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Démissions au CHUM:après le dg, le président du ca

MONTRÉAL – La crise au CHUM s’est amplifiée. Après le directeur général jeudi, plusieurs membres du conseil d’administration ont annoncé leur démission vendredi, dont le président Jean-Claude Deschênes.

Comme le dg Jacques Turgeon l’avait fait la veille, M. Deschênes a dénoncé l’ingérence politique du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, dans les processus et le mode de fonctionnement du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

Les deux administrateurs du CHUM se sont adressés aux médias, vendredi, pour expliquer les motifs de leur démission. Ils reprochent plus précisément au ministre d’avoir imposé son choix pour le poste de directeur du département de chirurgie au lieu de laisser le processus démocratique mis en place, par le biais d’un comité de sélection indépendant, faire son travail.

Les démissions en bloc au conseil d’administration ont été annoncées plus tard vendredi, après une assemblée spéciale. Dans un communiqué, on a précisé que d’autres membres «poursuivaient leur réflexion». Les noms des démissionnaires n’ont pas été révélés.

Au cours de sa rencontre avec la presse, le Dr Turgeon a insisté sur le fait que le ministre Barrette a bel et bien imposé son choix — alors que ce dernier affirme qu’il a seulement fait des suggestions. Et, selon le Dr Turgeon, le renouvellement de son mandat la semaine prochaine était clairement lié au choix du Dr Patrick Harris comme directeur du département de chirurgie.

Le Dr Turgeon a pris la peine de souligner qu’il aurait pu attendre à la semaine prochaine, attendre que le ministre ne le renomme pas puisqu’il refusait de céder à sa demande, puis toucher ainsi une généreuse prime de départ. En démissionnant de son propre chef maintenant, pour ses principes, dit-il, il ne pourra toucher de prime. «J’avais juste à attendre à lundi, qu’il ne me nomme pas, et à passer go», a-t-il lancé.

«En démissionnant, je n’ai pas de prime», a-t-il souligné, pour démontrer que c’est bien pour des raisons de principes qu’il démissionne, et non pour une guerre d’egos ou par bouderie.

Quant à savoir ce qu’il fera désormais, le Dr Turgeon a noté qu’il enseigne déjà à l’Université de Montréal et y continuera ses activités académiques. Il a ajouté qu’il avait une renommée «internationale» en tant qu’administrateur d’établissements et qu’en conséquence, il allait s’«activer» à ce chapitre pour trouver un autre défi.

De son côté, le président du conseil d’administration du CHUM, M. Deschênes, a soutenu la même thèse que le directeur général, en généralisant même les problèmes à un phénomène qui perdure depuis des mois.

Dans sa lettre de démission remise au ministre, M. Deschênes écrit: «ma décision de retirer ma candidature à un futur poste au sein du futur conseil d’administration est due à votre insistance et à vos interventions répétées effectuées au cours des derniers mois et qui ne correspondent en aucun point aux règles de gouvernance que je défends depuis près de 30 ans».

Il souligne que le comité de sélection est formé de neuf membres indépendants, «dont aucun ne recommandait le renouvellement de mandat du Dr Harris», dont le ministre Barrette aurait exigé la nomination, selon le docteur Turgeron.

M. Deschênes a été sous-ministre pendant 14 ans et a présidé le conseil d’administration du Centre hospitalier universitaire de Québec. Le conseil d’administration du CHUM a désigné le directeur général adjoint Yvan Gendron pour le remplacer jusqu’à ce que le ministre nomme son successeur.

De son côté, au cours de quelques entrevues, le ministre Barrette s’est défendu de s’être immiscé dans le processus démocratique de nomination du CHUM. Il a affirmé avoir fait des suggestions et n’avoir rien imposé. Il avait même demandé au Dr Turgeon de revenir sur sa décision de démissionner. Fait à noter, c’est le gouvernement libéral qui avait nommé M. Turgeon à son poste.

Réactions

Malgré tout, en France, le premier ministre Philippe Couillard a réitéré sa confiance envers son ministre de la Santé, tout en ajoutant qu’il lui avait demandé de mandater quelqu’un pour examiner les causes profondes de cette crise au CHUM. Il a d’ailleurs refusé d’utiliser le terme de «crise».

«On va de l’avant; la vie continue», a lancé le premier ministre du Québec, avant d’ajouter qu’une direction intérimaire serait désignée au CHUM.

«Ce n’est pas d’hier qu’il y a des dissensions» au CHUM, a ajouté le premier ministre Couillard, qui soupçonne que les problèmes y sont plus profonds qu’il n’y paraît à prime abord.

Mais les partis d’opposition, eux, ont réclamé la démission du ministre Barrette.

L’opposition péquiste parle d’accusations «très graves» comme celle d’abus de pouvoir à l’endroit du ministre. Elle demande qu’une enquête indépendante soit lancée «afin de connaître tous les autres cas potentiels d’ingérence dans les processus de nomination» par le ministre Barrette.

Les porte-parole péquistes Stéphane Bergeron et Diane Lamarre ont aussi montré du doigt le projet de loi 10 qui accorde des pouvoirs étendus au ministre de la Santé dans la gestion du réseau. Ils y voient «un important déni de démocratie».

À la Coalition avenir Québec, le député caquiste Éric Caire a crié au «chantage», à l’«intimidation» du ministre Barrette, en plus de son ingérence dans la gestion d’un établissement de santé. Et, selon lui, le CHUM n’est pas un cas unique. D’autres dirigeants du réseau de la santé ont été «sommés de se taire» par le ministre Barrette, selon le député Caire, qui a toutefois refusé de les nommer, parce qu’ils craignent les représailles.

Le porte-parole de la CAQ a qualifié le ministre Barrette d’«empereur» qui s’est donné «un pouvoir de vie ou de mort sur l’ensemble des administrateurs» du réseau de la santé, avec son projet de loi 10.

Présente à la conférence de presse de MM. Turgeon et Deschênes, la docteur Élaine Letendre, qui travaille au CHUM, s’est portée à la défense du dg démissionnaire. Précisant qu’elle parlait en son nom personnel, elle a dit souhaiter que le gouvernement intervienne «pour faire en sorte de rediscuter» avec le Dr Turgeon et le convaincre de revenir sur sa décision.

«On a, pendant des années, critiqué les directeurs généraux qu’on avait, pour toutes sortes de raisons. Et maintenant, on a un directeur général qui est excellent, qui vient d’arriver. Tout le monde est content! Il arrive au bon moment, au niveau stratégique, pour le déménagement. Et on va le perdre? Parce que quelqu’un est venu faire de l’ingérence? Ça n’a aucun sens!» s’est exclamée la docteure Letendre.

De son côté, la Fédération des médecins spécialistes ne s’en est pas prise au ministre Barrette lui-même, mais plutôt à son projet de loi qui lui octroie trop de pouvoirs face aux établissements de santé.

«Ce qui se passe actuellement au CHUM, avec la démission de M. Jacques Turgeon, illustre parfaitement ce que nous craignions et dénoncions advenant l’adoption du projet de loi 10. Nous avons devant nous une démonstration parfaite d’ingérence, d’abus de pouvoir et de contrôle excessif d’un établissement par le ministre», a commenté la docteure Diane Francoeur, présidente du syndicat professionnel des médecins spécialistes.

La Fédération affirme ne pas vouloir se prononcer sur «la guerre de clans» qui sévit au centre hospitalier universitaire francophone, mais elle «insiste toutefois sur le fait que, peu importe l’établissement concerné, les problématiques de gestion doivent se régler entre les acteurs impliqués à l’interne et non pas par une mainmise directe du ministre».

De son côté, le Conseil pour la protection des malades a exprimé de semblables craintes face à l’étendue des pouvoirs dévolus au ministre dans le projet de loi. L’organisme de défense des malades «avait dit craindre l’octroi dangereux de pouvoirs directs de gestion au ministre» dans ce projet de loi. Or, «à première vue, les accusations du directeur général démissionnaire font écho aux craintes déjà exprimées», souligne-t-il dans un communiqué.

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