Soutenez

Changements à C-14 au Sénat: réactions mitigées

Interim Opposition Conservative leader Rona Ambrose listens to a question during a news conference in Ottawa, Thursday June 9, 2016. THE CANADIAN PRESS/Adrian Wyld Photo: Adrian Wyld / La Presse Canadienne

OTTAWA – Le Sénat a fait une démonstration de force qui n’a pas plu à tout le monde — en particulier à la leader intérimaire conservatrice Rona Ambrose — en amendant substantiellement le projet de loi sur l’aide médicale à mourir.

«C’est frustrant. C’est très frustrant», a tranché Mme Ambrose en marge d’une conférence de presse, jeudi matin, affirmant que cette intervention de sénateurs qui n’ont «de comptes à rendre à personne» est inacceptable aux yeux «de nombreux Canadiens».

En fait, pour la leader conservatrice, ce qui s’est produit mercredi soir «est le reflet d’un problème plus vaste» encore. «Nous avons des tribunaux qui font des lois dans ce pays, et maintenant, voici qu’un Sénat non élu change les lois d’une Chambre élue», s’est-elle désolée.

Le député conservateur Gérard Deltell a pour sa part affirmé en entrevue téléphonique que «cette situation prête à examen depuis toujours». Mais «le Sénat fait son travail», ce qu’il n’aurait pas eu à faire «si le gouvernement avait bien fait» le sien, a-t-il argué.

Chez les néo-démocrates, où l’on prône l’abolition du Sénat, on a voulu rendre à César ce qui appartient à César. Car le Sénat a le mérite d’avoir adopté un amendement «très logique» que le gouvernement avait rejeté, a souligné la députée Hélène Laverdière.

«Si le projet de loi peut revenir à la Chambre des communes et qu’on peut avoir le vrai débat qu’on n’a pas pu avoir à cause du bâillon la fois précédente, j’en serais très contente», a-t-elle dit en entrevue.

Le Sénat a adopté mercredi soir un amendement remplaçant les critères d’admissibilité contenus dans la mesure législative par ceux édictés dans l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada (CSC), retirant du texte la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible.

Ce concept avait été vigoureusement critiqué par de nombreux spécialistes ainsi que par le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette, qui a applaudi l’adoption de l’amendement sénatorial.

«J’ose espérer, vraiment, que le gouvernement fédéral va donner suite à la proposition du Sénat, qui est la proposition la plus sensée à propos de C-14», a dit le ministre Barrette du côté de l’Assemblée nationale.

Son homologue au fédéral, Jane Philpott, a déclaré lors d’un bref échange avec les journalistes parlementaires qu’elle était «préoccupée» par la suppression de ce critère. Elle n’a toutefois pas voulu dire si le gouvernement accepterait l’amendement.

La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, qui était à ses côtés, n’a pas voulu en dire davantage, se contentant de répéter que «tous les amendements» en provenance du Sénat seraient étudiés.

Ni l’une ni l’autre n’ont voulu dire si les membres de la chambre haute avaient la légitimité d’adopter des amendements aussi substantiels ayant été écartés au préalable par les élus aux Communes.

Mais pour le sénateur libéral indépendant Serge Joyal, dépositaire de la motion adoptée mercredi soir, il ne fait aucun doute que le Sénat a la responsabilité de protéger des droits des minorités et le respect de la Charte canadienne des droits et libertés.

«C’est la raison fondamentale de l’utilisation du pouvoir du Sénat dans des circonstances exceptionnelles», a-t-il insisté.

Le leader de l’opposition conservatrice à la chambre haute, Claude Carignan, a abondé dans le même sens: «La Constitution existe depuis 150 ans. C’est le système qu’on a et qu’on applique. C’est vrai, on n’est pas élus. Mais les juges non plus».

Et de toute façon, le Sénat ne sortira jamais gagnant de ce type de débat, a-t-il lancé en boutade.

«Écoutez, quand on ne fait pas d’amendements, on se fait dire qu’on fait du ‘rubber stamp’ et quand on fait des amendements, on dit qu’on ne devrait pas faire des amendements», a laissé tomber le sénateur Carignan.

Amendement rejeté

Conscient de la nécessité de rétablir l’équilibre entre l’élargissement de l’accès et la protection des plus vulnérables, M. Carignan a déposé jeudi un amendement pour inclure dans C-14 une mesure de protection supplémentaire.

Sa proposition stipulait qu’une personne qui n’est pas en fin de vie doive obtenir l’autorisation d’une cour supérieure — le juge aurait dû tenir compte de l’avis d’un psychiatre confirmant la capacité de la personne à fournir un consentement éclairé — pour avoir accès à l’aide à mourir.

Elle a cependant été battue par 37 voix contre 32. Quatre sénateurs se sont abstenus.

La ministre Wilson-Raybould avait prévenu mercredi après-midi, avant le vote au Sénat, que le retrait de la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible compromettrait l’équilibre que le gouvernement est convaincu d’avoir atteint dans son projet de loi C-14.

Ping-pong législatif?

Le Sénat renverra vraisemblablement une version amendée de C-14 aux Communes, ce qui laisse entrevoir une partie de ping-pong législatif entre les deux chambres.

Si un projet de loi est amendé au Sénat, un message sur les amendements est expédié à la Chambre des communes pour lui demander son assentiment. Si les deux chambres ne s’entendent pas, elles peuvent proposer des amendements jusqu’à ce qu’il y ait entente.

Les députés sont prêts à travailler d’arrache-pied sur le projet de loi, a assuré le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement en Chambre, Kevin Lamoureux.

Le gouvernement libéral a obtenu jeudi aux Communes le consentement unanime sur une motion prévoyant que les députés peuvent siéger jusqu’à minuit, du lundi au jeudi, jusqu’au 23 juin, dernier jour prévu au calendrier des travaux parlementaires.

Pourrait-on aller jusqu’à prolonger la session parlementaire? M. Lamoureux ne l’a pas exclu. «Mais je suis un optimiste: je suis assez confiant que nous serons en mesure (d’avoir une loi en vigueur) d’ici le 23 juin», a-t-il offert.

Le gouvernement libéral avait jusqu’au lundi 6 juin pour faire adopter un projet de loi en réponse à la décision de la CSC sur l’aide médicale à mourir, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

L’aide médicale à mourir est ainsi légale au pays depuis minuit, le mardi 7 juin, même si la pratique n’est pas encadrée par une loi fédérale. Les collèges des médecins des provinces ont établi des lignes directrices pour guider leurs membres.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.