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L’exploration spatiale au temps des tensions

Photo: Dmitry Lovetsky / The Associated Pressetsky

MOSCOU — L’astronaute David Saint-Jacques assurait vendredi que l’exploration spatiale allait au-delà des querelles politiques et que malgré les désaccords entre Ottawa et Moscou, il n’y avait pas de problème à envoyer un Canadien s’entraîner en Russie, même si les relations diplomatiques entre les deux nations sont moribondes.

Il est malgré tout ironique de penser que même si la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait voulu faire un saut dans la capitale russe pour souhaiter bonne chance à celui qui arbore un écusson de l’unifolié sur son habit, elle n’aurait tout simplement pas pu: la diplomate en chef du Canada est persona non grata en Russie — une situation qui en dit long sur les tensions entre les deux pays.

Tour d’horizon de l’épineuse relation canado-russe.

Freeland interdite d’entrée: pourquoi?

La ministre de descendance ukrainienne est très critique du régime de Vladimir Poutine, et ne rate jamais une occasion d’afficher son appui à Kiev. Elle figure parmi les 13 Canadiens qui ont été inscrits en mars 2014 sur la liste noire du Kremlin en guise de représailles aux sanctions que le Canada a imposées après l’annexion de la Crimée par la Russie. Elle avait réagi en écrivant sur Twitter que c’était un «honneur» de se retrouver sur «la liste de sanctions de (Vladimir) Poutine». Le régime autoritaire du président, lui, ne loupe jamais une occasion de s’attaquer à Chrystia Freeland, qui est interdite de séjour en sol russe.

En plus de téléguider des campagnes de dénigrement contre la ministre par l’entremise de ses organes médiatiques de propagande, la Russie a multiplié au cours des derniers mois les offensives contre le gouvernement canadien. Les plus récentes en lice: une tentative d’exploiter l’enjeu de la légalisation du cannabis pour tenter de semer la bisbille entre Ottawa et ses alliés du G7 (juin), des accusations d’avoir sauvé des «pseudo-terroristes» en collaborant à l’opération d’extraction des Casques blancs de Syrie (en août), puis un soutien à l’Arabie saoudite après la crise diplomatique qui a éclaté entre le royaume et le Canada (en août).

Freeland sur la relation canado-russe

«Nous avons des questions graves concernant la Russie. Le Canada défend l’ordre international fondé sur les règles. L’invasion de la Crimée et la guerre qui continue dans le Donbass (en Ukraine) sont des problèmes très graves, et le Canada va continuer à souligner le fait que ces actions de la Russie sont illégales», a commenté la ministre Freeland lorsqu’elle a été invitée à décrire la relation canado-russe le 4 août dernier, lors d’une conférence téléphonique organisée en clôture d’un sommet international en Asie.

«Concernant les Casques blancs, (Bachar al-) Assad et son alliée la Russie: les Casques blancs ont des photos et vidéos des crimes violents contre les Syriens. C’était l’une des choses que les Casques blancs ont faites — ils sont les témoins des crimes contre l’humanité du côté d’Assad et de ses alliés. C’est une des raisons pour lesquelles il y a une propagande si négative contre les Casques blancs du côté du régime d’Assad et du côté de la Russie», a-t-elle ajouté.

Les critiques acerbes d’un ancien conseiller

Avant l’entrée en scène de Chrystia Freeland, son prédécesseur à la barre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, avait pris une trajectoire complètement différente. L’ancien ministre devenu ambassadeur préconisait un réengagement, raconte son ex-conseiller dans un ouvrage intitulé «Un seflfie avec Justin Trudeau», Jocelyn Coulon, qui sert une volée de bois vert à celle qui a pris la place de son ancien patron.

Ainsi lit-on dans le bouquin que la députée torontoise «met de l’avant ses origines pour justifier une prise de position forte du Parti libéral envers l’Ukraine et contre la Russie», qu’elle «ethnicise la politique étrangère» et «prend un malin plaisir à décrire la Russie comme l’épouvantail numéro un sur la scène internationale».

Comme on le devine au titre du bouquin, le premier ministre du Canada n’est pas épargné: avec à la table du cabinet cette ministre qui «s’oppose à tout réchauffement avec la Russie», «(Justin) Trudeau, hésitant et incapable de préciser sa pensée sur les relations canado-russes, se range derrière elle».

Sur le fond, aux yeux du chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM), «que le Canada ait coupé les ponts avec la Russie n’a profité à personne, ni aux Canadiens, ni au peuple russe, ni à l’Ukraine, ni à la sécurité dans le monde», et Ottawa doit «cesser d’être pour ainsi dire le seul à pratiquer la politique de la chaise vide à l’égard de la Russie, car ce faisant, il se pénalise lui-même».

Période «malheureuse et peu constructive»

Il a été impossible de s’entretenir avec l’ambassadeur du Canada en Russie, John Kur, lequel doit sous peu quitter ses fonctions. Celui qui détenait les clés de la résidence à Moscou avant lui, John Sloan, a quant à lui affirmé que «les choses ont assurément changé» depuis qu’il est parti, en 2013 — donc, avant l’annexion de la Crimée.

«Nous sommes dans une période très malheureuse et peu constructive. Depuis 2014, la relation entre le Canada et la Russie s’est clairement détériorée. Il faut remonter au retour de Vladimir Poutine comme président (2012). Il mène la Russie dans une direction qui n’est pas particulièrement bonne pour les intérêts à long terme du pays», a-t-il analysé en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

La ministre Freeland, estime l’ancien diplomate, «connaît la Russie, et je crois qu’il faut en tenir compte, mais elle connaît aussi la Russie d’une période où la Russie était pas mal à genoux, et très différente d’aujourd’hui,» a-t-il souligné.

«Nous avons tous notre bagage intellectuel, et notre ministre des Affaires étrangères a certainement ses opinions. Mais j’espère aussi qu’elle puisse avoir une vue d’ensemble (de la situation)», a-t-il ajouté.

Sons de cloches de Moscou

Les différends entre Ottawa et Moscou ne font pas exactement la manchette dans les médias russes, le Canada demeurant après tout une puissance moyenne sur la scène internationale. Les quelques personnes interrogées au hasard dans les rues de la capitale russe la semaine dernière n’étaient pas au fait que la relation entre les deux nations bat de l’aile.

Lorsqu’il l’apprend et que s’impose le sujet de la Crimée, Sergueï Sergeev, 48 ans, se désole que la population russe fasse les frais de cette annexion illégale aux yeux du droit international. Les sanctions économiques qui sont infligées au pays en raison de ce geste touchent «les gens normaux, pas les politiciens», qui eux «sont épargnés et continuent à faire ce qu’ils font», regrette-t-il.

Et s’il soutient que «la Crimée est un territoire russe, tout le monde sait cela» parce que «les gens y sont d’origine russe, ils ne parlent pas ukrainien», le directeur artistique est néanmoins d’avis que «la façon dont cela s’est fait est ridicule», «pas civilisée», et que «cela n’aurait pas du être fait du tout».

Il jure n’avoir pas voté pour Vladimir Poutine, d’ailleurs. «Évidemment pas! Évidemment pas! Je suis normal!», s’est-il exclamé en grillant une cigarette sur une terrasse d’un marché du quartier Tverskoï.

Au parc Zariadié, à un jet de pierre de la place Rouge, Polina Rodygina, 24 ans, s’enthousiasme en entendant parler du Canada. «Je connais Justin Trudeau! Et je l’aime parce qu’il est féministe, parce qu’il a composé un cabinet paritaire, et avec différentes ethnies. Et je le respecte pour cela», a-t-elle lancé.

A priori, la jeune femme, qui maîtrise très bien la langue de Shakespeare, hésite à parler politique. «J’essaie de me tenir loin de la politique. Avec les nouvelles, on ne sait pas lesquelles sont fausses et lesquelles sont vraies», a-t-elle offert. Au fil de l’entrevue, elle exprime sa déception que l’Occident dépeigne le président russe «qui est autoritaire, oui» comme un «méchant».

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