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Victime de la réforme

Photo: Yves Provencher/Métro

Jonathan Côté veut soit étudier, soit travailler. Or, il se retrouve dans une situation absurde où il ne peut faire ni l’un ni l’autre. Métro a rencontré cet enfant de la réforme, qui se sent «abandonné» par un système scolaire «brisé», et qui blâme la réforme pédagogique de 2000 pour ses déboires scolaires.

De toute évidence, Jonathan Côté, 21 ans, est un jeune homme intelligent. Il a un discours franc, un débit rapide et des idées claires. Il sait lire et écrire de manière parfaitement acceptable; il communique avec Métro par courriel, il lit les journaux, il discute de programmes d’austérité, de politique et d’éducation.

Pourtant, le ministère de l’Éducation considère qu’il a un niveau d’éducation équivalant à la 5e année du primaire.

Jonathan entre au primaire en 2000, année du déploiement de la grande réforme pédagogique. Dès sa première année, on constate qu’il peine à acquérir toutes les compétences requises en français et en mathématiques. Mais, réforme oblige, l’école qu’il fréquente à Drummondville décide tout de même de le faire passer en 2e année.

«Je n’aurais pas dû passer. C’est là que le bogue a commencé. J’aurais dû redoubler», lance-t-il dans son appartement de Verdun.

«S’il avait recommencé sa 1re année… je ne suis pas ministre, je n’ai pas fait l’université, mais je peux vous dire que la 1re année, c’est la base. Il faut qu’elle soit solide», renchérit sa mère, Manon Bibeau, éducatrice dans un Centre de la petite enfance (CPE).

En effet, Jonathan accumule, année après année, un important retard dans ses acquis. La psychoéducatrice soupçonne qu’il a un trouble de déficit d’attention sans hyperactivité (TDAH), confie Mme Bibeau. Étant donné qu’il est gentil, calme en classe, assidu, comme en témoignent les commentaires sur ses bulletins, on ne le réfère pas à un pédopsychiatre, ce que sa mère aurait pourtant souhaité.

Dans son bulletin de 4e année, on peut voir qu’il reçoit le commentaire «ne répond pas aux attentes» dans la plupart de ses cours, notamment en français, en mathématiques et en anglais. Peu importe, on le laisse passer.

Après avoir passé quatre ans en 5e et 6e années et deux ans en Cheminement particulier au secondaire, la commission scolaire suggère de l’inscrire au Certificat de formation préparatoire aux études (CFPT), un programme conçu pour les jeunes de 15 ans ou plus, trop vieux pour rester au primaire, mais ayant de trop graves difficultés scolaires pour intégrer le secondaire.

«J’ai dit au ministère de l’Éducation: “Votre système est malade.” On m’a répondu: “C’est toi le problème. C’est toi qui ne veux pas mettre les efforts nécessaires.”» – Jonathan Côté, un enfant de la réforme

Créé en 2007, le CFPT dure trois ans. Selon Céline Robert, conseillère pédagogique responsable du parcours axé sur l’emploi à la Commission scolaire de Montréal (CSDM), le programme offre une chance aux élèves qui ont peu de possibilités de terminer leur secondaire. Il est composé de cours théoriques adaptés à leurs besoins, jumelés à des stages en entreprise qui, on espère, mèneront à un emploi.

«Si on laisse des jeunes dans les Cheminements particuliers de formation, entre les classes d’élèves en difficulté du premier cycle du secondaire, ils arrivent à 18 ans sans que rien ne les ait préparés à l’emploi, affirme Mme Robert. [Le CFPT] leur donne de l’expérience d’emploi et une possibilité de diplomation, qui permet de reconnaître ce qu’ils sont capables de réussir sur le marché du travail. Ce n’est pas rien.»

«C’était comme la garderie, affirme plutôt Jonathan. C’était plein d’enfants de la DPJ, des enfants abandonnés, des jeunes avec des problèmes de toxicomanie, des gens avec des déficiences mentales. Je me disais “Qu’est-ce que je fais ici?”»

Il accomplit son stage chez un détaillant, dans un magasin à grande surface, où il place des conserves sur les étagères et nettoie les bacs d’ordures. «Ils me disaient que j’acquérais des connaissances générales», explique-t-il.

Depuis qu’il a son CFPT, Jonathan peine à trouver un emploi. Il a envoyé au moins une cinquantaine de CV, dans toutes sortes d’entreprises. Même réponse chaque fois: «Désolé, tu n’as pas ton secondaire 5».

«J’ai passé trois ans de ma vie à travailler pour obtenir ce diplôme-là. Je considère ça comme de la fraude de la part du gouvernement», fulmine-t-il.

Il décide donc de terminer son secondaire. Il fait le tour de six ou sept écoles d’éducation aux adultes, où on lui dit qu’il a des acquis de niveau 5e année du primaire. Terminer son secondaire lui prendrait 12 ans à temps plein, estime-t-on. À 21 ans, atteindre ce but lui semble impossible.

Exaspéré, Jonathan décide de poursuivre le ministère de l’Éducation pour 6M$. Sa mise en demeure, envoyée par courrier recommandé en octobre, se perd dans le ministère. Après plusieurs semaines où on affirme à Métro n’avoir rien reçu – malgré une signature d’accusé de réception de quelqu’un au ministère –, on confirme en janvier avoir pris connaissance de la mise en demeure.

«[Le ministère de l’Éducation] y apportera le suivi approprié», dit-on à Métro. Le cabinet du ministre de l’Éducation Yves Bolduc, lui, n’a pas donné suite à nos appels.

Jonathan est toujours dans l’attente.

Données
Ni l’Institut de la statistique du Québec ni Statistique Canada ne disposent de données sur le taux d’emploi des gens possédant un CFPT.

  • Aucun des nombreux centres d’emploi pour jeunes à Montréal contactés par Métro ne pouvait se prononcer sur l’employabilité d’un détenteur de ce diplôme.
  • Après plusieurs semaines de va-et-vient par courriel, le ministère de l’Éducation offre finalement à Métro une seule donnée sur ce programme: 657 CFPT ont été délivrés au Québec en 2010-2011.

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