jacques Boissinot Photo: Jacques Boissinot/La Presse canadienne
Stéphanie Marin, La Presse Canadienne

MONTRÉAL – Se présenter comme candidat pour un parti politique en 2018, est-ce devenu un acte de foi? Il faut certainement du courage et de la conviction pour se prêter à ce « sport de contact », lors duquel leur vie sera scrutée à la loupe, leurs réseaux sociaux décortiqués pour y trouver de petites bêtes noires, et assumer les possibles revers de carrière après leur passage au pouvoir, estiment des observateurs de la scène politique québécoise.

Les Québécois ne tournent pas autour du pot à ce sujet: sondage après sondage, la cote d’amour envers leurs politiciens reste en bas du palmarès des professions auxquelles ils accordent leur confiance, souvent juste en haut des vendeurs d’automobiles d’occasion.

Cette perception négative des politiciens est-elle un frein pour les citoyens qui souhaitent se lancer en politique?

Certainement, estiment Thierry Giasson et Emmanuel Choquette, deux professeurs d’université. Le premier est au Département de sciences politiques de l’Université Laval et spécialiste des stratégies électorales et de la communication politique et le second, M. Choquette, est chargé de cours à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et doctorant à l’Université de Montréal.

Cela fait définitivement partie de l’équation pour beaucoup de gens lors de la réflexion de se lancer ou pas en politique, dit M. Giasson. Par contre, cette perception négative ne date pas d’aujourd’hui, rappelle de son côté le professeur Choquette.

M. Giasson note que le bris de confiance se voit à plusieurs niveaux: celui de l’engagement politique, le vote le jour du scrutin et même sur les dons citoyens pour financer les partis. Les citoyens se plaignent du cynisme des élus, des scandales et de la politique-spectacle.

S’impliquer en politique active a son lot de risques, font remarquer les deux professeurs.

« Cela vous force à vous accoler une étiquette, à prendre position et à le dire dans l’espace public. On prête le flanc à la critique et on se retrouve dans la controverse et la confrontation », dit le politicologue Choquette. Bref, il ne s’agit pas d’un sport pour ceux qui ont l’estomac fragile.

Les mauvais coups sont soulignés à coups de crayon gras, traduits en caricatures, et relayés de façon exponentielle par les médias sociaux. Ils feront même parfois le tour du monde, comme cette déclaration d’Yves Bolduc, alors ministre de l’Éducation: « Il est permis de faire des fouilles à nu, à une seule condition, il faut que ce soit très respectueux ».

Tout est surveillé et analysé: on ne leur donne pas beaucoup de marge d’erreur, dit M. Choquette. On va critiquer vos valeurs et votre intégrité. « Ça peut en décourager. Surtout pour les personnalités connues, qui ont beaucoup à perdre. »

« C’est très dur. C’est un sport de contact », décrit le professeur Giasson.

Malgré tout, élection après élection, ils sont plusieurs à vouloir surmonter ces obstacles: le désir d’être un acteur de changement et non un simple critique l’emporte pour bon nombre de Québécois, dit M. Choquette. Une autre catégorie de candidats recherchent par contre la lumière des projecteurs, selon le professeur Giasson.

L’après-politique
Et puis, d’avoir l’étiquette d’un parti politique apposée sur le front peut nuire pour se trouver un emploi si on ne se fait pas élire, ou lorsque l’on quitte la vie politique. Car certains peuvent hésiter à engager un ex-libéral ou un ex-péquiste.

Mais ici aussi, cela va beaucoup dépendre de la personnalité du candidat, souligne le professeur Choquette, ainsi que de la force de l’association entre celui-ci et la formation politique. Car selon lui, il n’est pas certain qu’elle va demeurer avec le passage du temps. Il cite le cas de l’actuel ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette: beaucoup ont déjà oublié qu’il a fait ses armes politiques au sein de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Et puis, beaucoup d’électeurs votent pour des individus spécifiques et non pas pour la formation politique, ce qui diminue la force de cette affiliation candidat-parti, poursuit-il.
Il estime également que lorsqu’un candidat ou un député a une personnalité très forte, il « transcende le parti ». Il pense notamment à Lucien Bouchard. « Les gens ont oublié qu’il était conservateur. »

Maud Cohen, candidate pour la CAQ en 2012, n’a pas subi de contrecoups de son passage en politique. Défaite à l’élection, l’ingénieure et ancienne présidente de son ordre professionnel s’est rapidement replacée les pieds.

Ses recherches d’emploi n’ont pas été minées par des gens lui reprochant son étiquette politique de caquiste, « jamais », a-t-elle dit en entrevue. Au contraire, les contacts professionnels et les employeurs voyaient favorablement son engagement social en politique.

« J’en avais plein d’offres à l’époque. Des gens me demandaient d’aller travailler pour différentes associations, différents groupes, j’aurais pu retourner travailler en génie », a-t-elle déclaré. Et le passage en politique lui a donné beaucoup d’outils et permis de bâtir des relations.

Elle note toutefois que la CAQ n’a pas encore été au pouvoir: ses anciens candidats ne subissent pas les conséquences des politiques jugées défavorablement par les Québécois, avance-t-elle. « C’est peut-être plus difficile quand tu as été ministre. C’est plus teinté. »

Aujourd’hui, elle est présidente-directrice générale de la Fondation CHU Sainte-Justine. Un emploi « extraordinaire » où elle a trouvé une motivation aussi grande qu’au sein de la CAQ, dit-elle.

Pour d’autres, l’après-carrière politique peut toutefois être amère. Il peut être difficile pour certains professionnels de réintégrer le nid qu’ils ont abandonné. Ceux qui fonctionnent avec une clientèle, par exemple, qui s’est tournée vers d’autres pendant leurs années à l’Assemblée nationale.

Ça peut être très problématique aussi pour des journalistes: un purgatoire est imposé et on leur demande d’attendre une certaine période de temps, constate le professeur Giasson. Même chose pour des professeurs d’université. L’étiquette politique ne va pas toujours de pair avec une profession qui se targue d’être neutre.

Des députés ayant perdu leurs élections peuvent se trouver un poste comme hauts fonctionnaires ou comme diplomates. Encore faut-il que leur parti soit celui au pouvoir. Pour les autres, cela demeure possible si l’ex-député est reconnu pour son intégrité et sa compétence _ et pour son militantisme « limité », constate le professeur Giasson.

Mais d’autres exemples contrastent: l’ex-ministre péquiste Bertrand Saint-Arnaud a été nommé juge par le gouvernement libéral de M. Couillard.

D’autres – et ils sont nombreux – réintègrent des cabinets d’avocats: c’est le cas des anciens chefs Lucien Bouchard (qui agit aussi comme négociateur et médiateur dans des dossiers commerciaux d’envergure), Pierre-Marc Johnson, Daniel Johnson et Jean Charest.

Yolande James et Marie Grégoire sont devenues entre autres analystes politiques à la télévision, et d’autres sont à l’animation, comme Nathalie Normandeau et Mario Dumont.
Mais ces cas sont des exemples de figures de proue de formations politiques. Il ne faut pas oublier qu’après une élection, il y a entre 4 et 10 candidats par circonscription qui ont perdu et qui doivent réintégrer leur vie, souligne M. Giasson.

La tâche n’est pas vouée à l’échec, croit-il, car s’il y a un désamour envers les politiciens, il y a aussi un respect pour l’engagement au Québec.

Un acte de foi? Un acte de conviction plutôt, estime le professeur Giasson. Car cet engagement n’est pas aveugle comme peut l’être la foi: il s’agit plutôt d’une décision réfléchie. Qui prend toutefois une bonne dose de courage, conclut-il.

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