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Feu et aménagement forestier: faune en péril

Lise Millette - La Presse Canadienne

MONTRÉAL – Des milliers d’hectares de forêt ont brûlé ces dernières semaines dans les vastes incendies de forêts qui continuent de sévir dans tout le nord du Québec. L’impact de ces feux est évident, mais ils ne seront pas les seuls responsables des bouleversements qui frapperont la faune nordique dans les prochains mois.

Dans la forêt boréale, là où les incendies sont fréquents et s’étendent sur de vastes superficies, le feu est phénomène naturel, souvent allumé par la foudre, fait observer la biologiste Gaétane Boisseau. Selon elle, la faune, sait d’instinct comment faire face et s’adapter aux ravages du feu.

Même qu’une fois brûlé, le bois permet une régénération de la biodiversité et revêt son importance pour l’équilibre écologique. Les arbres, qui ne sont pas tous consumés, sont autant d’habitats pour plusieurs espèces d’oiseaux, des insectes, des anthropodes et de petits mammifères qui viennent s’y loger.

Les pics, par exemple, ont plus de facilité à y déloger les insectes ravageurs et y puisent une grande part de leur nourriture.

Gaétane Boisseau estime donc que ce n’est pas tant le feu que l’activité humaine à la suite du feu qui a le plus d’impact et lorsque l’aménagement forestier et les grandes coupes de l’industrie s’ajoutent, les conséquences sur la faune s’en trouvent décuplées.

Parmi les espèces vulnérables, on retrouve le caribou forestier, le loup et le carcajou qui ont besoin de grands espaces vierges dépourvus de présence humaine pour survivre.

«L’aménagement forestier amène dans son sillage les chemins forestiers. C’est ce qui est le plus mortel. Les chemins amènent les gens, certains avec de bonnes, d’autres avec de moins bonnes intentions. La pêche, la chasse, le braconnage et les feux d’origine humaine. C’est ce qui menace la faune», résume-t-elle.

En 2012, un mémoire de l’Association des biologistes du Québec estimait que les populations de caribou forestier avaient connu un déclin considérable au Canada. En 20 ans, leur nombre a chuté de 30 pour cent. Afin de réduire le risque de prédation, ces grands mammifères ont besoin de territoires intacts qui se font de plus en plus rares à mesure que les activités humaines s’intensifient. Les tentatives de préservation du territoire, d’aménagement ou de corridor forestier ne génèrent que des résultats mitigés.

«Les corridors, qu’on fasse ça au sud ou on nord, ne seront jamais assez généreux en termes de longueur et de hauteur d’arbres. Et puis, un corridor n’est qu’un filtre. Ce ne sont pas toutes les espèces qui vont les emprunter», insisté la biologiste.

Ces aires protégées ont aussi été détournées, en quelque sorte, de leur vocation par les espèces elles-mêmes. Les espaces préservés, parfois de 250 kilomètres carrés, font aussi en sorte de garder «captifs» certains grands animaux.

«Le loup a appris qu’il s’agit d’un véritable «piège écologique» et que le «buffet» se situe dans ces 250 kilomètres carrés, dont le caribou ne peut sortir parce qu’au-delà, il y a des coupes et des chemins forestiers».

Ces chemins, ils ne sont pas prêts de disparaître et Gaétane Boisseau s’inquiète même de voir leur développement augmenter avec l’essor du territoire nordique, en raison des pressions économiques qui s’exercent.

Même le bois brûlé suscite l’intérêt de l’industrie forestière. Après de grands feux, le temps presse pour aller chercher ce bois. Un an après l’incendie, il est trop tard puisque les insectes ravageurs s’y sont déjà attaqués. Ce bois, s’il n’est pas trop atteint, peut en effet être encore utile et il est possible d’en tirer quelque chose, surtout si ce n’est que l’écorce qui est brûlée.

Le Service canadien des forêts (SCF) reconnaît que le contexte d’une baisse de la possibilité forestière, fait en sorte de rendre la récupération des bois brûlés en forêt boréale non seulement séduisante, mais nécessaire à l’approvisionnement en bois de l’industrie forestière. Le SCF considère toutefois qu’il faut tenir compte de la conservation d’une toute aussi essentielle biodiversité.

«Les scientifiques et les ingénieurs forestiers savent qu’il faut en laisser pour la biodiversité, mais on en enlève toujours trop et de plus en plus», déplore Gaétane Boisseau, insistant sur l’urgence de protéger les forêts boréales vierges et les quelques massifs naturels encore existants, mais eux aussi, menacés.

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