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Plaidoyer de M. Poloz pour les dépenses fiscales

OTTAWA – Stephen Poloz parle comme un homme à qui on aurait tiré une épine du pied.

En augmentant les dépenses de son budget, le gouvernement Trudeau a apporté au gouverneur de la Banque du Canada une aide bienvenue dans ses efforts pour lutter contre les pressions, encore largement présentes, qui ont fait basculer l’économie mondiale dans la Grande Récession, il y a huit ans.

M. Poloz a présenté cette semaine de nouvelles prévisions améliorées pour l’économie canadienne en 2016, et les nouveaux engagements du gouvernement fédéral — notamment ses injections d’argent dans des projets d’infrastructures et des allégements fiscaux pour la classe moyenne — y sont pour beaucoup.

Sans eux, a-t-il fait valoir, les prévisions dévoilées mercredi auraient été moins bonnes.

«Nous sommes dans un environnement où, je crois, un mélange différent de politiques serait plus favorable au monde», a estimé M. Poloz lors d’un entretien à La Presse Canadienne dans les bureaux de la banque centrale, peu après la publication de ses nouvelles perspectives économiques.

«Au Canada, nous sommes chanceux d’avoir la capacité fiscale de modifier dès maintenant ce mélange de la sorte, comme le gouvernement l’a fait (…) C’est exactement le genre de circonstances dans lesquelles la politique fiscale est la plus efficace et c’est aussi où la politique monétaire est la moins efficace.»

M. Poloz sera à Washington pour les prochains jours, à l’occasion de rencontres avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et ses confrères des autres banques centrales du G20. Le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, est déjà sur place.

M. Morneau, tout comme le premier ministre Justin Trudeau, a déjà profité, ces derniers mois, de son passage sur les tribunes mondiales pour répéter le mantra libéral voulant qu’il revient aux gouvernements de raviver leur économie à l’aide d’investissements, même si cela doit se traduire par des hausses de leur dette publique.

Jeudi, le «Wall Street Journal» a qualifié M. Morneau de «figure emblématique» des efforts du FMI pour persuader les plus grandes économies du monde d’augmenter leurs dépenses — ou au moins revenir sur leur décision de les réduire — dans le but de soutenir l’économie mondiale.

«C’est utile pour l’économie mondiale même si seul le Canada le fait, même si notre impact n’est pas énorme en raison de la taille de notre économie dans le contexte de l’économie mondiale», a estimé jeudi M. Morneau, à Washington.

«Et si les autres nous imitent, (l’effet) sera amplifié.»

Avec les dépenses annoncées dans le plus récent budget fédéral, les libéraux projettent cinq années consécutives de déficits totalisant plus de 110 milliards $, à commencer par un manque à gagner de 29,4 milliards $ pour l’exercice 2016-2017.

Cette nouvelle approche offre un contraste saisissant avec celle du gouvernement conservateur précédent, qui cherchait à limiter les dépenses pour équilibrer le budget.

Sous les conservateurs, la Banque du Canada a utilisé sa politique monétaire en réduisant à deux reprises son taux d’intérêt directeur en 2015. Ces décisions avaient pour but d’aider le Canada à se protéger de l’impact du plongeon des prix du pétrole brut, qui avait débuté à la fin 2014.

Mercredi, la banque centrale a laissé son taux directeur inchangé à 0,5 pour cent. M. Poloz a indiqué qu’une nouvelle coupe aurait pu être envisagée si ce n’avait été des mesures fiscales annoncées le mois dernier par les libéraux.

Le monde a beaucoup appris au sujet des outils de la politique monétaire depuis la crise financière de 2008, a précisé M. Poloz. Pour secourir les économies, les banques centrales se sont même appuyées sur des mesures non conventionnelles, comme des taux d’intérêt négatifs et des mesures d’assouplissement quantitatif.

Même si de tels outils ont un effet, leur impact n’est pas nécessairement important ou prévisible, et ils peuvent miner la stabilité financière, a ajouté M. Poloz. En comparaison, M. Poloz croit que le pouvoir des mesures fiscales est plus significatif et plus prévisible dans le contexte d’aujourd’hui.

«Mais c’est une question de capacité ou d’espace fiscal, et plusieurs pays n’en ont pas», a laissé tomber M. Poloz, en référence à la solide position du Canada pour l’obtention d’emprunts. «Il se trouve que nous en avons.»

Entre-temps, l’économie mondiale reste incertaine.

Questionné sur ce qui le garde éveillé la nuit, M. Poloz a donné en exemple la volatilité des deux premiers mois de l’année. L’importance du ralentissement en Chine l’inquiète, tout comme l’état des économies des États-Unis et mondiale.

«Le monde continue d’offrir un abondant potentiel de déception, a-t-il noté. La liste est aussi longue que votre bras.»

M. Poloz s’est souvenu de l’époque où, en 2008, les banques centrales et les autorités fiscales travaillaient de concert pour empêcher ce qui aurait bien pu devenir une deuxième Grande Dépression. Huit ans ont passé, mais «les éléments qui nous tiraient vers le bas dans ce contexte d’après-crise sont toujours largement présents».

«Et c’est pourquoi de très faibles taux d’intérêt ne semblent pas avoir un aussi gros effet que celui auquel nous nous serions attendu», a-t-il ajouté.

«C’est comme si nous poussions quelque chose vers le sommet d’une colline. On ne peut pas arrêter de pousser, sinon cette chose va recommencer à rouler vers le bas.»

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