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Les aveux obtenus avec Mr Big doivent être encadrés

Pierre Saint-Arnaud et Terry Pedwell - La Presse Canadienne

OTTAWA – La Cour suprême du Canada juge que les aveux obtenus par des policiers qui recrutent un suspect en se faisant passer pour des criminels dans le but de gagner sa confiance nécessitent un meilleur encadrement pour être admissibles devant les tribunaux.

Le plus haut tribunal se penchait sur le cas de Nelson Lloyd Hart, trouvé coupable en 2007 à Terre-Neuve-et-Labrador du meurtre prémédité de ses filles jumelles de trois ans, qui avaient été noyées. Des policiers se faisant passer pour des membres d’une organisation criminelle l’avaient recruté pour gagner sa confiance — un subterfuge appelé «Mister Big» dans le milieu policier.

Lorsqu’était venu le temps de rencontrer le «patron» de la présumée organisation criminelle — celui tenant le rôle du fameux «Mr. Big» —, Nelson Hart avait d’abord nié être impliqué dans la noyade de ses filles. Le patron avait rejeté cette version, le prévenant à plusieurs reprises de ne pas lui mentir. Nelson Hart avait finalement changé sa réponse pour dire qu’il avait bel et bien noyé ses filles.

En 2012, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador avait renversé la condamnation de Nelson Hart, remettant en question la validité de ses aveux.

La Cour suprême a jugé que les droits de Nelson Hart ont pu être violés et que le système judiciaire canadien ne protégeait pas adéquatement les droits des personnes soumises à la méthode «Mr. Big».

Dans la décision rendue jeudi matin, la Cour estime que le procédé «Mr. Big» constitue une technique policière ingénieuse et parfois utile, mais que les tribunaux doivent en fixer les limites avec soin, afin d’empêcher qu’elle ne devienne un outil permettant à l’État de manipuler et de détruire la vie d’individus qui sont présumés innocents.

Le plus haut tribunal laisse à la Couronne le soin de déterminer si Nelson Hart devra subir un nouveau procès, mais les aveux obtenus lors de l’opération policière ne pourront plus être utilisés.

Cette décision remet aussi en question la condamnation de nombreux Canadiens qui se trouvent derrière les barreaux.

Leo Russomanno, un criminaliste d’Ottawa, décrit la technique «Mr Big» comme «une atrocité toute canadienne». Il s’est réjoui de l’arrêt de la Cour suprême, qui rendra plus difficile par les enquêteurs l’utilisation du subterfuge, mais il croit que les juges auraient dû tout simplement interdire cette façon de faire.

«J’aimerais qu’il y ait un interdit absolu — le risque de condamnation injustifiée est trop grand — mais ultimement, la Cour suprême a reculé parce que ce tribunal a beaucoup de respect pour les enquêtes policières», a-t-il avancé en entrevue. Il a cependant ajouté que le jugement pourrait faire réfléchir les enquêteurs qui songent à utiliser la méthode «Mr Big» dans leurs prochaines enquêtes.

«Espérons que les forces policières seront plus réticentes à l’utiliser, sachant qu’elles devront dépenser beaucoup d’argent pour quelque chose qui pourrait se révéler inutile, et que les procureurs de la Couronne ne voudront pas présenter ce genre de preuves», a-t-il dit.

Lisa Dufraimont, professeure de droit à l’Université Queen’s, croit que la décision aura une portée considérable. «C’est une déclaration très puissante que de dire que les confessions obtenues grâce à ‘Mr Big’ pourraient être inadmissibles, et que la Couronne devra établir leur admissibilité», a-t-elle déclaré en entrevue. «Cela donne certainement un bon point de départ aux avocats qui doivent défendre un client contre une confession obtenue grâce à ‘Mr Big’. Par conséquent, la police sera beaucoup plus prudente en ce qui a trait aux tactiques qu’elle emploie.»

La GRC a indiqué qu’elle analyserait la décision afin de déterminer ses répercussions sur ses prochaines enquêtes. Mais le sous-commissaire de la police fédérale, Mike Cabana, a défendu la technique «Mr Big», affirmant qu’elle «a été utilisée avec succès dans des cas d’homicides, d’agressions sexuelles, de vols à main armée, d’incendie criminel, d’enlèvement, ainsi que dans des enquêtes sur la corruption, le crime organisé et la sécurité nationale».

Le groupe qui défend les personnes faussement accusées (Association in Defence of the Wrongly Convicted) prédit que cette décision permettra d’éviter que des personnes innocentes soient faussement accusées et condamnées.

L’Association des droits civils de la Colombie-Britannique a aussi accueilli positivement la décision. «Le risque de condamnations injustifiées associé à l’utilisation de témoignages peu fiables et préjudiciables ne peut être minimisé», a déclaré par communiqué une conseillère de l’association, Carmen Cheung. «Nous espérons que cette décision de la cour contribuera à assurer la fiabilité de la preuve dans des procès au criminel, et permettra de contrer les aspects plus abusifs des enquêtes à la ‘Mr Big’.»

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