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Les Îles-de-la-Madeleine se relèvent de la tempête

Nigel Quinn / La Presse Canadienne Photo: Nigel Quinn
Pierre Saint-Arnaud et Morgan Lowrie, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

«Ç’a « shaké » beaucoup; tout le dessous du chalet est parti, tout a arraché en dessous», raconte Jeanne Lebel, de Havre-Aubert, qui a été réveillée à 4h00 du matin, jeudi, par les vents violents qui secouaient les Îles-de-la-Madeleine.

Mme Lebel, qui vit «direct au bord de la mer», a affirmé en entrevue avec La Presse canadienne que les vents de plus de 130 kilomètres à l’heure ont poussé les vagues «à mi-hauteur de mes châssis de cuisine. L’eau n’est pas entrée; mes châssis sont très bons! Mais j’ai eu peur que mes châssis lâchent et que l’eau entre à l’intérieur.»

La sympathique sexagénaire précise qu’elle en a vu d’autres, «mais pas comme celle-là», au point d’avoir sérieusement songé à évacuer les lieux.

«J’ai mon arrière-grand-père qui s’est perdu à la chasse aux phoques. Il est sur le mur de la cuisine et c’est lui qui garde le fort. (…) Je l’ai regardé et j’ai dit: « si tu tombes de là, je sors d’ici ». Mais il est toujours là. Il ne tombe pas!» lance-t-elle sur le ton imperturbable de celle qui ne s’en laisse pas imposer.

Mais les vents violents, qui ont jeté de nombreux poteaux par terre et provoqué d’importantes pannes d’électricité, ont aussi mis au jour la vulnérabilité du réseau de télécommunications en causant une rupture complète des communications entre l’archipel et le reste du monde, à l’exception d’une poignée de liens téléphoniques satellitaires qui ont permis de lancer un appel de secours aux autorités sur le continent.

Aide militaire

L’appel à l’aide a mobilisé de nombreux efforts dès jeudi matin, mais le problème demeurait entier: le traversier était cloué sur place en raison de la mer démontée et l’aéroport était paralysé en l’absence de réseaux de communications.

Fort heureusement, l’un des deux câbles sous-marins qui relient les Îles au reste du monde a pu être remis en service à 22h15 jeudi soir, permettant l’arrivée d’un premier avion avec des équipes d’Hydro-Québec pour participer à l’effort de redressement.

Deux avions des Forces armées canadiennes, mobilisés à la demande du gouvernement du Québec, se sont ensuite rendus sur place en fin d’après-midi vendredi, l’un transportant du personnel d’Hydro-Québec, de Bell Canada, des ministères de la Santé et de la Sécurité publique et une quinzaine de militaires, l’autre transportant du matériel pour les télécommunications, le réseau électrique, le Centre de santé et d’autres équipements d’urgence tels des génératrices et des téléphones satellites mobiles.

Un autre lien a été ouvert en après-midi avec le départ du traversier en direction de l’Île-du-Prince-Édouard pour y embarquer des camions d’Hydro-Québec requis sur le terrain.

Au pire de la tempête, jusqu’à 4500 des 7700 abonnés d’Hydro-Québec avaient perdu l’électricité dans l’archipel. Vendredi, près de 3000 abonnés étaient toujours privés de courant en fin d’après-midi, surtout dans la partie est des Îles, soit dans les secteurs de Havre-aux-Maisons, Pointe-aux-Loups, Grosse-Île et Grande-Entrée.

«Si la météo est de notre côté, dimanche peut être réaliste» pour un rétablissement de service, a confié le maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, lorsque rejoint par La Presse canadienne.

Incendie majeur

Ces pannes sont indirectement à l’origine d’un incendie majeur qui a complètement détruit le HLM de Havre-aux-Maisons, jetant à la rue une vingtaine de personnes. L’incendie accidentel a été causé par une cuisinière d’appoint utilisée en raison de l’absence d’électricité. Heureusement, personne n’a été blessé.

«L’incendie semblait au départ être en mesure d’être maîtrisé. Malheureusement, avec la force des vents, il est devenu en perte de contrôle et aujourd’hui c’est une perte totale», a déploré le maire Lapierre.

Le secteur de Havre-aux-Maisons s’est du même coup retrouvé avec des difficultés d’alimentation en eau potable à la suite des dommages causés par l’incendie; la population est invitée à réduire sa consommation d’eau et à faire bouillir celle-ci avant de la consommer.

Communications: une question de vie ou de mort

Jonathan Lapierre s’est dit satisfait de la réponse des services d’urgence locaux, mais il a souligné à quel point cette situation a démontré la nécessité d’installer un lien de communication plus robuste et plus fiable.

«C’est comme si vous vous réveillez un matin et que tout à coup c’est impossible de sortir de la maison, de communiquer avec qui que ce soit à l’extérieur de votre maison et que, peu importe ce qui vous arrive, vous êtes laissé à vous-même», illustre le maire Lapierre. Car, dans une situation où il n’y a ni contact et, surtout, aucune possibilité d’entrer ou sortir de l’archipel, tout devient une question de vie ou de mort.

«C’est impossible d’évacuer des gens pour maladie, pour des traumatismes crâniens, par exemple, ou des accidentés de la route, des arrêts cardiaques. Il n’y a aucun spécialiste ou presque pas de spécialistes aux Îles-de-la-Madeleine, pas de radiologiste présent, pas de contact avec des hôpitaux dans les grands centres urbains pour de l’assistance», a-t-il fait valoir.

«Nous avons été chanceux cette fois-ci parce qu’il n’y a pas eu de grave accident, il n’y a pas eu d’évacuation médicale nécessaire, l’incendie n’a pas fait de blessés, mais ç’aurait pu être différent, d’où l’importance d’avoir des liens de communication qui soient à l’épreuve de pratiquement n’importe quelle avarie.»

À Québec, le député des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, a fait part de son intention de relancer rapidement les discussions sur la mise en place d’un troisième câble sous-marin avec le Réseau intégré de communications électroniques des Îles-de-la-Madeleine (RICEIM), l’organisme sans but lucratif qui regroupe la plupart des grands acteurs de la communauté et qui est propriétaire des deux câbles sous-marins.

«On va faire des appels au ministère de l’Économie pour qu’on trouve les moyens d’agir d’ici l’été prochain. (…) Si on ne le fait pas l’été prochain, ce sera l’été suivant. Je veux être rassuré sur le fait que si on ne procède pas à des opérations dès l’été prochain, qu’on puisse avoir un service fiable jusqu’à l’été 2020», a dit le député péquiste, qui n’a pas manqué de rappeler que le RICEIM avait signalé dès 2016 que ces câbles arriveraient à leur fin de vie utile en 2018 et que rien n’avait été fait pour corriger la situation.

Érosion des berges… et des poteaux

Le maire Lapierre a aussi signalé la nécessité d’inspecter les poteaux qui ne se sont pas brisés, notant que ceux-ci souffrent d’érosion à la base.

«C’est un contexte particulier; lorsqu’un poteau est en bordure d’une route nationale qui elle-même est en bordure de la mer et que, depuis 12 heures, le vent frappe à des pointes de 130, 135, à un moment donné, tout ça vient qu’à céder.»

Léonard Chevrier, un Madelinot de 60 ans qui n’est pas branché au réseau d’Hydro-Québec et qui n’a donc pas subi de panne de courant, abondait dans le même sens lorsque rejoint par téléphone: «À chaque tempête, les poteaux qui ne sont pas brisés sont affaiblis. S’il y a une tempête dans une semaine, il y en a d’autres qui vont casser. C’est tout le système qui prend de l’usure.»

Mais selon ce dernier, c’est la rupture des communications qui représente les pires risques pour les insulaires.

«Beaucoup plus que le manque d’électricité ou de chauffage ou quoi que ce soit, parce que le bassin de population commence à être très âgé aux Îles, donc se déplace moins et sans communications, tu ne peux pas appeler les secours.»

Au lendemain de la tempête, M. Chevrier a pris sa voiture pour jeter un coup d’oeil aux alentours et ce qu’il a vu vient confirmer ses observations des dernières années.

«Sur la grève, c’est habituel depuis deux ou trois ans que la mer passe par-dessus le chemin, mais ça empire d’année en année.»

Il ajoute que la situation est particulièrement inquiétante en ce qui a trait aux magnifiques plages de sable de l’archipel.

«Les dunes de sable aux Îles, le cordon dunaire qui fait tout le tour des Îles, cet automne, il en a mangé une claque comme on dit ici. C’est épouvantable. Il y a des secteurs où ce sont trois, cinq, même dix mètres de perdus à la mer.»

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