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Le secret ministériel, l’arme des conservateurs

OTTAWA – La dysfonction érectile au sein de l’armée canadienne est un sujet à ce point délicat pour le gouvernement Harper que des responsables fédéraux ont imposé le sceau du secret à toutes les informations liées à cette question, empêchant donc leur divulgation publique.

D’autres sujets sont aussi passés sous silence par les conservateurs: les raison de l’annulation du programme de véhicules blindés évalué à 2 milliards $, par exemple. Ou la position du Canada sur la prolifération des armes chimiques. Ou ce que pense Transports Canada des critiques du vérificateur général en matière de sécurité dans le transport ferroviaire.

Voilà quelques sujets d’une liste croissante de rapports, mémos et documents en apparence routiniers qui se retrouvent coincés dans un engrenage de soi-disant «secrets ministériels», un qualificatif imposé, a appris La Presse Canadienne, par le biais d’une discrète directive du Conseil du Trésor à l’été 2013.

Ce subtil changement de politique a forcé les fonctionnaires à interroger les avocats du gouvernement pour décider de ce qui constituait un secret, une décision autrefois prise par le Bureau du Conseil privé. L’avis du BCP n’est en fait requis que dans les «cas complexes seulement». Au final, la dissimulation pratiquée par l’État a pris de l’ampleur. La Presse Canadienne a ainsi découvert des dizaines de cas, dans plusieurs ministères, lors desquels des rapports, des informations et des courriels ont été entièrement exclus en vertu de la section 69 de la Loi sur l’accès à l’information, qui donne aux responsables le pouvoir de dissimuler de l’information puisque celle-ci n’est destinée à être vue que par le cabinet fédéral.

En 2013, il y a eu 61 plaintes déposées auprès de Suzanne Legault, la commissaire à l’information, à propos de cette clause de confidentialité, soit près du double qu’en 2012. Les données provenant du bureau de Mme Legault démontrent que l’État a invoqué cette clause à 2117 reprises en 2012-2013, ou 20 pour cent de plus que l’année précédente.

Les plus récentes statistiques ne seront pas disponibles avant la fin de 2014, a confié Mme Legault lors d’une entrevue. Cette dernière s’inquiète cependant de la définition floue des secrets ministériels, particulièrement en raison du fait que si l’exclusion est invoquée, elle n’a pas non plus accès aux documents en question. «Selon moi, l’ampleur de cette exclusion ne respecte pas les principes fondamentaux de la liberté de l’information.»

Les médias ne sont pas les seuls pour qui le flot d’informations en provenance d’Ottawa s’est pratiquement tari. Des agences de surveillance comme le vérificateur général, les chiens de garde l’armée et le directeur parlementaire du budget se plaignent eux aussi.

Selon Kevin Page, qui a traîné le gouvernement Harper devant les tribunaux lorsqu’il était directeur parlementaire du budget, estime que la loi doit être revue en profondeur. «Lorsque j’étais en poste, nous nous sommes fait dire à plusieurs occasions que le Parlement et mon bureau ne pourrait avoir accès à de l’information puisque celle-ci tombait sous le coup des secrets ministériels», dit-il.

«Les enjeux étaient importants. Le gouvernement demandait au Parlement de voter sur des projets de loi sans disposer des informations financières nécessaires, et se réfugiaient derrière cette invocation du secret. Cela a sapé l’imputabilité du Parlement, ainsi que celle de la fonction publique.»

«Extirper de l’information de ces gens est véritablement utile — pour que les gens puissent réaliser des jugements indépendants —, mais est devenu un véritable exercice de frustration, ce qui entraîne un très grand cynisme, même lorsqu’ils disent la vérité», avance le député libéral John McKay.

Impossible, cependant de savoir à quel point cet amour du secret est d’origine politique, ou si cela découle plutôt d’une décision administrative. Le gouvernement Harper est toutefois responsable d’avoir simplifié, pour les fonctionnaires, la démarche à suivre pour refuser de dévoiler certaines informations, dissimulant ainsi leurs erreurs et celles des politiciens derrière le mur du secret.

Ironiquement, les conservateurs ont promis en 2006 de redonner au commissaire à l’information le pouvoir de consulter les documents exclus au nom de la confidentialité, plutôt que de recevoir un rapport résumant la justification de la décision. Cela remonte toutefois à l’époque où la vérificatrice générale Sheila Fraser luttait contre les sceaux du secret pour faire enquête sur le scandale des commandites.

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