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La question de l’identité québécoise au coeur du débat sur l’oléoduc Énergie Est

Photo: Collaboration spéciale

MONTRÉAL — Lors d’une récente visite à Montréal, le président d’Oléoduc Énergie Est était tout sourire en disant que l’entreprise TransCanada était à l’écoute des inquiétudes des Québécois sur le projet controversé.

Mais si John Soini écoute avec soin, il risque d’entendre un son de cloche qui lui fera froncer les sourcils.

TransCanada, qui est derrière le projet Énergie Est, dit être persuadée de pouvoir répondre aux craintes de déversements et d’explosions et à la perception d’avantages économiques insuffisants pour justifier les risques associés à cet oléoduc, qui doit transporter du pétrole de l’Alberta jusqu’au Nouveau-Brunswick, en passant par le Québec.

Mais TransCanada pourrait avoir plus de mal à surmonter deux obstacles particuliers au Québec sur le chemin de l’approbation du projet dans la province.

Tout d’abord, surtout depuis la conférence internationale de Paris (COP21), le Québec s’est positionné comme un leader mondial de la lutte contre les changements climatiques, ce qui a permis au premier ministre Philippe Couillard de montrer aux Québécois que la province pouvait briller sur la scène internationale tout en demeurant au sein du Canada.

Puis, le projet Énergie Est est devenu un enjeu d’identité nationale, la classe politique québécoise arguant que la province ne devrait pas laisser le reste du Canada lui imposer un oléoduc “sale” sur son territoire.

Erick Lachapelle, professeur adjoint au département de science politique de l’Université de Montréal, qui étudie l’opinion publique sur les projets énergétiques, a dit constater dans ses recherches l’émergence d’une dimension nationaliste sur cet enjeu.

De plus, M. Lachapelle a souligné que les groupes environnementaux avaient utilisé avec succès le slogan émotif “Coule pas chez nous”, faisant écho au “Maîtres chez nous” de la Révolution tranquille.

M. Lachapelle a parlé d’un slogan “puissant” et “grandement efficace”, qui rejoint les valeurs québécoises de solidarité et d’identité, indépendamment de la position de chacun sur la question de la souveraineté.

Selon le gouvernement québécois, son plan de réduire de 37,5 pour cent d’ici 2030 les émissions de gaz à effets de serre (GES) par rapport au niveau de 1990 est “le plus ambitieux au Canada”.

Les émissions de GES au Québec sont en chute constante depuis 2005. Cela est attribuable en grande partie à l’hydroélectricité, une ressource énergétique renouvelable.

Au cours de la conférence de Paris sur les changements climatiques, en décembre, le premier ministre Philippe Couillard s’était vanté que le Québec n’ait “jamais été aussi influent” dans une conférence internationale qu’à la COP21. “Il est clair que le Québec est reconnu comme un joueur de très haut niveau, de calibre mondial”, avait-il renchéri.

En tenant compte des récentes déclarations du premier ministre sur l’exploitation pétrolière sur l’île d’Anticosti, M. Lachapelle estime que M. Couillard sera plutôt hésitant à appuyer le projet Énergie Est. “Mais il faut assumer que le gouvernement veut être constant, a-t-il ajouté. Et ça, c’est un grand si.”

Énergie Est permettrait à TransCanada d’acheminer quotidiennement 1,1 million de barils de pétrole brut vers les raffineries de l’est du pays. Le projet fait actuellement l’objet d’un examen par les autorités réglementaires. Ni Québec ni Ottawa n’ont pris une position formelle à son sujet.

Le président et chef de direction de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, Chris Bloomer, affirme que les sondages internes de son organisation indiquent que les changements climatiques sont loin de figurer en haut de la liste des opposants aux oléoducs, y compris au Québec. “Les gens sont plus préoccupés par la sûreté et l’intégrité physique des oléoducs”, souligne-t-il.

M. Bloomer rappelle que si on se fie aux prévisions, la demande mondiale en ressources énergétiques continuera de croître. “On doit avoir les capacités d’atteindre tous les marchés pour nos ressources et de les utiliser pour le bien de tous les Canadiens.”

Mais l’industrie pétrolière est incapable de répondre à cette question: comment le Canada peut-il construire un nouvel oléoduc tout en respectant ses cibles de réduction des GES?

L’Institut Pembina a calculé qu’Énergie Est augmentera les émissions canadiennes de GES d’environ 30 millions de tonnes par année. Or, la cible canadienne est de réduire de 30 pour cent d’ici 2030 ses émissions par rapport au niveau de 2005.

Si Énergie Est obtient l’aval du gouvernement fédéral, favorisant ainsi l’essor de l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, le Canada devra se trouver vers d’autres secteurs de son économie pour parvenir à réduire ses émissions de GES.

Le porte-parole du groupe écologiste Équiterre, Steven Guilbeault, soutient que le Canada ne peut pas appuyer Énergie Est s’il veut respecter ses engagements internationaux. Si Ottawa donne son accord au projet, les sables bitumineux seront responsables, à eux seuls, de deux tiers des émissions de GES permises en vertu des objectifs canadiens. “Tous les autres secteurs n’auront droit qu’à un tiers des émissions permises, avance-t-il. Je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner. Je ne pense pas que cela va arriver.”

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