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Le Détecteur de rumeurs: Trump, allaitement et malnutrition en 3 points

Photo: Archives Métro
Ève Beaudin - Agence Science-Presse

Allaitement maternel ou lait en poudre ? Nul autre que Donald Trump a relancé le débat ce mois-ci après qu’un article du New York Times eut accusé les États-Unis d’avoir voulu atténuer une résolution en faveur de l’allaitement maternel, présentée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

«Les États-Unis soutiennent fortement l’allaitement, mais nous pensons que les femmes ne doivent pas se voir interdire l’accès au lait en poudre. De nombreuses femmes ont besoin de cette option à cause de la malnutrition et de la pauvreté», a-t-il tweeté.

Plusieurs y ont vu un appui à l’industrie du lait pour nourrissons, dont le marché, estimé à 47 milliards de dollars en 2015, est en forte croissance.

Bien que la résolution d’origine qui vise à «protéger, promouvoir et soutenir» l’allaitement maternel ait finalement été approuvée par les pays membres, le Détecteur de rumeurs y a vu une belle occasion de vérifier ce que disent la science et les experts à ce sujet.

1. Le lait maternel, meilleur pour les bébés et les mamans
La déclaration de Trump a fait beaucoup réagir au Dispensaire diététique de Montréal. «On a peur que ça mine les efforts qu’on fait pour encourager l’allaitement maternel. Il faut savoir qu’encore beaucoup de femmes pensent que les préparations commerciales pour nourrissons sont meilleures ou plus “complètes” que le lait maternel, ce qui n’est pas le cas», explique la nutritionniste Catherine Labelle, qui conseille des femmes en précarité financière au dispensaire.

La science a depuis longtemps démontré les avantages pour la santé de l’allaitement maternel. C’est pourquoi l’OMS recommande que les bébés soient allaités exclusivement pendant les six premiers mois de leur vie, puis partiellement jusqu’à l’âge de deux ans.

Le lait maternel est considéré comme le premier vaccin des bébés, puisqu’il contient des anticorps et des bonnes bactéries qui les protègent des maladies infantiles, dont les diarrhées et la pneumonie, deux causes majeures de décès chez les jeunes enfants. Il est aussi associé à un quotient intellectuel plus élevé et à des taux de maladies chroniques plus faibles.

L’allaitement protège aussi les mères de certaines maladies, comme le risque d’hémorragies post-partum, le cancer du sein et le diabète de type 2. Ses bienfaits sont si nombreux qu’une étude publiée dans le Lancet estime qu’il pourrait sauver près de 800 000 vies annuellement, si l’allaitement maternel était quasi universel.

2. Même en situation de malnutrition, les mères produisent du bon lait
L’affirmation de Trump laisse supposer qu’il y aurait un problème spécifique avec les mères vivant de la malnutrition. Un avis qui n’est pas partagé par les spécialistes.

Bien que les études à ce sujet soient assez rares, il semblerait que la quantité et la qualité du lait produit par les mères qui souffrent de malnutrition modérée seraient peu ou pas du tout affectées. Ce serait seulement dans les cas de malnutrition sévère — comme une famine — que la composition du lait pourrait être altérée. Mais même dans cette situation extrême, l’allaitement maternel resterait la meilleure option pour les nourrissons, estime Maaike Arts, spécialiste en nutrition à l’UNICEF.

«Il faut comparer les impacts potentiels de ces carences avec ceux que peuvent entraîner les laits commerciaux pour bébés. Quand une mère vit dans une très grande pauvreté, souvent elle n’est pas en mesure d’acheter du lait de substitution ou des ustensiles pour le préparer. Ou elle n’a pas accès à de l’eau propre», explique-t-elle. L’achat de lait de substitution mettrait sa famille dans une situation financière encore plus précaire, sans compter les impacts dévastateurs pour la santé du nourrisson à qui on donnerait un biberon qui contient de l’eau contaminée.

Rappelons que des millions d’enfants sont ainsi morts dans les pays où l’accès à l’eau potable est limité.

3. L’allaitement maternel, un investissement plutôt qu’une dépense
Puisque l’allaitement procure de tels avantages sanitaires et économiques à court et à long terme, les sommes investies pour sa promotion sont considérées comme un investissement par les spécialistes.

«L’allaitement réduit les coûts de santé et améliore les opportunités économiques», explique Mme Arts. Une analyse de la Banque mondiale a estimé que chaque dollar investi dans l’allaitement pourrait rapporter jusqu’à 35 $ en retour.

Selon une autre analyse menée par l’UNICEF et l’OMS, un investissement annuel d’à peine 4,70 $ US par nouveau-né serait suffisant pour augmenter l’allaitement exclusif chez les moins de 6 mois de 50 % d’ici 2025 et pourrait générer près de 300 milliards $ de gains économiques.

Du marketing agressif pointé du doigt

Le débat relancé par les propos de Trump pointe aussi du doigt des pratiques commerciales contestables.

Une étude publiée en 2016 dans le journal scientifique The Lancet a démontré que le marketing du lait en poudre affecte négativement l’allaitement maternel, en suggérant erronément qu’il s’agit d’un substitut équivalent au lait maternel.

Le National Bureau of Economic Research a par ailleurs identifié les pratiques marketing agressives et controversées de ces compagnies comme étant responsables de millions de morts d’enfants dans les pays en développement entre 1970 et 2011.

Depuis, l’OMS a restreint la promotion des préparations commerciales pour nourrissons, mais l’industrie chercherait à se soustraire à cette réglementation en mettant sur le marché de nouveaux produits qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles, ce qui pourrait avoir des effets catastrophiques, estiment certains spécialistes, peut-on lire dans cet article de la journaliste scientifique Julia Belluz.

Ce serait pour favoriser cette tactique que Trump aurait voulu modifier la résolution de l’OMS, explique-t-elle.

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