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Quand maman et papa deviennent «profs» à la maison

Ugo Giguère, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — La pratique de faire l’école à la maison n’est certainement pas nouvelle, mais une modification apportée l’an dernier à la loi sur l’instruction publique au Québec vient légitimer ce modèle d’éducation qui gagne de plus en plus d’adeptes tournant le dos au système traditionnel.

Selon les nouvelles dispositions de la loi, les parents sont désormais obligés de transmettre chaque année un avis écrit à la commission scolaire de leur région pour signaler que leur enfant fera l’école à domicile. Le ministère de l’Éducation exige aussi le dépôt d’un projet d’apprentissage et d’une évaluation annuelle de la progression de l’enfant.

En contrepartie, Québec s’est engagé à fournir aux parents un «Guide proposant de bonnes pratiques en matière d’enseignement à la maison» qui doit être dévoilé en juillet 2019.

Le ministère de l’Éducation est même allé jusqu’à financer les activités de l’Association québécoise pour l’éducation à la maison (AQED) en lui versant une subvention de 250 000$ à même l’enveloppe réservée à ses «partenaires en éducation» pour l’année 2018-2019.

L’AQED tenait son congrès annuel, ce week-end au Collège Jean-Eudes à Montréal. Après avoir plafonné autour de 300 membres pendant quelques années, l’organisme connaît une forte croissance et compte maintenant 763 familles inscrites.

D’après les données de l’association, on dénombre environ 4600 enfants qui font leur parcours scolaire à la maison au Québec.

Pour la présidente de l’AQED, Noémi Berlus, la hausse des abonnements s’explique surtout par la modification de la loi par Québec. Selon elle, les gens comprennent davantage la pertinence de l’association.

Pour ce qui est de la popularité grandissante de l’école à domicile, Amélie Delage, qui siège au conseil d’administration de l’organisme, croit qu’il s’agit d’abord d’un rattrapage normal par rapport au reste des pays industrialisés.

«Le Québec est un peu en retard par rapport aux États industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord. Le taux est en moyenne de trois pour cent des enfants qui font l’école à la maison et ici, on est à moins d’un pour cent», explique-t-elle.

Par ailleurs, les deux femmes soulignent que la société vit une grande vague de changements sociaux qui font écho à ces nouveaux modèles d’éducation.

«Les femmes allaitent plus, elles font du cododo. Il y a tout un mouvement d’«attachment parenting» (NDLR: maternage) et ces enfants-là arrivent à l’âge scolaire», mentionne Noémi Berlus en ajoutant que les parents cherchent d’autres options que le modèle standardisé.

Les dernières années de restrictions budgétaires, de coupes dans les services particuliers dans les écoles ont aussi favorisé le mouvement.

«Il y a 40 pour cent des familles, parmi nos membres, qui ont un enfant avec un profil de douance et les écoles n’ont aucune ressource pour eux. De l’autre côté de la courbe, les enfants qui ont des besoins particuliers n’ont plus de services avec les coupures et les parents ne sont pas satisfaits», mentionne Mme Berlus.

La vie après l’école à la maison

Sa fille aînée vivant des troubles d’apprentissage liés à la dyslexie, Dominique Nadeau prend la décision de la retirer de l’école dès la première année et d’entreprendre son éducation à la maison. Une décision appuyée par l’enseignante de sa fille qui croit que l’enfant réussira mieux en ratio un pour un.

Comme l’expérience s’avère positive, la mère de famille applique la même recette à ses autres enfants et se retrouve avec une classe de six!

«La décision claire de le faire, c’était à cause de Daisy (son aînée) parce qu’elle a coulé ses examens de première année. Je me suis dit, on ne va pas continuer comme ça et qu’elle subisse des échecs à répétition», se souvient-elle.

La famille a donc vécu en marge du système d’éducation. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) les a bien visités quatre fois, mais toujours sans intervenir.

«La DPJ est venue, mais elle voyait qu’on avait un environnement stimulant et elle fermait le dossier. La dernière fois, on nous a dit qu’on ne les reverrait plus pour une question d’éducation à domicile», confie Mme Nadeau.

Ses six enfants, dont plusieurs ont atteint l’âge adulte, ont donc fait leur éducation de manière autonome, à leur rythme, et selon leurs intérêts. C’est une fois que l’on arrive au niveau supérieur que les choses se compliquent.

«Au Québec, c’est compliqué, mais pas aux États-Unis ni en Ontario. Même à l’Université McGill, l’éducation à la maison est reconnue», déplore la maman-enseignante.

Son fils Mathieu Villeneuve, âgé de 23 ans, a réussi à surmonter ces épreuves. Refusé au cégep parce qu’il n’avait pas de diplôme d’études secondaires reconnu, il s’est rabattu sur un diplôme professionnel, qu’il pouvait obtenir plus rapidement, avant de faire le saut directement à l’université.

«Je n’avais plus qu’à attendre trois mois pour entrer à l’université, au certificat en écologie, et j’ai été accepté tout de suite», raconte le jeune homme qui excelle en sciences depuis son tout jeune âge.

«Ma plus grosse difficulté a été de m’adapter à avoir des examens. Je n’avais jamais connu ça. Finalement, je me suis rendu compte que je n’avais pas tellement besoin d’étudier parce que j’apprends vite et je performe assez bien», confie le jeune homme qui étudie maintenant au baccalauréat en biologie à l’UQAM et qui entend faire son doctorat.

«J’ai eu besoin d’une adaptation pour les échéanciers à suivre, sur les travaux et les examens, mais ça s’est fait plutôt bien. Pour les travaux d’équipe, j’ai l’habitude avec ma famille!», mentionne-t-il.

Dominique Nadeau ne s’inquiète pas pour le cheminement atypique de ses enfants. Sa fille aînée a surmonté ses difficultés d’apprentissage pour compléter une technique en physiothérapie sportive et les autres suivent tous leur passion.

«L’idée, c’est d’aller vers leurs intérêts. Ils ont lu des livres qu’ils n’auraient pas lus à l’école. On peut se permettre d’aller à des niveaux beaucoup plus élevés que l’école dans certaines matières. Je pense que ça développe la curiosité et l’envie de se dépasser», résume-t-elle.

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