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Le gouvernement veut assommer la contestation

Photo: Christian Gendron/Collaboration spéciale

QUÉBEC – Le gouvernement Charest fait «une déclaration de guerre au mouvement étudiant»: son projet de loi 78, déposé jeudi soir en séance extraordinaire, assomme la contestation à coups de fortes amendes et en restreignant de façon inédite le droit de manifester.

Le projet de loi est perçu comme une véritable «dérive autoritaire» par le mouvement étudiant, qui l’a condamné. Et sa portée est prévue jusqu’à juillet 2013, ce qui pourrait s’avérer commode dans la prochaine année pour éviter les manifs en pleine campagne électorale.

Le projet de loi fait l’objet d’une procédure accélérée. Les débats en Chambre étaient vifs en fin de soirée jeudi et devaient se poursuivre toute la nuit, pour ne se conclure vraisemblablement qu’en fin de journée vendredi

La pièce législative vise les associations étudiantes, leurs représentants, les salariés des cégeps et universités et leurs syndicats. Plus personne ne pourra «entraver le droit d’un étudiant de recevoir l’enseignement dispensé par l’établissement d’enseignement qu’il fréquente».

Les amendes vont de 7000 $ à 35 000 $ s’il s’agit d’un dirigeant, d’un employé, d’un représentant. Pour les associations, les fédérations, les syndicats ou autres organismes, elles s’élèvent de 25 000 $ à 125 000 $. Et qui plus est, s’il y a récidive, les montants doublent.

Les manifestations sont aussi strictement balisées par des règles. Au moins huit heures avant sa tenue, les organisateurs devront aviser les autorités de la date, de l’heure, de la durée, de l’itinéraire et des moyens de transport utilisés. Le corps de police pourra exiger des changements de lieu ou d’itinéraire, «aux fins de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique».

Qui plus est, une association étudiante et sa fédération seront tenues responsables s’il y a préjudice à un tiers en cas d’entrave au droit de recevoir l’enseignement, à moins qu’elle ne démontre qu’elle n’est pas responsable.

«Le gouvernement se sert d’une crise qu’il lui-même provoquée pour ni plus ni moins transformer tout mouvement social (…) en crime et un État qui a une tradition d’ouverture en un État policier», a déclaré le président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin, dans un point de presse à l’Assemblée nationale.

C’est une limitation «excessive» au droit de manifester, une limitation «déraisonnable», a-t-il ajouté, en affirmant que la loi vise à «tuer les associations étudiantes».

Elle est bien pire que la hausse des droits, a-t-il dit, et il sera impossible de négocier dans ces conditions.

«C’est pire que ce à quoi on s’attendait.»

Son homologue de la FEUQ, Martine Desjardins, a abondé dans le même sens en assurant que son organisation allait contester la loi. Elle estime qu’il s’agit d’un «aveu de déresponsabilisation du gouvernement».

Ce projet de loi brime la liberté d’expression et d’association, selon elle. «On vient de dire aux jeunes que tout ce qu’ils ont fait, tout ce qu’ils ont créé en 14 semaines, sera désormais criminel. (…) Le gouvernement fait vraiment une déclaration de guerre au mouvement étudiant.»

Le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, a avoué qu’il manquait carrément de mots pour exprimer sa colère et son indignation.

«Il va falloir trouver un moyen pour que ça cesse parce que le Québec est en train de sombrer dans une dérive autoritaire extrêmement inquiétante, et pas seulement pour les étudiants, mais pour l’ensemble de la population», a-t-il lâché en conférence de presse.

Certains articles du projet de loi ouvrent la porte aux délits d’opinion, en plus de retirer le droit de manifester, a-t-il soutenu. De surcroît, le gouvernement «se sert de l’état d’urgence» pour empêcher la contestation de la loi devant les tribunaux dans les délais, étant donné qu’elle ne s’étend pas au-delà de juillet 2013. Les seuls gestes que ce gouvernement semble capable de poser radicalise le mouvement, selon lui, mais rien n’arrêtera la contestation.

«On va trouver les moyens (de contester), c’est certainement pas par les matraques et le projet de loi qu’on va étouffer notre parole.»

Il a ajouté que son organisation croit toujours à la désobéissance civile et que toutes les options sont sur la table.

Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre. La chef de l’opposition officielle, Pauline Marois, ne mâchait pas ses mots contre le projet de loi, affirmant qu’il est une attaque frontale contre les associations étudiantes, contre la liberté d’expression et contre la liberté de manifester.

Elle a demandé au gouvernement de retirer ce projet de loi, soutenant que le premier ministre n’avait plus l’autorité morale et même la légitimité pour l’adopter. Elle a même accusé M. Charest d’être un «provocateur».

«C’est ignoble! Je ne peux pas imaginer que le gouvernement va l’adopter», a-t-elle dit.

Mme Marois a notamment soutenu que le projet de loi confondait les attributs et les rôles du pouvoir judiciaire et pouvoir législatif. Elle a déploré que l’application du projet de loi repose sur les épaules des directeurs d’établissement et des professeurs.

Du côté de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault a dit que son parti s’opposera à la suspension des règles de l’Assemblée nationale pour l’adoption de la loi spéciale. Il a aussi exprimé des inquiétudes sur certains éléments du projet, notamment le fait qu’il laisse beaucoup de flexibilité aux cégeps pour fixer la durée de la reprise de la session.

Il a aussi déploré que le gouvernement n’ait pas osé à inclure des articles interdisant les masques et les cagoules au cours des manifestations.

La députée indépendante de Crémazie, Lisette Lapointe, se dit «très inquiète de la réaction des gens».

Par ailleurs, le projet de loi prévoit que la session d’hiver 2012 et, dans les universités, celles de l’été 2012 sont suspendues pour les cours ayant été interrompus au cours de ces sessions.

La reprise des cours doit avoir lieu au plus tard le 17 août, sauf dans les cégeps de Maisonneuve et d’Ahuntsic, où elle aura lieu respectivement au plus tard le 22 août et le 30 août. Les établissements pourront toutefois faire des ententes avec les syndicats pour convenir d’autres dates.

Les établissements et leurs dirigeants seront tenus de prendre les moyens pour dispenser les cours. Les salariés seront aussi tenus de se présenter à compter de l’adoption de la loi pour faire leur travail.

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