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Le certificat de sécurité contre Harkat maintenu

Jim Bronskill - La Presse Canadienne

OTTAWA – La Cour suprême du Canada a maintenu le certificat de sécurité assigné au présumé terroriste Mohamed Harkat, ouvrant la voie à son éventuelle expulsion vers l’Algérie.

Le plus haut tribunal du pays a également rejeté la contestation constitutionnelle de M. Harkat, âgé de 45 ans, au sujet du régime des certificats de sécurité, jugeant à l’unanimité que le processus — bien qu’imparfait — ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés.

«C’est difficile de mettre en mots ce que l’on ressent, a affirmé l’avocat de Harkat, Norm Boxall, après la publication de la décision. Je n’ai pas d’autre mot que ‘dévastateur’.»

«Nous nous battrons pour eux jusqu’au bout», a-t-il ajouté alors que son client et sa femme Sophie montaient dans une voiture.

Ancien livreur de pizza, Mohamed Harkat avait été arrêté en décembre 2002. Les autorités canadiennes le soupçonnent d’être une taupe d’al-Qaïda, ce qu’il nie catégoriquement. Il soutient qu’il pourrait être torturé s’il retourne en Algérie, son pays natal. Cela remet donc en question la date à laquelle il sera expulsé du Canada, et même si le gouvernement fédéral appliquera effectivement l’ordre d’expulsion.

Le gouvernement tente de déporter le réfugié algérien en vertu d’un certificat de sécurité, une mesure rarement utilisée pour expulser des non-citoyens canadiens impliqués dans des affaires d’espionnage ou d’extrémisme politique.

Les avocats de M. Harkat ont qualifié le processus d’injuste, parce que la personne nommée dans un certificat n’a accès qu’à un résumé de son dossier.

La Cour suprême a toutefois déterminé que le régime des certificats de sécurité ne viole pas le droit des accusés de connaître les accusations auxquelles ils font face. La cour a tout de même donné des instructions détaillées sur la manière d’appliquer le processus pour s’assurer qu’il soit juste.

En 2010, le juge Simon Noël, de la Cour fédérale, avait conclu qu’il y avait des raisons suffisantes de croire que Mohamed Harkat représentait une menace pour la sécurité nationale, car il avait maintenu ses liens avec le réseau terroriste al-Qaïda après son arrivée au Canada.

Mercredi, la Cour suprême a conclu que M. Harkat «a bénéficié d’un processus juste» lorsque la Cour fédérale a examiné son dossier, laissant entendre qu’il y a lieu que le certificat de sécurité contre lui soit maintenu.

Deux autres hommes qui font l’objet de certificats de sécurité, Mahmoud Jaballah et Mohamed Mahjoub, tous deux originaires d’Égypte, pourraient aussi être expulsés.

L’an dernier, des agents frontaliers ont retiré le bracelet électronique de géolocalisation que M. Harkat portait à la cheville. Il a aussi obtenu le droit de voyager, mais seulement au Canada. Il devait aussi se rapporter régulièrement aux autorités.

Me Boxall espère que M. Harkat ne sera jamais déporté. Il mentionne que son client court un risque en Algérie et que les Canadiens n’ont rien à craindre.

«Tout risque, même ceux liés aux conclusions de la cour, sont minimes, a-t-il dit. C’est difficile d’identifier le danger qu’il représente.»

Dans un bref communiqué, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Steven Blaney, a déclaré que le gouvernement canadien était «satisfait des conclusions sur la constitutionnalité et le caractère raisonnable du certificat». Il a ajouté que le gouvernement examinerait «de près la décision».

«Le système de certificats de sécurité est un élément important de l’approche du gouvernement dans sa lutte contre le terrorisme et dans la protection de la sécurité nationale. Le gouvernement du Canada reste engagé à agir contre les non-citoyens qui sont inadmissibles selon des motifs graves, afin de protéger la sûreté et la sécurité des Canadiens», écrit le ministre Blaney dans un communiqué.

Une saga de plus de sept ans

Le cas inédit de Mohamed Harkat a fait l’objet de nombreuses manoeuvres et volte-face judiciaires. En 2007, la Cour suprême a jugé que le programme de certificats de sécurité était inconstitutionnel. En 2008, le gouvernement fédéral a émis un certificat révisé pour M. Harkat, après que le processus secret eut été réformé pour respecter la Charte.

Dans sa réforme du système, le gouvernement a mis en place un mécanisme de surveillance, grâce auquel des avocats spéciaux ayant accès à du matériel secret soumettent à examen les preuves retenues contre la personne visée par le certificat.

Durant une audience de la Cour suprême, l’an dernier, la défense de M. Harkat a fait valoir que la présence de ces avocats spéciaux ne palliait pas les faiblesses du processus d’attribution des certificats, tel que le prétend le gouvernement, car leur liberté d’expression sur les dossiers était très limitée et qu’ils ne pouvaient entreprendre leurs propres enquêtes.

La cour a considéré que ces restrictions ne rendaient pas le processus inconstitutionnel.

En avril 2012, la Cour d’appel fédérale avait refusé que des résumés de conversations datant des années 1990 fassent partie de la preuve contre M. Harkat parce que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) avait détruit les enregistrements originaux.

Dans son arrêt de mercredi, la Cour suprême a renversé cette décision, affirmant que les preuves, en format abrégé pour M. Harkat et dans leur entièreté aux avocats spéciaux, étaient «dignes de foi, et a conclu que la destruction des documents opérationnels n’avait pas porté préjudice à M. Harkat» et à sa capacité de contester l’exactitude des résumés.

«(M. Harkat) a néanmoins choisi de nier l’existence même de la plupart de ces conversations plutôt que d’en contester les éléments précis», a estimé la cour.

Le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) se sont dits conjointement déçus, mercredi, de la décision de la Cour suprême, «qui maintient un processus fondamentalement injuste s’appuyant sur des preuves secrètes pour décider d’expulser un non-citoyen, potentiellement vers un risque de torture».

Les organismes considèrent que cela démontre l’inégalité de la protection des droits fondamentaux offerte aux non-citoyens du Canada.

«Lorsque ces droits sont en jeu pour les citoyens, comme dans les procédures pénales, nous ne tolérons pas l’utilisation de preuves secrètes. Les non-citoyens méritent une chance égale de connaître les preuves utilisées contre eux, et d’y répondre», ont-ils indiqué dans un communiqué commun.

En 2012, la Cour d’appel avait également fait valoir que les sources du SCRS ne bénéficiaient pas de la protection accordée aux indicateurs de la police, qui protège l’identité des informateurs, même face à un juge. Dans le cas du SCRS, ce privilège est accordé au cas par cas.

Mercredi, la Cour suprême n’a pas donné raison à la Cour d’appel, et a jugé que les sources du SCRS n’ont pas à bénéficier systématiquement de cette protection, puisque le certificat de sécurité assure généralement que leurs identités ne soient connues que du juge de révision, des défendeurs spéciaux et des avocats fédéraux.

La Cour suprême a précisé que le juge qui révise un certificat de sécurité peut permettre aux défendeurs spéciaux d’interroger et d’enquêter sur ces sources à huis clos, mais que cela ne devrait être fait qu’en dernier recours. En faire une pratique régulière pourrait refroidir les sources potentielles et nuire au recrutement de nouvelles par le SCRS, craint la cour.

Deux juges, Rosalie Abella et Thomas Cromwell, ont inscrit leur dissidence sur cette question. Ils affirment que les sources ont droit à l’assurance d’un tel privilège. «Seul un privilège générique peut offrir une telle garantie, comme c’est le cas dans le contexte des causes en matière criminelle.»

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