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Jeter des aliments coûte moins cher que les donner

Pierre Saint-Arnaud - La Presse Canadienne

MONTRÉAL – La moitié des banques alimentaires du Québec ont dû donner moins de denrées par personne en 2015 et bon nombre ont aussi réduit leurs heures d’ouverture non seulement parce que le nombre de demandeurs ne cesse d’augmenter, mais aussi parce qu’il en coûte moins cher aux fournisseurs de jeter leurs surplus que de les donner.

C’est là une des tristes réalités qui se cache derrière les chiffres du rapport Bilan-Faim 2015 de l’organisme Banques alimentaires du Canada rendu public mardi, qui nous apprend que le recours aux banques alimentaires s’est accru pour la deuxième année d’affilée au Canada et qu’il continue de frôler des niveaux records.

L’étude démontre qu’à l’échelle canadienne 852 137 personnes, dont 305 366 enfants, ont eu accès à un tel service en mars de cette année, en hausse de 1,3 pour cent par rapport au même mois en 2014.

Au Québec, la situation est encore plus alarmante, avec une hausse de 4 pour cent en mars 2015 par rapport à l’année précédente pour atteindre 163 152 personnes, dont 59 311 enfants. Fait à noter, 14,3 pour cent des ménages aidés ont été servis pour la première fois.

Le volet québécois de l’étude indique qu’un organisme sur deux a donné moins de produits alimentaires par personne et que 13,4 pour cent disent avoir été forcés de fermer leurs portes plus tôt ou ne de ne pas ouvrir du tout, faute de denrées.

Le directeur général de Banques alimentaires du Québec, Zakary Rhissa, a expliqué à La Presse Canadienne qu’au-delà de la pression qu’ajoute l’augmentation du nombre de demandes, la collecte auprès des fournisseurs est devenue plus difficile.

«De plus en plus, les denrées ont une valeur marchande beaucoup plus importante», note-t-il, faisant référence à une réalité que tous les consommateurs ne connaissent que trop bien.

«Et en plus, il n’y a pas d’incitatif fiscal pour les donner, poursuit-il. Si les fournisseurs les jettent, ils peuvent réclamer la perte. Donc, ça leur coûte plus cher de les donner à une banque alimentaire parce qu’ils n’ont pas de retour et en plus, pendant qu’ils attendent que quelqu’un vienne les chercher, ils doivent payer la manutention.»

Le dernier budget du ministre des Finances Carlos Leitao a pourtant bonifié un crédit d’impôt aux dons d’aliments, mais celui-ci n’a qu’un effet marginal.

«L’incitatif fiscal est limité aux produits maraîchers, précise M. Rhissa. Donc, on peut bénéficier de ce crédit d’impôt seulement dans la période des récoltes et les produits maraîchers, ce sont des fruits et légumes avec une durée de vie limitée», ce qui ne permet pas d’accumuler des réserves de produits manufacturés pour les périodes plus difficiles ou pour l’hiver.

Sans surprise, les banques alimentaires voudraient bien voir le crédit d’impôt appliqué à l’ensemble des denrées alimentaires données.

Par ailleurs, l’augmentation du prix des denrées a entraîné une lutte intensive au gaspillage dans l’industrie qui vient compliquer la donne puisque celle-ci a concentré les centres de décision et de distribution dans les grandes villes, laissant les entrepôts régionaux devenir des centres de transit qui répondent à des commandes précises où les pertes sont quasi inexistantes.

«Dans les régions, les organismes peinent à aller chercher des denrées et il faut ajouter des coûts de transport de Montréal, Québec ou même Toronto, qui n’existaient pas auparavant», fait valoir M. Rhissa.

À plus long terme, l’étude constate que le recours aux banques alimentaires a fait un bond de 26 pour cent depuis 2008, ce qui signifie à l’échelle canadienne que 175 000 personnes de plus demandent de l’aide à chaque mois. Au Québec, l’augmentation entre 2008 et 2015 atteint 28 pour cent, un chiffre qui étonne et déçoit Zakary Rhissa.

«2008, c’est l’année de référence, l’année où on avait eu un plateau et dépassé le million de demandes d’aide alimentaire. On pensait que c’était momentané avec la crise financière, que ça allait redescendre. Malheureusement, c’est le contraire», soupire-t-il.

C’est toutefois l’Alberta qui vit la pire des situations à l’échelle nationale. La crise du pétrole a eu un impact majeur sur les banques alimentaires de cette province, qui ont vu le nombre de personnes aidées faire un bond de 23,4 pour cent entre 2014 et 2015, soit six fois plus important que l’augmentation du Québec et cette hausse atteint le niveau ahurissant de 82,8 pour cent depuis 2008.

D’autres provinces, au contraire, ont vu la demande diminuer. C’est le cas notamment au Nouveau-Brunswick, où le nombre de personnes aidées est passé de 19 590 en 2014 à 18 986 en 2015, une baisse de 3,1 pour cent. Néanmoins, la tendance demeure à la hausse sur le long terme, soit une augmentation de 21,4 pour cent entre 2008 et 2015.

Katharine Schmidt, directrice générale de Banques alimentaires Canada, signale qu’à court terme, les gens se tournent vers les banques alimentaires en raison de mises à pied, d’une maladie subite ou d’une augmentation de loyer qui empiète sur le budget alimentaire. À son avis, des millions de Canadiens sont aux prises avec des revenus qui sont nettement inférieurs aux sommes nécessaires pour affronter le coût de la vie de base.

Pour que diminue le recours aux services, Banques alimentaires Canada propose d’investir dans la création de logements abordables; d’aider les Canadiens à acquérir les compétences pour accéder aux emplois bien rémunérés; enfin, d’accroître l’accès à la nourriture traditionnelle et aux aliments achetés en magasin dans le Nord canadien afin de remédier au taux extrêmement élevé d’insécurité alimentaire qu’on y constate.

Banques alimentaires Canada a coordonné l’étude auprès de plus de 4000 programmes alimentaires. Son étude Bilan-Faim, lancée en 1989, est la seule faite chaque année auprès des banques alimentaires et d’autres programmes alimentaires au Canada.

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