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Le quotidien violent du personnel de soutien scolaire

Photo: (Isabelle Bergeron /TC Media)

Travailleurs de l’ombre à la réalité méconnue, le personnel de soutien scolaire est régulièrement victimes ou témoins de la violence dans les écoles du Québec. Il se sent parfois impuissant face à des classes peuplées et des élèves chez qui on diagnostique de plus en plus de troubles.

«La violence, on la voit au quotidien dans mon école. Une fois par jour, au minimum, ça peut être un élève qui lance des chaises, qui sort toutes ses affaires de son pupitre, qui garroche tout par terre, on voit ça tous les jours», rapporte Martine (nom fictif), une éducatrice au service de garde d’une école de la Rive-Sud de Montréal, en évoquant aussi les coups de pied, les coups de poing ou les morsures.

En tant qu’éducatrice au service de garde, Martine fait partie des employés de soutien scolaire, qui comprennent aussi les éducateurs spécialisés, les secrétaires et les concierges. Bref, tous ceux qui ne sont pas enseignants.

Pourtant, Martine ne travaille pas avec des adolescents difficiles, elle est éducatrice à la maternelle. Pour qualifier son groupe de plus en plus nombreux, elle parle avec humour et une pointe de cynisme de la «population carcérale» de son service en constante augmentation. En 20 ans, elle a vu le personnel s’en aller, certains exténués, d’autre régulièrement en arrêt de travail. L’anxiété est omniprésente pour ces personnes de plus en plus précarisées par une diminution progressive de leur temps de travail.

Au service de garde jusqu’à 18h, elle est censée s’occuper de 20 élèves, selon les ratios en vigueur dans la convention collective du personnel de soutien scolaire. «On est souvent une éducatrice pour 26, 27 élèves et on nous dit que c’est temporaire, mais ça arrive quotidiennement», soutient-elle. Résultat: impossible de s’occuper de tout le monde, surtout quand il y a des élèves avec des problèmes de comportement ou des élèves autistes qui nécessitent un accompagnement particulier.

Éducateur en service de garde d’une école primaire, François (nom fictif) partage le point de vue de Martine sur le manque de ressource, bien qu’il n’ait jamais subi personnellement de violence.

«On a une clientèle de plus en plus difficile depuis trois ans. Les enfants arrivent des fois de milieux plus difficiles, des enfants différents avec des diagnostics, médicamentés. Les réactions peuvent arriver vite, la violence verbale, physique aussi. On n’a pas les mêmes ressources que les enseignants», se désole-t-il.

Situation «intolérable»
Pour le président de la Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ), Éric Pronovost, cette situation est «intolérable» et est due en grande partie aux coupes budgétaires effectuées dans le domaine de l’éducation depuis six ans. Le personnel de soutien serait les grands oubliés des débats sur l’éducation, alors qu’une pénurie de main-d’œuvre touche tous les corps de métiers présents dans les écoles, et pas seulement les professeurs. En août dernier, l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) rappelait dans une étude que le personnel de soutien était particulièrement touché par la précarité et l’épuisement professionnel.

Un sondage de la firme Ad hoc recherche et commandé par la FPSS révélait en septembre que 71% des employés de soutien scolaire ont été victimes au moins une fois de violence au cours de la dernière année scolaire. Le taux monte à 82% pour ceux qui interviennent directement auprès des enfants, comme Martine et François.

D’après les témoignes recueillis par Métro, c’est le soir, pendant les heures du service de garde, que le manque de ressource a le plus de conséquences. Une fois que la cloche a sonné, après la fin des classes, les éducatrices n’ont souvent personne à appeler en cas de crise, lorsque la frustration, l’incompréhension et le mal-être d’un enfant ouvrent la voie à la violence et parfois, aux coups.

Ce dont les éducatrices en service de garde ont besoin, explique Martine, ce sont des des techniciens en éducation spécialisés (TES). Surnommés les «pompiers» dans le milieu, ils interviennent en cas de crise, ils accompagnent aussi les élèves en difficultés dans leurs cours.

L’étiquette de pompier, Alexandre Dupré l’accepte volontiers. Ce technicien en éducation spécialisée dans une école secondaire adore son travail, même s’il déplore que certains cas devant être pris en charge par la police ou la Direction de la protection de la jeunesse n’aboutissent pas. Il constate aussi la difficulté pour les TES de devoir accomapgner de plus en plus d’élèves.

«La situation peut être parfois assez critique. Avec intégration d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage  dans les classes, les cas deviennent de plus en plus lourd», avance-t-il.

Moins outillés
Le personnel de soutien scolaire interrogé par Métro indique aussi que les élèves sont de plus en plus difficiles à gérer. Pour Anne Léonard, psychologue en milieu scolaire, il y a en effet une évolution notable observée depuis plusieurs années dans le diagnostic des enfants, et le personnel de soutien n’a pas été préparé à cette situation.

«Ce qu’il y a en plus, ce sont des élèves qui ont des troubles du spectre de l’autisme. Dans ma commission scolaire, il y a eu vraiment une augmentation incroyable du nombre de diagnostics d’élèves», indique-t-elle.

En revanche, la manière d’intervenir et les connaissances scientifiques de l’autisme ont permis d’améliorer la prise en charge des ces élèves. «En tant que psychologues, on comprend mieux ce qu’il se passe», ajoute -t-elle.

Les psychologues sont obligés de suivre de formations afin de se mettre à jour sur les dernières nouveautés en terme de recherche et d’accompagnement. Un problème persiste pourtant, puisque les ressources allouées à l’intervention et au soutien dépendent des commissions scolaires. Si Mme Léonard est bien lotie dans son école, qui a beaucoup de ressources, elle concède que ce n’est pas forcément le cas partout.

«Nous, les psychologues, on est davantage outillés. On est formés à travers le temps et les formations ne sont pas les mêmes qu’il y a 20 ans. On connaît davantage ces problématiques, mais je ne sais pas si au niveau du soutien, ç’a évolué tant que ça non plus.»

Le sondage de la FPSS soulignait aussi que la moitié du personnel de soutien scolaire n’avait pas suivi de formation d’intervention en situation de crise. Pour Martine et François, ces formations sont effectivement très importantes et aident à mettre à jour leurs connaissances. Pourtant, elles sont parfois trop courtes, pas assez consistantes ou organisées à de trop faibles fréquences, ont-t-il rapporté.

«On ne dresse pas un portrait aussi noir»
Pour la présidente de la Fédération québécoise des directions d’écoles, Lise Madore, les plans d’action et d’intervention pour lutter contre la violence sont fortement dépendants du budget des commissions scolaires et du personnel prêt à s’y investir.

«Avec les commissions scolaires en déficit, il se peut que des écoles n’aient pas de marge de manœuvre. Imposer des choses aux écoles, exiger des plans contre la violence, c’est bien, mais il faut leur donner les moyens de le faire», relève-t-elle.

La Fédération des commissions scolaires du Québec soutient que «les meilleurs services possibles» sont offerts «aux élèves en fonction de leurs besoins» «mais aussi des ressources disponibles tant financière qu’humaine». «On ne dresse pas un portrait aussi noir que du côté syndical », affirme sa la directrice des communications, Caroline Lemieux. Cette dernière précise aussi que les budgets alloués à l’accompagnement des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage (HDAA), ne peut être utilisé pour autres choses, alors que les autres enveloppes elles, peuvent servir à compléter le financement du soutien.

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