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Jonathan Livernois: Raviver la flamme patriotique

Photo: Josie Desmarais/Métro

La veste à carreaux au look bûcheron de son grand-père, qu’il porte sans ironie, et son attachement malgré tout aux Belles histoires des pays d’en haut sont quelques anecdotes personnelles que raconte le professeur de littérature à l’Université Laval Jonathan Livernois dans La route du Pays-Brûlé, un court essai qui propose de donner une cure de jouvence au patriotisme.

On parle souvent de souveraineté, mais rarement de patriotisme. Pourtant, il faut aimer sa patrie pour être indépendantiste. Est-ce pourquoi vous avez écrit ce livre?
Je vais y aller avec un exemple: Bernard Landry, en 2003, dans le documentaire À hauteur d’homme, tourné en campagne électorale, propose de dire «la patrie québécoise» lors d’un débat des chefs pour lequel il se prépare. Tout à coup, ses conseillers lui disent : «Non-non-non-non-non, tu peux pas parler de patriotisme, ça fait ringard, ça fait vieille droite». Ce mot, patriotisme, est devenu connoté très négativement avec le temps. Dans l’essai, j’essaie de voir comment on peut lui donner un sens qu’il aurait un peu perdu.

Votre livre tombe à point avec la nouvelle course à la chefferie du Parti québécois (PQ). Est-ce que c’est une bonne occasion de discuter d’amour du pays?
C’est intéressant, parce que c’est une nouvelle génération de péquistes, ou à peu près. Chacun essaie de trouver la manière de présenter le référendum ou la souveraineté comme quelque chose de stimulant, d’intéressant pour la jeunesse. Après la défaite du PQ en 2014, il y avait beaucoup d’articles dans les journaux où on disait : «Ah, c’est fini pour moi, [l’indépendantisme] n’intéresse plus les jeunes», ce qui m’a un peu agacé. Moi, ce que je veux faire, sans dire quoi faire à cette «jeunesse» – dont je ne suis pas si loin quand même! –, c’est qu’il y a moyen d’y accoler quelque chose qui est de l’ordre d’un programme de justice sociale avec des mesures plus progressives. On le voit dans certaines propositions.

Est-ce qu’un(e) candidat(e) en particulier rejoint vos idées?
J’aime beaucoup Véronique Hivon. Je suis assez content aussi de ce que propose Jean-François Lisée jusqu’à présent. L’idée de repousser la tenue d’un référendum et de parler du «bon gouvernement» à la manière du PQ de 1976, c’est une approche.

Que pensez-vous des autres partis souverainistes que sont Québec solidaire et Option nationale?
Option nationale, je sais pas ce qui va se passer avec ça. Dans mon dernier essai, j’en avais parlé un peu négativement. Québec solidaire, c’est drôle, je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas capable d’aller vers ce parti. Il y a quelque chose qui me bloque. Pourtant j’ai toutes les valeurs de gauche. Je ne sais pas si ce sera l’objet d’un article ou d’un petit essai que je ferai dans peu de temps…

Considérez-vous que les jeunes ne se sentent plus concernés par le projet de souveraineté?
C’est ce que je trouve dommage. Dans les années 70-80, le PQ était un parti de jeunes et de syndicalistes. Il y avait toute cette force, et le parti est en train de la perdre. C’est rendu un parti de gens qui s’y rattachent même par nostalgie. Il y a beaucoup de gens qui y sont fidèles. Je me demande moi-même si ce n’est pas ça qui me rattache encore malgré tout au PQ.

En prenant l’exemple de la veste Mackinwaw [NDLR : veste à carreaux de style bûcheron], que certains jeunes portent avec une ironie «au troisième degré», comme vous l’écrivez, vouliez-vous représenter une génération devenue cynique?
Je n’ai pas voulu les stigmatiser, je trouve juste ça amusant et j’essaie de comprendre pourquoi ils font ça. Je ne dirais pas que c’est par cynisme. Je ne sais pas ce qu’ils cherchent exactement là-dedans, peut-être la même chose que moi? Pourquoi, moi, je me suis mis à porter ça, au juste? Il y a quelque chose de l’intellectuel qui veut se la jouer «gars qui est capable de bûcher du bois». Mais le geste est intéressant, parce qu’il montre à quel point moi-même, en faisant ça, je cherche un symbole pour incarner un héritage, mais c’est la manière la plus facile d’incarner un héritage. Quand mon grand-père la portait, il s’en foutait comme dans l’an 40! C’est un vêtement. Peut-être que je cherchais de l’authenticité, parce qu’on est tous un peu en quête de ça, malgré l’ironie.

À propos de l’amour du pays, vous dites : «il faut sans cesse le conquérir, lui donner l’espace nécessaire». Comme pour un couple?
Oui! On a beaucoup dénoncé, notamment lors de la grève étudiante au printemps 2012, l’idée que les jeunes n’ont pas d’affaire dans la rue, que c’est dans les urnes que ça se passe. Mais, ce n’est pas vrai. Quand on parle du couple, il ne doit pas être entretenu une fois aux quatre ans, il doit être entretenu chaque jour. Mais je ne donne pas de clé. C’est aussi le travail de l’essayiste, qui est un beau rôle, parce que je ne donne pas de voie; je dis qu’il y a des lieux qu’on connaît tous. Pour moi, la grève de 2012 en a été un important.

Selon vous, la fierté nationale se trouve dans des valeurs progressistes. A-t-on perdu ces valeurs en 2016? Vous critiquez les mesures d’austérité du gouvernement Couillard, notamment les coupes en éducation et la croissance des inégalités sociales…
Dans les années 60, on se demandait : est-ce que nous sommes d’abord souverainistes ou socialistes? Très longtemps, j’ai cru qu’il fallait être d’abord souverainiste. Avoir un pays et après les débats auront lieu. Je me rends compte que ça ne marche plus. Le PQ a longtemps été une espèce de coalition arc-en-ciel avec une certaine tendance sociale démocrate. Ce qui fait que – je l’ai enlevé dans le livre –, j’avais curieusement écrit ceci : est-ce que c’est normal que j’aime plus Justin Trudeau que Pierre Karl Péladeau? Pour moi ça n’a comme plus de sens. Comment ça se fait que Trudeau m’intéresse davantage? Je ne virerai pas Libéral, mais pourtant, je vois des mesures comme le projet de loi sur les transgenres et le ministère de la Justice confié à une Amérindienne… Pourquoi nous c’est pas ça?

Vous proposez un «patriotisme énergique», qui serait «plus attentif aux autres qu’au drapeau», contrairement à ce qu’on voit dans les défilés de la Saint-Jean-Baptiste. Comment serait le défilé idéal, selon vous?
En soi, le défilé n’est pas problématique. Ce qui me pose problème, c’est l’impression d’être arrivé en ville, l’impression qu’on est arrivé à un but. Comme si le Québec était une nation entière. Comme si le 24 juin, on se disait : «Oui oui on est fier d’être Québécois», mais la fierté, elle est où? Un défilé ça peut toujours être la même chose… Il s’agit simplement d’être conscient de ce qu’on est véritablement.

Dans l’essai, vous proposez des pistes de ce que le «Québec pourrait faire», comme l’avait fait le cinéaste Pierre Perreault en 1969. Êtes-vous optimiste pour l’avenir du Québec?
Je suis un peu négatif dans la vie, mais pas sur le destin québécois. J’ai l’impression que les gens sont super bien outillés, je trouve les jeunes bons, beaux et allumés. Il ne faut juste pas tuer cette génération avec des constats de décès et de déprime. Ça revient à la phrase de l’historien Patrick Boucheron citée dans l’essai : «Pourquoi se donner la peine d’enseigner sinon, précisément, pour convaincre les plus jeunes qu’ils n’arrivent jamais trop tard?»

ACTU - Jonathan Livernois - La route du Pays-BrûléEn librairie
La route du Pays-Brûlé
Atelier 10

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