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Aide à mourir: un projet de loi prudent d'Ottawa

Justice Minister Jody Wilson-Raybould answers a question during Question Period in the House of Commons in Ottawa, Wednesday, April 13, 2016. More than a year after the Supreme Court struck down Canada's ban on assisted suicide, the federal government will introduce today a new law spelling out the conditions in which seriously ill or dying Canadians may seek medical help to end their lives.THE CANADIAN PRESS/Adrian Wyld Photo: Adrian Wyld/La Presse Canadienne

OTTAWA – Le gouvernement fédéral a déposé jeudi son très attendu projet de loi sur l’aide médicale à mourir, qui serait légale pour tout adulte se trouvant «dans un état avancé de déclin irréversible de ses capacités» et dont «la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible».

Le projet de loi C-14 semble plus restrictif que l’arrêt Carter rendu en février 2015 par la Cour suprême du Canada, qui ouvrait la porte au recours à l’aide médicale à mourir pour des gens ne souffrant pas d’une maladie en phase terminale.

Il va cependant plus loin que la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec en permettant l’euthanasie et le suicide assisté, précise-t-on dans une fiche d’information gouvernementale fournie jeudi matin lors d’une séance d’information technique.

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a prévenu jeudi en conférence de presse à Ottawa que ce projet de loi ne ferait clairement pas l’unanimité puisqu’il s’agit d’un enjeu hautement émotif.

«Pour certains, l’aide médicale à mourir sera quelque chose de troublant. Pour d’autres, ce projet de loi n’ira pas assez loin», a-t-elle fait valoir.

L’approche retenue par le gouvernement libéral permettra de s’assurer à la fois «que les patients en fin de vie qui endurent des souffrances insupportables ont le choix de mourir dans la paix» et que les «plus vulnérables» sont protégés, a soutenu la ministre Wilson-Raybould.

Sa collègue à la Santé, Jane Philpott, comarraine de ce projet de loi qui modifie le Code criminel, a pour sa part insisté que la liberté de conscience des professionnels de la santé serait respectée.

Et ceux «qui suivent la réglementation n’auraient plus aucune raison de craindre des poursuites au criminel pour avoir prodigué, ou avoir aidé à prodiguer, l’aide médicale à mourir», a déclaré Mme Philpott, qui est elle-même médecin.

Le gouvernement a décidé de pelleter vers l’avant toute décision entourant l’accès à ces soins pour les mineurs, dans les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée ainsi que sur la question du consentement préalable.

Des études seront menées pour tâter le pouls de la population sur ces enjeux. «Nous verrons au moment approprié si c’est le désir des Canadiens de regarder ces questions-là d’un point de vue législatif», a expliqué le leader du gouvernement en Chambre, Dominic LeBlanc.

Car l’important, pour le moment, était «de respecter l’arrêt Carter, la Charte des droits, et de présenter devant le Parlement un projet de loi qui pourra être adopté avant le 6 juin», a-t-il enchaîné.

Sans se mouiller personnellement sur la question de la constitutionnalité du projet de loi, le député néo-démocrate qui siégeait au comité mixte spécial qui s’est penché sur la question, Murray Rankin, a émis certains doutes.

«Je peux vous dire que des juristes chevronnés m’ont appelé pour me dire qu’à leur avis, le projet de loi ne respecte pas (la décision)», a affirmé Murray Rankin en point de presse dans le foyer des Communes.

Ce n’est pas l’avis de Michelle Giroux, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

«D’une façon à tout le moins minimale, il respecte la décision. (…) La Cour suprême n’a jamais dit qu’il fallait être en fin de vie, mais n’a jamais dit qu’il ne fallait pas l’être non plus», a-t-elle argué en entrevue téléphonique.

«Il y a donc une espèce de flou dans le jugement, et le projet de loi, finalement, reproduit un peu ça», a exposé Mme Giroux.

En choisissant de ne pas légiférer pour les «mineurs matures» et les personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que sur la question du consentement préalable, Ottawa s’expose cependant à des contestations en provenance de ces groupes, croit la professeure.

«Eux n’y ont pas accès dans le contexte actuel, de façon très claire», a-t-elle souligné.

Course contre la montre

Le gouvernement fédéral dispose de moins de six semaines pour se doter d’une législation donnant suite à la décision rendue par la Cour suprême du Canada (CSC) le 6 février 2015.

Le projet de loi doit faire l’objet de trois lectures aux Communes et au Sénat, puis d’un examen d’un comité parlementaire et d’un comité sénatorial qui, chacun, peuvent entendre des témoins.

Le député conservateur Gérard Deltell, qui avait signé un rapport dissident du comité spécial mixte qui avait formulé des recommandations au gouvernement, a somme toute bien accueilli le projet de loi.

Il a néanmoins soulevé certaines préoccupations, notamment le fait que les infirmiers praticiens puissent fournir l’aide médicale à mourir.

Le député de Louis-Saint-Laurent a de nouveau exhorté le gouvernement à laisser aux élus qui souhaitent s’exprimer le temps nécessaire pour le faire. «Pour plusieurs députés, ce sera fort probablement le vote le plus important de leur vie parlementaire», a avancé M. Deltell.

Le leader du gouvernement en Chambre a promis de faire tout en son possible pour laisser au «plus grand nombre possible» de députés le temps de débattre. Il est ouvert à la possibilité de prolonger les heures des séances ou de siéger certains jours qui n’étaient pas prévus au calendrier.

M. LeBlanc a par ailleurs confirmé que les députés du caucus libéral, à l’exception des ministres, pourraient voter selon leur conscience. Il avait d’abord affirmé qu’une ligne de parti serait imposée pour ce vote avant de faire marche arrière.

Au sein du cabinet, tous n’étaient pas unanimes lors de l’ultime rencontre qui a précédé le dépôt du projet de loi, a relaté la ministre Philpott.

«Les gens étaient en désaccord sur certains aspects», s’est-elle souvenue.

«Mais ultimement, un consensus profond et empreint de respect a émergé, et nous avons déterminé que ce projet de loi était le bon pour le Canada», a conclu Mme Philpott.

Les députés conservateurs, néo-démocrates et bloquistes pourront voter librement sur le projet de loi, ont confirmé chacun de leurs partis.

Autres dispositions

Le projet de loi présenté jeudi prévoit que le consentement à la mort de la personne qui la souhaite doit être libre et éclairé.

La demande doit être soumise par écrit, attestée par deux témoins indépendants et faire l’objet d’une période de réflexion d’au moins 15 jours, et elle peut être retirée à tout moment, selon le projet de loi.

Le droit à l’aide médicale à mourir est par ailleurs réservé aux personnes qui sont admissibles aux soins de santé financés par l’État — une façon d’éviter une forme de tourisme médical au Canada.

Autres réactions

L’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (ALCCB), qui était impliquée dans la cause Carter, a réagi très défavorablement au contenu du projet de loi.

Car selon son porte-parole, Josh Paterson, il «exclut des catégories entières de Canadiens qui souffrent de maladies graves et incurables qui devraient avoir le droit de choisir une mort médicalement assistée sûre et digne».

L’Association médicale canadienne (AMC), en revanche, l’a accueilli avec enthousiasme, jugeant que ses dispositions «correspondent de près aux recommandations formulées par les médecins du Canada».

De son côté, l’Association des psychiatres du Canada (APC) a salué l’approche «plus réfléchie et moins empressée dans le dossier complexe de l’aide médicale à mourir et la maladie mentale».

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