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Le Parti conservateur a reçu des dons de firmes

MONTRÉAL – Le Parti conservateur du Canada a reçu des dons de dizaines d’employés de trois firmes d’ingénierie qui sont aujourd’hui visées par des enquêtes policières sur la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction au Québec.

De tels dons versés au Parti conservateur au pouvoir — et, dans une moindre mesure, au Parti libéral du Canada — illustrent bien que la scène fédérale n’est pas immunisée contre les liens entre la politique et l’industrie de la construction, qui sont examinés par la police et qui seront bientôt passés au peigne fin par la commission d’enquête de la juge France Charbonneau.

Au moment où Ottawa annonçait, en 2009, des milliards de dollars en programmes de relance de l’économie canadienne, les coffres conservateurs d’une circonscription de Montréal croulaient sous les contributions d’employés d’entreprises qui ont depuis été éclaboussées par des allégations de collusion.

L’Unité permanente anticorruption (UPAC) tente actuellement de faire la lumière sur le rôle joué par des firmes de génie-conseil dans des affaires de collusion, de pots-de-vin, de liens avec le crime organisé, de financement politique illégal et de blanchiment d’argent qui toucheraient la politique municipale et provinciale. Mais on avait encore accordé que peu d’attention aux liens qui existeraient entre cette industrie et la scène politique fédérale.

Une analyse réalisée par La Presse Canadienne des données fédérales de financement des partis politiques démontre que les contributions de certaines entreprises, aujourd’hui sous la loupe de la justice, avaient transformé une fragile association conservatrice montréalaise en un invraisemblable mastodonte financier au début de 2009.

Dans la circonscription de Laurier-Sainte-Marie, une forteresse bloquiste et plutôt à gauche, l’association conservatrice locale a pu récolter 288 823,37 $ cette année-là, même si les conservateurs avaient pris la cinquième place lors de l’élection précédente — derrière le Parti vert.

En 2009, cette association de comté a réussi à amasser cinq fois plus d’argent pour le Parti conservateur du Canada que celle de Calgary Southwest — la circonscription représentée par le premier ministre Stephen Harper, où 57 103,75 $ ont été récoltés.

La présence du premier ministre Harper à une activité de financement organisée le 20 mai à Montréal, à laquelle ont assisté des dizaines de dirigeants de firmes d’ingénierie, est en partie responsable de cette manne financière tombée sur Laurier-Sainte-Marie. L’association conservatrice y a notamment reçu des dons d’employés associés avec les firmes BPR, Roche, ainsi que Leroux, Beaudoin, Hurens & associés, qui comptent parmi les plus importantes entreprises de génie-conseil du Québec.

Des employés de ces trois entreprises ont été épinglés l’an dernier dans le cadre d’une vaste enquête policière dans le secteur québécois de la construction. En ce qui concerne BPR, la firme elle-même est aussi accusée de fraude et de complot.

La police dit avoir mis au jour un système qui voyait les élus municipaux empocher des pots-de-vin de firmes de génie-conseil, en échange de lucratifs contrats pour la réfection des infrastructures.

Jean Leroux — directeur de Leroux, Beaudoin, Hurens & associés — compte parmi les 15 personnes arrêtées plus tôt ce mois-ci par l’UPAC en lien avec une affaire de collusion à Mascouche, en banlieue de Montréal. Il doit revenir devant le tribunal le 19 juin.

Leroux a versé 666,66 $ à l’association conservatrice de Laurier-Sainte-Marie en 2009.

Le même jour où Leroux y allait de sa contribution à l’association conservatrice, France Michaud versait 400 $. Vice-présidente chez Roche, Mme Michaud a été arrêtée en 2011 pour son rôle présumé dans un complot similaire à Boisbriand, en banlieue de Montréal. Elle nie avoir quoi que ce soit à se reprocher et continue à travailler pour Roche, après avoir enregistré un plaidoyer de non-culpabilité.

Un grand événement

Leurs contributions coïncident avec l’important événement de financement conservateur tenu à Montréal le 20 mai 2009. Des sources avaient expliqué à La Presse Canadienne à l’époque que le sénateur Léo Housakos comptait parmi les principaux organisateurs de cet événement majeur — même s’il nie y avoir été pour quelque chose.

Avant l’événement bénéfice public, Mme Michaud et trois dirigeants de BPR avaient été invités à une rencontre plus privée, présidée par Christian Paradis, alors ministre des Travaux publics et responsable du Québec au sein du cabinet fédéral.

À ce moment, le gouvernement conservateur cherchait à dépenser 4 milliards $ en projets d’infrastructures, dans le cadre de son programme de relance de l’économie de 47 milliards $.

L’argent a été en général remis aux provinces, qui l’ont ensuite redistribué aux municipalités. En d’autres mots, Ottawa n’était pas celui qui signait les chèques aux entreprises pour ces travaux d’infrastructures — cela se faisait au palier municipal ou provincial.

Un représentant de M. Paradis, aujourd’hui au ministère de l’Industrie, affirme que le ministre ne reconnaît même pas le nom de France Michaud.

Au printemps de 2009, les employés de BPR ont compté parmi les plus généreux bienfaiteurs de l’association conservatrice de Laurier-Sainte-Marie. En comparant la liste des donateurs compilée par Élections Canada à d’autres sources disponibles publiquement, La Presse Canadienne a été en mesure d’identifier au moins 19 employés différents qui ont versé un don le 17 avril 2009, pour une contribution totale de près de 12 000 $ au Parti conservateur.

Aucun de ces 19 bienfaiteurs n’a répondu aux demandes d’entrevue de La Presse Canadienne. Questionnée quant à savoir si les employés sont encouragés à verser des dons à des partis politiques spécifiques, une représentante de BPR a indiqué que les contributions politiques «sont considérées comme des gestes personnels et volontaires».

«Les gestes des employés sont encadrés par la loi et par le code d’éthique de la compagnie», a répondu par courriel Kathia Brien.

Deux employés de BPR — Rosaire Fontaine et Claude Brière — ont été arrêtés en 2011 dans le cadre de l’enquête portant sur l’octroi de contrats municipaux à Boisbriand. M. Fontaine, qui a de nouveau été mis en accusation après l’opération policière de l’UPAC le mois dernier, porte le même nom qu’un individu qui a donné 500 $ au Parti conservateur en 2009 et 950 $ en 2007. M. Brière, lui, avait donné 800 $ en 2007.

Un autre employé de BPR, André De Maisonneuve, a été accusé ce mois-ci de fraude et de complot en lien avec sa gestion des contrats municipaux de Mascouche. BPR affirme que M. Brière a quitté la compagnie, tandis que MM. Fontaine et De Maisonneuve ont été suspendus en attendant les conclusions d’une enquête interne. Les trois hommes n’ont pas encore enregistré de plaidoyer dans leurs dossiers. MM. Fontaine et Brière doivent revenir en cour ce vendredi.

Quatre membres du conseil d’administration de BPR ont aussi fait des dons à l’association libérale de la circonscription de Chambly-Borduas, qui a recueilli des contributions totalisant 470 755,41 $ en 2009 — soit 182 000 $ de plus que la récolte conservatrice dans Laurier-Sainte-Marie.

Les libéraux expliquent ce bond par un important événement de financement organisé le 4 juin 2009, qui a été coordonné par la circonscription et auquel avait assisté le chef libéral de l’époque, Michael Ignatieff. La majorité de l’argent récolté a ensuite été transféré à d’autres associations de la province.

Au moment de l’événement libéral, le parti a aussi reçu des dons provenant de plusieurs cabinets d’avocats montréalais bien en vue.

Le 11 juin, l’association de Chambly-Borduas a reçu des dons d’au moins 26 individus dont les noms correspondent à ceux d’avocats du cabinet Fasken Martineau, dont 438,69 $ donnés par un certain Jacques Audette. Un avocat de Fasken Martineau portant le même nom compte parmi les individus épinglés le mois dernier pour leur rôle présumé dans le complot de collusion à Mascouche.

Les libéraux ont également reçu un don de Guy Charbonneau, un membre du conseil d’administration de la firme d’ingénierie Groupe SM. Le président de la compagnie, Bernard Poulin, s’est retrouvé au coeur d’une controverse politique l’an dernier après la diffusion d’une bande audio sur laquelle on l’entendrait discuter avec Tony Accurso, un magnat de la construction au Québec, sur la façon d’influencer la nomination des membres du conseil d’administration de l’Administration portuaire de Montréal.

L’homme qui serait M. Poulin dit alors à M. Accurso qu’il en glissera un mot à Léo Housakos dans le but de s’assurer de l’aide de Dimitri Soudas, qui comptait alors parmi les membres les plus influents de l’entourage du premier ministre Harper.

Les noms de MM. Poulin et Housakos apparaissent parmi les invités à un événement plus exclusif organisé avant celui du 20 mai 2009, à savoir une réception en compagnie de M. Harper.

Tony Accurso a été arrêté le mois dernier et fait maintenant face à des accusations de fraude, de complot, de trafic d’influence, d’abus de confiance et de fraude à l’endroit du gouvernement.

La démocratie

Au cours du printemps, les conservateurs ont aussi reçu des dons provenant d’individus associés à une multitude de firmes d’ingénierie montréalaises.

L’association conservatrice de Laurier-Sainte-Marie a ainsi reçu près de 10 000 $ en dons de plus d’une dizaine d’employés de CIMA, une des plus importantes firmes de génie-conseil du Québec, et un membre du consortium qui a reçu le mandat d’examiner le pont Champlain.

Des dons importants ont aussi été reçus, toujours au printemps 2009, d’employés d’autres firmes d’ingénierie, y compris CIMA, qui ne font pas l’objet d’allégations criminelles.

M. Housakos estime qu’il ne faut pas voir ces dons d’un mauvais oeil et souligne la transparence du processus de contributions politiques au Canada. «C’est assez évident que des gens y vont de contributions, a-t-il dit. Si vous étudiez différents documents, vous verrez qui ils sont. Leurs noms sont clairs. Ce sont mes amis, c’est mon réseau, et j’ai un droit démocratique de solliciter des gens.»

Des dénonciateurs indiquent toutefois que les firmes d’ingénierie sont le lien entre la corruption de l’industrie de la construction et le financement illégal des partis politiques provinciaux.

Lino Zambito, un joueur important du secteur de la construction qui a récemment reconnu avoir tenté de truquer l’issue de l’élection municipale de 2009 à Boisbriand, a déclaré à Radio-Canada le mois dernier que les firmes d’ingénierie sont «les plus proches du pouvoir». Il affirme qu’elles demandent un «coup de pouce» aux entreprises de construction pour obtenir certains contrats.

Comme leurs rivaux libéraux de Chambly-Borduas, les conservateurs de Laurier-Sainte-Marie ont transféré l’essentiel des fonds récoltés à d’autres associations conservatrices. La plus choyée fut celle de Mégantic-L’Érable — la circonscription du ministre Paradis —, qui a reçu 30 000 $ à l’automne de 2009.

Le bureau de M. Paradis a dit qu’il ne reconnaît pas le nom des employés de BPR qui ont été arrêtés.

Plus récemment, un journaliste de Radio-Canada a enregistré Pierre Coulombe au moment où l’homme laissait entendre qu’il était possible d’avoir accès aux décideurs politiques du Québec, en retour d’une somme d’argent. M. Coulombe est un organisateur libéral provincial de premier plan et jouait jusqu’à tout récemment le même rôle pour les conservateurs.

On l’entend suggérer à ses clients de promettre des emplois — à leur conseil d’administration — plutôt que de tenter de soudoyer les dirigeants politiques avec une enveloppe d’argent. Il suggère ainsi d’offrir à des politiciens, au moment de leur retraite, un poste rémunéré à hauteur de 25 000 $ par année pendant plusieurs années, pour lequel ils n’auraient qu’à assister à une seule rencontre annuellement — en plus d’effectuer des voyages d’affaires en Europe, a-t-il dit.

Après la diffusion de la vidéo, M. Coulombe a déclaré qu’il avait exagéré son accès aux dirigeants politiques.

M. Coulombe a été l’organisateur en chef des conservateurs de Stephen Harper au Québec entre 2006 et 2008.

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