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Blâme sévère pour un incident vieux de 41 ans

MONTRÉAL – L’Ombudsman des Forces armées dresse un constat accablant de la manière dont des cadets et leurs familles ont été traités après l’explosion accidentelle d’une grenade lors d’un camp de cadets à Valcartier qui avait fait six morts et 65 blessés il y a 41 ans, soit à l’été de 1974.

L’enquête de l’Ombudsman Gary Walbourne conclut que les cadets et leurs familles ont reçu un traitement inéquitable tant pour la couverture médicale requise par la suite que pour le versement d’indemnités et recommande que le ministère de la Défense «finance un régime de soins raisonnable» et accorde à tous les cadets qui étaient sur place «une indemnité financière immédiate et raisonnable qui cadre avec la jurisprudence.»

Le verdict de l’Ombudsman est sans appel: il écrit dans son rapport rendu public mardi que le «manque flagrant de considération (des Forces armées et du ministère de la Défense) pour les jeunes dont ils étaient responsables est inexcusable.»

Rejoint par La Presse Canadienne, M. Walbourne a expliqué que c’était le régime de deux poids deux mesures qui l’avait choqué, puisque les militaires qui étaient présents sur place avaient tous reçu des indemnités et le suivi médical requis.

«Le groupe le plus vulnérable n’a reçu aucune compensation ou aide et c’est ce que j’ai trouvé le plus tragique dans toute cette enquête.»

Ainsi, sur 137 cadets présents lors de la tragédie, seuls 14 ont reçu des indemnités parce que leurs familles ont intenté des poursuites.

La plus importante indemnisation s’est élevée à 225 000 $ pour un jeune qui était devenu invalide à la suite de l’explosion; toutes les autres, incluant celles pour cinq des six cadets décédés, se situaient entre 2650 $ et 36 560 $. La famille du sixième cadet décédé n’avait pas intenté de poursuite. L’indemnisation médiane se situait à 11 601 $.

Or, l’indemnisation médiane de six membres des Forces armées présents lors de l’incident s’élève à 86 496 $ et varie, sur une base individuelle, de 14 265 $ à 202 000 $.

Quant aux soins, les cadets n’ont eu droit qu’aux soins couverts par l’assurance-maladie et ont dû payer les soins additionnels requis, alors que les militaires étaient entièrement pris en charge par les Forces armées.

«Tous les cadets qui ont reçu une compensation, l’ont obtenue de leur propre initiative, a déploré M. Walbourne. Les soldats qui ont été blessés ont reçu de l’aide médicale et une compensation immédiatement et d’autres qui, dans les années suivantes ont fait des réclamations pour le traumatisme subi lors de cette expérience, ont reçu de l’aide.»

L’explosion était survenue lors d’un cours sur l’utilisation sécuritaire d’engins explosifs; une grenade active avait été mêlée aux grenades inactives par inadvertance et un cadet avait obtenu l’autorisation de dégoupiller cette grenade malgré le fait que, contrairement à toutes les autres grenades inactives de couleur bleue, celle-ci était de couleur verte et, donc, active.

«C’était une scène absolument horrible», s’est rappelé Gerry Fostaty, qui se trouvait tout juste à la porte de l’édifice lorsque l’explosion est survenue. Sergent dans les cadets, il était alors âgé de 18 ans.

Il avait été protégé par la présence de son commandant, qui se trouvait dans le cadre de porte, mais les 137 garçons qui se trouvaient à l’intérieur n’avaient pas eu cette chance.

Rejoint par la Presse Canadienne à Toronto, M. Fostaty évoquait des images qui sont toujours avec lui quatre décennies plus tard.

«La pièce était remplie de fumée, de personnes couchées les unes sur les autres. Il y avait des garçons couverts de sang qui criaient. La majorité des gens dans la salle étaient couverts de sang et de chair; ils étaient couverts de la chair de leurs amis. J’ai aidé les garçons à sortir de cette pièce.»

Corrections et 2e enquête

Le rapport de l’Ombudsman a été remis à certains survivants avant d’être rendu public ainsi qu’au ministère de la Défense nationale qui n’a pas tardé à réagir, selon Gary Walbourne.

«Ils vont instituer immédiatement une ligne téléphonique et une adresse de courriel où les gens peuvent les rejoindre et ils vont aussi essayer de rejoindre toutes les personnes concernées. Ce sera fait d’ici la fin de la journée vendredi pour que nous puissions commencer immédiatement à répondre aux besoins de soins que les survivants pourraient avoir.»

De son côté, le ministre de la Défense Jason Kenney, qui s’était déjà engagé à suivre les recommandations, a émis un communiqué dans lequel il dit regretter «les conséquences que l’événement a occasionnées pour les victimes et leur famille» et qu’il ait fallu 41 ans pour «reconnaître officiellement les effets et pour nous pencher franchement sur eux.»

La tâche de M. Walbourne n’est toutefois pas terminée puisque son enquête a identifié un vide juridique très clair.

«Les cadets n’avaient aucun statut dans les Forces canadiennes, ce qui les rendait inadmissibles à toute forme d’indemnité ou d’avantages sociaux auxquels aurait pu avoir droit un membre des Forces canadiennes», écrit-il dans son rapport.

«Les 137 cadets présents dans la salle au moment de l’explosion constituaient le groupe le plus vulnérable et le plus affecté au moment de l’incident. En raison de l’absence d’un statut militaire, ils n’ont pas eu droit aux avantages», poursuit-il.

En entrevue, il a confié qu’il mènera une autre enquête durant l’année qui vient.

«Je vais faire une révision complète du programme de cadets cette année parce que ce vide juridique existe toujours et je veux voir s’il y a toute autre situation où les cadets pourraient être traités inéquitablement. Il est absolument fondamental de s’assurer que ce vide juridique soit comblé», a déclaré M. Walbourne.

«Dieu merci pour les médias sociaux»

Il souligne par ailleurs que la commission d’enquête militaire a erré dans sa manière de traiter les jeunes.

«Les cadets ont été traités comme des membres adultes des Forces par la Commission d’enquête militaire, avec la manière qu’ils ont été contre-interrogés et interviewés, a déploré l’Ombudsman en entrevue. Les garçons ont eu comme message par la suite qu’ils ne devaient pas en discuter de quelque façon que ce soit», un ordre qui a été suivi à la lettre par ces jeunes encore à un âge impressionnable.

L’enquête de l’Ombudsman n’a été déclenchée qu’en 2013 après que son Bureau eut reçu des dizaines de plaintes. Celles-ci sont survenues à la suite du dévoilement d’informations jusque-là gardées confidentielles, mais obtenues par les personnes touchées grâce à des demandes d’accès à l’information.

«Nous avons reçu la première plainte en avril 2013 et, moins de trois mois plus tard, nous en avions reçu 51 autres», a expliqué M. Walbourne.

«Dieu merci pour les médias sociaux, a-t-il ajouté. Ils ont commencé à faire des liens. Ils ont appris que certains avaient obtenu des compensations, avaient reçu de l’aide alors que d’autres n’avaient rien reçu.»

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