Soutenez

Énergie Est: Québec réclame une injonction

Ryan Remiorz / La Presse Canadienne Photo: Ryan Remiorz

MONTRÉAL – Le gouvernement du Québec demande aux tribunaux d’émettre une injonction pour forcer TransCanada à se conformer à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et à déposer un avis de projet pour le pipeline Énergie Est, ce qui déclencherait un processus d’évaluation et d’examen des impacts environnementaux complet.

Le ministre de l’Environnement, David Heurtel, a précisé mardi que cette décision n’est ni une opposition ni un appui au projet, mais bien un geste visant à forcer l’entreprise à soumettre la portion québécoise du projet de 15,7 milliards $ aux lois provinciales.

«Quiconque veut faire un projet au Québec doit respecter l’ensemble de ses lois et de ses règlements», a-t-il déclaré en conférence de presse, mardi à Montréal.

Il a justifié sa décision en invoquant notamment un récent jugement de la Cour suprême de Colombie-Britannique selon lequel l’environnement est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces, cherchant du coup à désamorcer les reproches qui sont quand même venus de l’Ouest canadien.

«Ce n’est pas l’Est contre l’Ouest. Ce n’est pas une province contre une autre province. Ce qui est en jeu, c’est une entreprise qui veut faire un projet au Québec et qui ne respecte pas les lois québécoises», a soutenu David Heurtel.

Le ministre a précisé avoir écrit à deux reprises, en novembre et en décembre 2014, à TransCanada pour réclamer le dépôt d’un avis de projet, sans jamais obtenir de réponse ou même d’accusé de réception. M. Heurtel a ajouté qu’il s’attendait à avoir ce dépôt à la suite de la présentation, en décembre 2015, du projet révisé à l’Office national de l’énergie (ONÉ), dans lequel TransCanada avait abandonné l’idée d’un port pétrolier à Cacouna.

Le nouveau litige, qui s’ajoute à une procédure similaire entreprise par des groupes environnementaux, tourne autour de la nature du processus impliquant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Celui-ci doit tenir des audiences sur le projet Énergie Est à compter du 7 mars prochain en vertu de l’article 6.3 de la LQE, des audiences — généralement qualifiées de «BAPE générique» — qui sont beaucoup moins contraignantes que celles prévues à l’article 31.1 de la Loi, qui surviennent à l’issue du dépôt d’un avis de projet par une entreprise.

TransCanada contredit le ministre

Dans les minutes suivant cette annonce, mardi, TransCanada a soutenu avoir fourni tous les documents requis au BAPE, son vice-président Louis Bergeron contredisant le ministre sur le manque de communication.

«C’est sûr qu’on est un peu perplexe parce qu’on avait toutes les correspondances et toutes les décisions qui nous disaient que c’était clairement un 6.3», a-t-il dit en entrevue avec La Presse Canadienne.

«Dès novembre 2014, il y a eu toute une série de rencontres entre les gens du gouvernement et TransCanada et c’est ça qui a débouché au printemps 2015 sur une compréhension des deux parties à l’effet qu’on allait vers un 6.3 et on a des lettres qui confirment le tout», a précisé M. Bergeron, refusant toutefois de rendre publiques les lettres en question avant d’avoir consulté ses avocats en raison de la judiciarisation soudaine du débat.

Selon M. Bergeron, qui est responsable du projet Énergie Est pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, l’entreprise se conforme ainsi aux lois québécoises avec la remise de toute la documentation pertinente au BAPE. Selon lui, la démarche de Québec est «un débat juridique» dans lequel «il y a de l’interprétation» qui diffère.

Cependant, il a clairement réaffirmé la position de l’entreprise à l’effet qu’il s’agit là d’un dossier «qui est de juridiction fédérale sous l’Office nationale de l’énergie».

M. Bergeron assure que toutes les informations qui ont été soumises à l’ONÉ pour l’évaluation de l’organisme fédéral ont été remises au BAPE pour les audiences du 7 mars prochain, de même que d’autres documents réclamés par l’organisme provincial ainsi que tout autre renseignement qu’on pourrait lui demander en cours de processus.

«On s’entend qu’un BAPE c’est vraiment l’outil approprié pour répondre aux questions des Québécois. On est prêt à se présenter au BAPE le 7 mars prochain. On a l’intention d’arriver avec toute l’information pertinente», a-t-il affirmé.

De son côté, le ministre Heurtel ne veut pas annuler le processus restreint prévu par l’article 6.3 qui s’ouvrira la semaine prochaine, même si la Cour lui accorde l’injonction, car les audiences plus approfondies risquent fort de ne pas pouvoir avoir lieu avant que l’ONÉ se soit penché sur le dossier.

«On maintient 6.3 pour s’assurer qu’on puisse faire le travail le plus complet possible pour alimenter la position que le Québec défendra devant l’ONÉ», a expliqué M. Heurtel.

Réactions multiples

La décision a entraîné un flot de réactions, à commencer par le milieu municipal.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a salué la décision de Québec, évoquant les nombreuses préoccupations des municipalités touchées, un son de cloche auquel a fait écho la Communauté métropolitaine de Montréal par la voix de son président et maire de Montréal, Denis Coderre.

«L’environnement est un pouvoir partagé et il est tout à fait important de respecter les lois des provinces», a déclaré M. Coderre en point de presse.

«Le ministre de l’Environnement constate comme nous qu’il y a beaucoup de failles dans le projet présentement et que l’on rejette le projet tel que présenté», a-t-il ajouté, rappelant ainsi que la CMM a déjà signifié son opposition.

À Québec, le porte-parole du Parti Québécois en matière d’environnement, Mathieu Traversy, a relevé la contradiction entre cette décision et celle, en juin 2015, de permettre la tenue d’un «BAPE tronqué», selon son expression.

M. Traversy soupçonne le ministre de l’Environnement de s’être «fait coincer» par le fait que les groupes environnementaux aient déposé un recours similaire. Il lui reproche donc d’être «à la remorque» de ces derniers.

Il soutient dans la même logique que le BAPE restreint qui aura lieu à compter de la semaine prochaine est «en violation de la loi» et demande que celui-ci élargisse ses exigences auprès de l’entreprise.

De son côté, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, s’est dit en faveur de soumettre le projet au processus du BAPE, tout en s’interrogeant sur le recours aux tribunaux.

«Ils auraient dû, peut-être, avant d’envoyer des lettres d’avocat, les rencontrer, essayer de les convaincre», a-t-il déclaré alors qu’il était de passage à Saguenay pour une activité politique.

Cette décision s’inscrit, selon lui, dans une tendance inquiétante du gouvernement libéral.

«Je trouve que Philippe Couillard, depuis quelques mois, n’aide pas au climat d’affaires au Québec. (…) Pensez-vous que c’est un bon climat d’affaires, ça, plutôt que d’essayer de rencontrer les partenaires, leur expliquer les lois, les objectifs, les priorités?»

À Vancouver, le premier ministre Justin Trudeau a évité de se positionner d’un côté ou de l’autre.

«Tous les Canadiens sont unis dans leur désir de voir plus de croissance de façon durable, de voir notre environnement protégé, mais aussi de voir une prospérité pour les futures générations créée de façon responsable», a dit M. Trudeau, tout en promettant de continuer à «chercher des éléments communs», «écouter les préoccupations partagées par bien des Canadiens» et à «développer des solutions à travers la pays».

Le premier ministre Couillard, qui se trouve à Vancouver pour une réunion avec M. Trudeau et ses homologues des autres provinces, a dit qu’«il ne s’agit pas d’une chicane entre l’Est et l’Ouest du pays. C’est fondamentalement une situation où il y a une entreprise qui ne veut pas entièrement se conformer aux lois du Québec sur l’environnement. C’est ça et rien d’autre.»

Quant aux discussions qu’il aura à ce sujet mercredi avec les premiers ministres des provinces de l’Ouest, M. Couillard a déclaré: «Je vais tout simplement leur dire qu’il est normal que chacun d’entre nous applique les lois de sa province».

Le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, qui avait suggéré d’exiger du Québec un remboursement de la péréquation des dix dernières années après le rejet du projet par la CMM, s’est montré moins belliqueux cette fois-ci, se disant «déçu» de la demande d’injonction. Il a qualifié le geste de «politiquement divisif» et motivé par des questions de «politique environnementale».

M. Wall s’est dit en faveur d’un processus d’évaluation environnementale national unique, où les provinces ne pourraient imposer leur propre processus réglementaire.

De son côté, le lobby des affaires s’est montré extrêmement discret. Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) et Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) disant prendre acte de la décision, tout en réitérant leur appui au projet Énergie Est. Le CPQ a toutefois dit espérer la mise en place éventuelle d’un processus d’évaluation fédéral-provincial conjoint pour éviter les dédoublements nuisibles.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.