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Ottawa: les yeux tournés vers le prochain scrutin

OTTAWA – L’année politique qui s’achève à Ottawa n’a pas été de tout repos, et celle qui se profile à l’horizon promet d’être au moins aussi intense, avec en trame de fond une (très) longue campagne électorale.

Déjà, le printemps s’annonce chaud, avec la publication d’un rapport du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs (mars), le procès du sénateur déchu Mike Duffy (avril) et un possible débat sur une prolongation de la mission de combat contre le groupe armé État islamique (avril).

Mais c’est l’automne et ses élections générales qu’ont surtout dans leur mire les partis fédéraux, qui s’affairent actuellement à réserver les avions de campagne et à tenter de convaincre tel ou tel candidat-vedette à se présenter sous leur bannière.

Avec l’adoption de la loi sur les élections à date fixe, les formations politiques n’ont pas vraiment à attendre le déclenchement officiel de la campagne électorale pour démarrer leur opération charme auprès des citoyens — ils sont d’ailleurs tous sur les blocs de départ depuis belle lurette.

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont dévoilé de grands pans de leur plateforme: baisses d’impôt pour les familles et majoration des prestations de garde d’enfants dans le premier cas, hausse des transferts en santé et programme national de garderies dans le second.

Le Parti libéral du Canada (PLC), pour sa part, s’est montré plus hésitant à se commettre. Son chef, Justin Trudeau, fournit généralement des réponses évasives aux journalistes en plaidant que les positions libérales seront précisées dans la plateforme présentement en cours d’élaboration.

Mais le temps file, et le député de Papineau aurait avantage à mettre un peu de chair autour de l’os sans plus tarder, selon Thierry Giasson, professeur au département de science politique de l’Université Laval.

«M. Trudeau a encore un peu de temps, mais pas beaucoup. Il va falloir qu’il sorte, qu’il prenne des décisions solides, bien argumentées. Il devra se mettre très rapidement à incarner un premier ministre», analyse-t-il.

«La carte du gars sympathique, du jeune papa, il va falloir que ça prenne un peu moins de place à un moment donné. Tout ça va devoir être moins mis de l’avant dans la proposition que l’on fait de Justin Trudeau», poursuit M. Giasson.

Les néo-démocrates continueront à le présenter comme un novice en politique au cours des prochains mois, insistant sur le contraste avec leur chef, Thomas Mulcair, qui a été député à l’Assemblée nationale de 1994 à 2007 avant de faire le saut dans l’arène fédérale, en 2007.

«M. Trudeau admet qu’il n’est pas prêt pour l’emploi; il dit qu’il commence à se préparer. Vous savez, premier ministre du Canada, ce n’est pas une job d’été», lance d’ailleurs en entrevue téléphonique le chef de l’opposition officielle.

«Nous, on a pu se démarquer en mettant des idées très concrètes sur la table. Les gens, je crois, ont le droit de voter sur un contenu et pas sur un contenant», estime M. Mulcair.

De leur côté, les conservateurs ne manqueront pas une occasion de souligner à gros traits les bourdes du fils de Pierre Elliott Trudeau, comme ils l’ont fait en 2014 avec sa blague sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou encore sa plaisanterie à connotation phallique sur la mission de combat canadienne contre le groupe armé État islamique (ÉI).

Le député libéral Dominic LeBlanc, grand ami de Justin Trudeau, balaie les arguments de l’inexpérience et du manque de jugement du revers de la main.

Car ceux qui lancent ces «phrases banales» n’ont «pas bien apprécié le travail et le rôle qu’a joué M. Trudeau au cours des dernières années», ni «l’impact majeur» qu’il a eu «dans l’appui des partis libéraux provinciaux», plaide-t-il, citant entre autres les victoires des libéraux Kathleen Wynne (juin 2014, Ontario) et Brian Gallant (octobre 2014, Nouveau-Brunswick).

«Je pense que nous avons réussi à démontrer que les priorités de M. Harper et les mauvaises décisions de son gouvernement ne cadraient pas avec les espoirs de la grande majorité des Canadiens», fait-il valoir en entrevue au téléphone.

Le PLC et son chef font l’objet de vives attaques, notamment parce que la formation politique a caracolé en tête des sondages à l’échelle nationale pendant des mois — les conservateurs ont toutefois connu une légère remontée dans les intentions de vote à la suite de la fusillade au parlement, survenue le 22 octobre dernier.

Au Québec, les coups de sonde donnent l’avance parfois au NPD, parfois au PLC.

Thomas Mulcair dit «mettre le paquet» pour remporter un maximum de sièges en octobre prochain dans les 78 circonscriptions de la province, mais il devra composer avec la remontée des libéraux, qui avaient été décimés en 2011 sur la scène québécoise.

«Le NPD, je pense, est assez lucide quant à sa capacité à maintenir ses acquis, surtout au Québec. Je pense qu’ils saisissent qu’ils vont sans doute perdre certaines circonscriptions, dont plusieurs à Montréal, sans doute au bénéfice des libéraux», croit M. Giasson.

Il y a une tendance qui semble bien installée dans les sondages au Québec: les conservateurs n’arrivent pas à faire bouger l’aiguille et sont invariablement à la traîne.

Ils espèrent reconquérir certains sièges perdus aux mains de néo-démocrates dans la région de Québec — les rumeurs envoient dans des circonscriptions du secteur deux poids lourds, le député caquiste Gérard Deltell et l’ancien lieutenant québécois de Stephen Harper, Lawrence Cannon.

Entre-temps, ils semblent vouloir tester un nouveau message pour rallier l’électorat québécois à leur cause en opposant les politiques d’austérité que leur propose le gouvernement de Philippe Couillard aux baisses d’impôt que leur fait miroiter le Parti conservateur.

«Il y a une opportunité pour les Québécois de voir que nous avons géré les finances avec compétence», suggère à l’autre bout du fil le chef parlementaire conservateur Peter Van Loan.

«Je pense qu’en regardant le portrait global, on peut constater que les politiques conservatrices ont rapporté aux Québécois», affirme-t-il, assurant ne pas viser directement le premier ministre Couillard, qui a été confronté à «une situation économique particulière» à son arrivée au pouvoir.

Conservateurs, néo-démocrates et libéraux disent viser un mandat majoritaire. À l’heure actuelle, les coups de sonde laissent entrevoir l’élection d’un gouvernement minoritaire.

À dix mois des élections, on commence déjà à supputer: qu’arrivera-t-il si la population élit un gouvernement conservateur minoritaire? Pourrait-on assister à la formation d’une coalition entre les libéraux et les néo-démocrates?

En 2008, un PLC dirigé par Stéphane Dion, un NPD dont Jack Layton tenait les rênes et un Bloc québécois avec Gilles Duceppe à sa tête avaient tenté le coup.

L’affaire avait avorté, notamment en raison de la présence d’une formation souverainiste au sein d’une coalition nationale.

Difficile de prévoir si Justin Trudeau et Thomas Mulcair, qui entretiennent une relation tendue, tenteraient à nouveau le coup — surtout qu’on ignore si M. Mulcair demeurerait chef en cas de défaite.

La réponse viendra en octobre. Ou avant.

Car si le premier ministre Harper a récemment assuré que les élections auraient lieu le 19 octobre 2015, rien dans la loi ne l’empêche de déclencher des élections hâtives: il peut toujours aller voir le gouverneur général et lui demander de dissoudre le gouvernement.

Il l’avait fait en 2008, à l’époque où son gouvernement était minoritaire, plaidant que le Parlement étant devenu dysfonctionnel.

Cela incite certains observateurs à prendre ses affirmations avec un grain de sel.

«Toutes les annonces faites récemment laissent présumer que le gouvernement tente de présenter à l’électorat des conditions de plus en plus favorables à son maintien au pouvoir et au déclenchement d’élections», estime Thierry Giasson.

Quoi qu’il advienne, Élections Canada sera prêt.

«On sera prêts à toute éventualité pour le 1er mars 2015, mais on planifie que l’élection doit avoir lieu en octobre 2015 comme c’est écrit dans la loi», signale John Enright, porte-parole de l’organisation.

D’ici là, l’argent que consacreront les partis politiques pour séduire les électeurs ne sera pas comptabilisé dans les dépenses électorales.

«Si des sommes sont dépensées pour faire la promotion d’un parti ou d’un candidat avant la campagne électorale officielle, ça ne tombe pas sous les provisions de la campagne électorale fédérale», indique M. Enright.

Lors des dernières élections, le plafond des dépenses autorisées pendant la campagne était d’environ 21 millions $.

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