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Ypres: baptême de feu toxique pour les Canadiens

Murray Brewster - La Presse Canadienne

OTTAWA – Le soldat Alfred Baggs, qui patrouillait la ville belge de Vlamertinghe, sut qu’un désastre s’annonçait lorsqu’il vit un cheval tirant un chariot de munitions s’emballer dans la mauvaise direction.

Le mauvais pressentiment que ressentait Baggs se renforça quelques minutes plus tard quand il croisa une automobile conduite par un colonel français transportant de nombreux blessés au teint «plus pâle que la mort», comme il le nota dans son journal personnel.

L’ennemi avait percé le front, lui apprit-on. Et puis l’automobile disparut dans un nuage de poussière en direction d’une autre ville-martyre belge, Ypres, située à quelques kilomètres de là.

Baggs, qui était originaire de Grande-Bretagne mais qui décida de s’établir au Canada, se sentit à la fois emballé et stupéfait par la perspective des combats à venir.

Nous étions le 22 avril 1915. Le temps était ensoleillé mais la température fraîche.

La 1ère Division Canadienne n’occupait cette partie du front que depuis quelques semaines lorsque les Allemands, qui bombardaient fréquemment le saillant d’Ypres, lancèrent une grande offensive.

Aujourd’hui oubliée de la mémoire populaire, rarement enseignée dans les cours d’histoire du secondaire, la Deuxième bataille d’Ypres a été le baptême du feu du corps expéditionnaire canadien qui avait été hâtivement mis sur pied après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’été précédent.

À l’époque, Ypres était la seule ville belge importante à ne pas subir la botte de l’armée du kaiser Guillaume II. À automne 1914, la ville fut âprement disputée par les Allemands et le corps expéditionnaire britannique.

Cette bataille est devenue célèbre pour une autre raison: pour la première fois sur le front Ouest, les Allemands employèrent des gaz toxiques, rappelle l’historienne Mélanie Morin-Pelletier, une spécialiste de la Première Guerre mondiale au Musée canadien de la guerre.

Libérés par 5730 cylindres industriels, poussés par le vent vers le no man’s land, les gaz toxiques épargnèrent les Canadiens. Ce furent les troupes coloniales françaises qui, les premières, subirent le choc. Les pauvres soldats que vit Baggs appartenaient à ces unités. Le soldat canadien nota dans son journal qu’on parla alors de l’attaque allemande lancée sous le couvert d’un «gaz asphyxiant».

Les généraux alliés ignoraient quel type de gaz avait été employé, même s’ils avaient été avertis de l’imminence de l’attaque par l’entremise de prisonniers de guerre, selon l’Histoire officielle de l’armée canadienne. Mais comme le colonel Fortescue Duguid l’écrivit: les Français pensèrent qu’il s’agissait d’une blague allemande.

Selon Mme Morin-Pelletier, le commandement ne pouvait pas faire grand-chose pour préparer ses troupes.

Le capitaine Francis Scrimger, un médecin de Montréal qui fut décoré de la Croix de Victoria pour la bravoure dont il fit preuve au cours de la bataille, fut le premier à décrire la nature de l’angoissant nuage toxique: il s’agissait de chlore. En avril 1915, le masque à gaz n’était pas encore d’usage courant dans l’infanterie. Scrimger conseilla alors aux hommes de placer des mouchoirs imbibés d’urine contre leur visage pour se protéger.

Deux jours plus tard, les Canadiens tentaient de combler la brèche de six kilomètres laissée par la déroute française lorsqu’ils reçurent de plein fouet une puissante attaque au gaz des Allemands.

Le capitaine William Boyd, qui fut, plus tard, un des membres fondateurs de l’Institut national du cancer, a été le témoin de ce terrible événement. Le futur compagnon de l’Ordre du Canada commandait alors une unité d’ambulances. Dans le livre «With a Field Ambulance at Ypres», publié en 1916, il narre la visite qu’il fit à un poste d’évacuation où s’entassaient morts et mourants.

«Ce que je vis alors égala en horreur tout ce qu’on peut voir dans un poste d’évacuation. Certains étaient complètement hébétés, les mouches volaient autour d’eux. D’autres, les mains et le visage teints de couleur sombre, s’étaient assis pour tenter de mieux respirer. Ceux-là étaient dans la plus grande des détresses. L’ombre de la mort commençait à planer au-dessus de cette multitude. Quelques-uns étaient retombés par derrière. Un dernier gargouillement et ils mourraient dans un pays inconnu.»

Les Canadiens parvinrent à repousser les Allemands au bout de quelques jours, mais ils durent en payer le prix. Au cours de la série de contre-offensives visant à permettre l’arrivée de renforts français et britanniques, la 1ère Division canadienne et le Princess Patricia’s Canadian Light Infantery, qui combattirent séparément, subirent des pertes de 6714 hommes, morts ou blessés, près du tiers des effectifs.

L’Histoire officielle — rédigée après la fin de la guerre — et le journal personnel de Baggs peignent un portrait sombre des incessantes escarmouches, des luttes désespérées et de la confusion régnante. La nuit n’interrompit guère les combats. Le bruit des obus et des détonations apporta sa contribution au sinistre spectacle.

Baggs raconte qu’on ordonna aux soldats de fixer leur baïonnette. Il suivit ses compagnons d’arme vers une haie qui dissimulait des Allemands. Les Canadiens se perdirent de vue. «Pauvre vieux Ned (Lawson), on n’entendit plus parler de lui. On ne peut que prier qu’il soit mort en faisant face à l’ennemi», écrivit le soldat dans son journal.

Dans son compte-rendu, Boyd parle des infirmiers qui arrivèrent sur les lieux. «Ils ne trouvèrent aucune ambulance, aucun médecin. Ils ne trouvèrent que des hommes se battant dans les champs. La macabre scène était éclairée par les lueurs des fusées. Les obus qui explosaient sur la route empêchaient l’arrivée des renforts». Sous le feu ennemi, et ayant déjà perdu deux des leurs, les infirmiers «devaient transporter les blessés hors du champ de bataille et les amener vers les ambulances du mieux qu’ils pouvaient».

Baggs a survécu à la guerre mais n’est jamais revenu au Canada. Il fut blessé et souffrit d’obusite, une des formes du stress post-traumatique que l’on observa chez nombre de combattants de la Grande Guerre. Il resta dans l’armée et fut un officier de la police militaire jusqu’à la fin du conflit. Après sa démobilisation, il choisit d’épouser sa bien-aimée anglaise.

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