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Paradis fiscaux: Ottawa dévoile sa stratégie

OTTAWA – Ottawa investit près d’un demi-milliard de dollars dans la lutte contre l’évasion fiscale — et espère récupérer six fois les sommes injectées quand il aura mis le grappin sur les fraudeurs.

«La trappe se referme», a lanc�� la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, en guise d’avertissement. Elle a détaillé lundi la nouvelle stratégie du gouvernement fédéral pour tenter de récupérer les sommes qui lui filent entre les doigts, mais aussi pour sévir contre ceux qui ont recours aux paradis fiscaux.

Le budget fédéral prévoit 444 millions $ sur cinq ans pour permettre à l’Agence du revenu du Canada (ARC) de réprimer l’évasion fiscale et de s’attaquer à l’évitement fiscal. Les libéraux espèrent pouvoir récupérer pas moins de 2,6 milliards $ en recettes fédérales avec cet investissement sur la même période de temps.

«On doit mettre (cette somme), parce qu’il y a des gens qui fraudent le gouvernement, qui ne paient pas leur juste part. Mais quand tout ça va être fait, on va pouvoir utiliser nos argents pour offrir des services en santé, en éducation, en transport», a illustré la ministre en conférence de presse.

L’ARC s’attarde depuis le 1er janvier 2015 à tous les télévirements de 10 000 $ et plus. L’accent sera désormais mis sur des juridictions précises, à commencer par l’île de Man. Jusqu’à présent, 350 individus et 400 entreprises sont passés sous la loupe de l’ARC, et 60 vérifications sont actuellement en cours.

Les transactions issues de trois autres paradis fiscaux seront scrutées de cette façon cette année, mais Ottawa ne divulgue pas pour l’instant de quelles juridictions il s’agit. Le secret doit demeurer entier pour éviter que les malfaiteurs transfèrent leur fortune vers une juridiction ne faisant pas encore l’objet d’un examen plus soutenu.

Le gouvernement ajoute par ailleurs 100 vérificateurs, soit une augmentation d’environ 10 pour cent de l’effectif actuel. Il entend également quintupler les vérifications spécifiques envers les particuliers les plus riches. Il refuse toutefois de spécifier quel est le seuil de revenu nécessaire pour que quelqu’un soit considéré «fortuné».

Mme Lebouthillier a par ailleurs annoncé que le professeur de droit Colin Campbell, de l’Université Western, présidera un comité consultatif indépendant qui sera notamment chargé d’offrir des conseils à l’ARC pour être plus efficace.

Pointe de l’iceberg

Alain Deneault, auteur du livre sur les paradis fiscaux «Une escroquerie légalisée», croit qu’avec ces annonces, le gouvernement de Justin Trudeau ne s’attaque qu’à «la pointe de l’iceberg».

Selon le chercheur, les sommes investies sont «à peine plus qu’un rééquilibrage», alors que l’ARC avait subi une cure minceur à l’époque du gouvernement conservateur.

Il faudrait à son avis qu’Ottawa exerce notamment des pressions diplomatiques sur les paradis fiscaux pour qu’ils mettent fin au secret bancaire et revoie des ententes internationales qui légalisent ni plus ni moins l’évitement fiscal.

«On s’attaque au problème en aval et pas en amont. On se dit que s’il y a de la fraude, on va essayer d’attraper ceux qui ont fraudé. Mais on ne s’attaque pas aux modalités par lesquelles on arrive à frauder», a-t-il expliqué en entrevue.

Panama Papers

Ces investissements du gouvernement du Canada surviennent alors que les Panama Papers font grand bruit partout dans le monde. Ces millions de documents confidentiels de la firme d’avocats panaméenne Mossack Fonseca portant sur des sociétés écrans ainsi que leurs actionnaires ont été coulés dans les médias par un lanceur d’alerte anonyme.

Pour Mme Lebouthillier, la divulgation de ces documents constitue «une excellente nouvelle» et illustre un malaise, même à l’intérieur de ces compagnies.

«Ça montre vraiment, au sein des populations, que ce système-là d’évasion fiscale, ce n’est pas toléré, et que même actuellement, à l’intérieur même de certaines entreprises, des gens ont décidé de dévoiler les stratagèmes», a-t-elle indiqué.

Par ailleurs, la ministre n’exclut pas des modifications à la loi pour s’attaquer à «l’évitement fiscal», un processus légal, mais qui permet néanmoins à des particuliers et des entreprises de ne payer qu’une fraction de ce qu’ils devraient normalement au fisc.

«S’il y a des modifications à faire au niveau de la loi, ce sera fait, a-t-elle soutenu. Parce que ce sur quoi on veut travailler aussi, c’est d’essayer de rendre ce qui est immoral, illégal.»

KPMG

Aux Communes, la ministre Lebouthillier ne s’est pas fait lancer des fleurs pour ses annonces, mais a plutôt dû encaisser les attaques du Nouveau Parti démocratique (NPD) dans le dossier de l’entente conclue entre l’ARC et la firme KPMG.

Radio-Canada révélait lundi qu’un ancien haut fonctionnaire de l’agence, Jeff Sadrian, avait quitté ses rangs pour rejoindre le cabinet comptable, au moment même où l’ARC tentait d’obtenir en cour sa liste des millionnaires canadiens ayant utilisé un stratagème financier à l’île de Man.

«La ministre a annoncé de nouvelles mesures, mais rien n’est dit sur son ex-haut gradé qui a changé de bord. Il est parti travailler pour KPMG, pendant que la firme était sous enquête par Revenu Canada. Ce n’est vraiment pas sérieux. Pourquoi est-ce que la ministre continue de défendre l’entente sécrète avec des tricheurs?», a demandé la députée néo-démocrate Marjolaine Boutin-Sweet à la période de questions.

La ministre Lebouthillier n’a pas été très loquace, indiquant qu’elle ne pouvait «commenter un cas particulier pour des raisons liées au respect de la vie privée». Elle a assuré que l’ARC suit le dossier de près.

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