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Ottawa veut abolir l’isolement dans les prisons

CHAD HIPOLITO / La Presse Canadienne Photo: CHAD HIPOLITO

OTTAWA — Le gouvernement Trudeau a déposé mardi un projet de loi visant à remplacer l’isolement préventif dans les établissements correctionnels fédéraux par une pratique moins restrictive.

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a indiqué que le projet de loi résultait de décisions judiciaires récentes en matière d’isolement préventif — communément appelé «le trou».

Le gouvernement libéral a aussi pris en compte l’enquête du coroner sur le décès d’Ashley Smith, une jeune femme de 19 ans qui s’était étranglée dans sa cellule en 2007 après avoir passé plus de 1000 jours en isolement cellulaire préventif dans différents établissements. Une enquête du coroner avait conclu en 2013 à un homicide et formulé 104 recommandations, dont l’abolition de l’isolement cellulaire «indéfini».

Les détenus qui présentent un risque pour eux-mêmes ou pour la population carcérale peuvent être placés en isolement cellulaire préventif, pour une période indéfinie — «le temps qu’il faut». Ils peuvent sortir de leur cellule deux heures par jour, et n’ont pas accès à des interactions significatives avec d’autres humains. Ils ne bénéficient pas non plus des programmes offerts aux détenus ou de soutien en santé mentale.

Le projet de loi C-83, déposé mardi à la Chambre des communes, prévoit notamment de remplacer cet isolement cellulaire préventif par des «unités d’intervention structurées», créées au sein même des établissements. Les détenus y seraient tout de même séparés du reste de la population carcérale «au besoin», mais ils conserveraient «leur accès à des programmes de réadaptation, à des interventions et à des soins de santé mentale». Ils pourraient par ailleurs passer quatre heures par jour à l’extérieur de leur cellule, dont deux heures en compagnie d’autres personnes.

Les détenus de ces nouvelles unités d’intervention structurées seraient aussi visités quotidiennement par un professionnel de la santé agréé, et pourraient avoir accès à des «défenseurs des droits des patients», une recommandation du coroner dans l’enquête sur la mort d’Ashley Smith.

Le Service correctionnel du Canada serait d’autre part tenu de veiller à ce que «les facteurs systémiques et historiques exclusifs aux délinquants autochtones soient pris en considération dans toutes les décisions».

Une pratique «inhumaine»

Le gouvernement Trudeau avait déposé l’an dernier un projet de loi visant à limiter progressivement la durée de l’isolement cellulaire d’un détenu. Ces plafonds, qui devaient passer petit à petit de 21 jours à 15, ne touchaient toutefois que l’isolement disciplinaire, et non l’isolement préventif, qui implique des procédures différentes au sein de l’administration carcérale. Actuellement, l’isolement disciplinaire ne peut durer plus de 30 jours; l’isolement préventif, qui doit prendre fin «le plus tôt possible», peut parfois se prolonger plus longtemps.

Le cabinet du ministre Goodale a indiqué mardi que le projet de loi déposé l’an dernier, qui n’a jamais été débattu en Chambre, serait retiré au profit du nouveau projet de loi.

La Cour suprême de Colombie-Britannique et la Cour supérieure de l’Ontario ont conclu chacune de leur côté que les politiques actuelles du Canada en matière d’isolement préventif étaient inhumaines — le tribunal ontarien a même invalidé la pratique si elle dépassait cinq jours.

Le gouvernement fédéral a interjeté appel de la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, alors que l’Association canadienne des libertés civiles en appelle du jugement ontarien, qualifié de trop clément. M. Goodale a déclaré mardi que ces appels «iraient de l’avant», mais Ottawa s’attend à ce que les parties reconnaissent que le nouveau projet de loi répondrait aux principales préoccupations, ce qui «rendra les procédures inutiles».

Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de sécurité publique et de protection civile, Matthew Dubé, estime que les libéraux tiennent un discours contradictoire, compte tenu du jugement du tribunal de la Colombie-Britannique, qui a été porté en appel par Ottawa. «On dit qu’on veut apporter des améliorations. Pourtant, la cour a offert une bonne prescription qui aurait pu nous permettre de respecter nos exigences en droits de la personne», a déclaré le député de Beloeil-Chambly, mardi aux Communes.

Le porte-parole conservateur en matière de sécurité publique et de protection civile, Pierre Paul-Hus, a soutenu quant à lui «que les libéraux de Trudeau traitent en priorité les droits des criminels les plus violents et les plus dangereux du Canada, les faisant passer avant les droits des victimes». Il estime que les détenus placés en isolement doivent l’être pour la sécurité d’autrui, ou demandent à l’être pour leur propre sécurité. «Vouloir jouer à de la thérapie de groupe, c’est pas l’endroit pour ça», a déclaré le député de Charlesbourg-Haute-Saint-Charles.

La commissaire du Service correctionnel du Canada, Anne Kelly, a estimé dans un communiqué que «ces modifications législatives transformeront le système correctionnel fédéral, en plus de faire en sorte que nos établissements fournissent un environnement sûr et sécuritaire qui favorise la réadaptation des délinquants, la sécurité du personnel et la protection du public».

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