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Trudeau demeure prudent face à l’Arabie saoudite

Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne Photo: Sean Kilpatrick

WASHINGTON — Justin Trudeau est demeuré prudent, vendredi, en commentant le sort mystérieux de Jamal Khashoggi, chroniqueur du Washington Post qui aurait été tué par des agents de l’Arabie saoudite à l’intérieur du consulat de ce pays en Turquie.

Interrogé lors du sommet de la Francophonie, en Arménie, le premier ministre a indiqué que le Canada était préoccupé par cette affaire. Il a néanmoins insisté pour dire que le gouvernement canadien avait déployé depuis plusieurs années en Arabie saoudite un important effort diplomatique pour faire avancer la question des droits de la personne. M. Trudeau a ajouté qu’il avait eu personnellement à ce sujet une conversation avec le roi Salmane ben Abdelaziz al Saoud au printemps dernier.

«Nous sommes extrêmement actifs, tant en privé qu’en public, depuis de nombreuses années, quant à notre préoccupation pour les droits de la personne en Arabie saoudite, et nous continuerons d’être clairs et fermes pour défendre ces droits dans le monde entier, quel que soit l’interlocuteur», a indiqué M. Trudeau.

«Nous nous efforcerons toujours de le faire de manière constructive, mais nous veillerons à ce que les gens sachent que le Canada défend sans équivoque les droits de la personne — partout, en tout temps.»

Le mystère qui entoure la disparition de M. Khashoggi, d’origine saoudienne, n’a fait que s’intensifier depuis qu’il a été vu pour la dernière fois le 2 octobre dernier entrant dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Selon des informations parues dans les médias américains, des responsables turcs détiendraient des enregistrements audio et vidéo prouvant que M. Khashoggi a été interrogé, torturé et tué par des agents des services de sécurité saoudiens à l’intérieur du consulat, où il était allé se procurer des documents officiels en vue de son mariage le lendemain. Le «New York Times» écrit même que les Saoudiens ont fait venir un médecin légiste pour démembrer le corps.

«Évidemment, la situation qu’on voit dans les nouvelles ces jours-ci est inquiétante, et nous nous joignons à nos alliés en exprimant des inquiétudes à ce niveau-là, a indiqué M. Trudeau vendredi à Erevan. Mais évidemment, il y a encore beaucoup de questions qui ont besoin d’avoir des réponses, alors on ne va pas faire plus de commentaires sur cette situation-là.»

Chat échaudé?

Le gouvernement canadien a de bonnes raisons de se montrer prudent, depuis la réaction intempestive du royaume saoudien, en août dernier, à la suite d’une déclaration somme toute habituelle de la ministre des Affaires étrangères. Chrystia Freeland exigeait alors la libération de militants détenus dans le royaume, notamment Samar Badawi, championne des droits des femmes et soeur du blogueur Raif Badawi, lui-même emprisonné depuis 2012 pour avoir critiqué des leaders religieux.

L’Arabie saoudite a illico rappelé son ambassadeur à Ottawa, gelé les échanges commerciaux, annulé les vols Toronto-Riyad et retiré ses étudiants des facultés de médecine canadiennes. Le gouvernement Trudeau a alors été vivement critiqué par des députés de l’opposition et certains observateurs, notamment Dennis Horak, ancien ambassadeur canadien en Arabie saoudite, qui a accusé Ottawa cette semaine d’avoir forcé un peu trop la note.

Mais l’affaire Khashoggi vient miner aujourd’hui cet argument, estime Fen Hampson, directeur de l’École d’affaires internationales à l’Université Carleton, à Ottawa. «D’une certaine manière, ce qui s’est passé (à Istanbul) justifie les actions de notre ministre des Affaires étrangères — de les semoncer pour leur comportement au chapitre des droits de la personne, soutient le professeur Hampson. Il existe de plus en plus de preuves qui soutiennent que (…) nous avions atteint cette étape d’appeler un chat un chat.»

Très prise dans les négociations de libre-échange, Mme Freeland a peu abordé cette question depuis, bien qu’elle ait reconnu lors d’un événement du Conseil des relations extérieures à New York, le mois dernier, qu’elle s’était entretenue fréquemment au téléphone avec son homologue saoudien. Des responsables des Affaires étrangères ont déclaré que Mme Freeland avait rencontré Adel al-Jubeir en personne la même semaine, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, bien que les deux ministres ne se soient pas encore rencontrés ni parlé depuis.

Les États-Unis aussi prudents

Il existe bien sûr un autre éléphant diplomatique dans la pièce: les États-Unis, qui tissent depuis longtemps des relations étroites avec l’Arabie saoudite. Le président Donald Trump, qui entretient des liens serrés et bien connus avec cette région, a également adopté un ton modéré sur l’affaire Khashoggi ces derniers jours. «Nous y sommes très attentifs, a-t-il déclaré jeudi dans le bureau ovale. Ce qui s’est passé est une chose terrible — à supposer que cela se soit passé. Je veux dire: peut-être que nous serons agréablement surpris, mais j’aurais plutôt tendance à en douter.»

Certains membres du Congrès, par contre, sont prêts à aller au front. Un groupe de sénateurs démocrates et républicains de la Commission des affaires étrangères a écrit au président pour exiger des sanctions en vertu de la loi Magnitski. Cette loi, adoptée en 2016, porte le nom du dénonciateur russe Sergeï Magnitski, battu et privé de soins médicaux avant sa mort en détention en 2009.

Les sénateurs invoquent une disposition de cette loi et demandent au président d’ouvrir une enquête et de déterminer, d’ici 120 jours, s’il y a lieu de prendre des sanctions contre Riyad. Si les États-Unis allaient jusque-là, le Canada — qui a adopté sa propre loi Magnitski — risquerait de s’y voir forcé lui aussi.

Or, les deux pays ont également beaucoup à perdre sur le plan financier. Le président Trump parle souvent des 110 milliards $ US de ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Bien que certains décrivent ce montant comme une liste de souhaits plutôt que des résultats concrets, le président américain ne voudra certainement pas compromettre ces lucratifs contrats. Dans le cas du Canada, un contrat de 15 milliards $ pour la fourniture de véhicules blindés légers construits en Ontario est quant à lui très concret, tout comme l’engagement des libéraux de respecter un contrat signé par leurs prédécesseurs conservateurs.

«Nous avons respecté ce contrat, mais en même temps, nous y avons ajouté des mesures considérablement nouvelles et renforcées en matière de transparence, de responsabilité, afin de nous assurer qu’à l’avenir, les attentes et les lois des Canadiens soient toujours respectées», a soutenu M. Trudeau.

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